On l’a littéralement « chassé » de la Maison Blanche, après l’avoir harcelé de toutes les façons possibles (et cela continue) pendant ses quatre ans de mandat.. Les médias grégaires et incultes sont unanimes contre lui. Et pourtant, l’excentrique milliardaire continue à leur en faire voir de toutes les couleurs, à la veille des élections de mi-mandat, avec deux victoires personnelles retentissantes sur les deux éléments névralgiques clivants de la société américaine: les armes et l’avortement. Où l’on voit que les « haters » ne sont pas forcément ceux que l’on désigne au piloris populaire à force de matraquage unilatéral. Mais attention, Trump n’a peut-être pas dit son dernier mot…

Nos médias ont démontré, une fois de plus, toutes leurs limites dans la couverture du système juridique américain. La Cour suprême n’a pas « aboli » le droit à l’avortement ; elle a dit, tout simplement, qu’il appartient à chaque État de réglementer cette question.

Le bannir n’était pas suffisant.

L’héritage de Trump est vivant. Et les Démocrates succombent à l’hystérie

Avortement et armes à feu. Deux victoires personnelles pour Trump. Réactions hystériques des progressistes. Pas aboli le « droit » à l’avortement. La matière est retournée aux États et au consentement démocratique.

Une anecdote célèbre raconte qu’à l’été 1787, en marge des travaux de la convention constitutionnelle de Philadelphie, Elizabeth Willing Powel – membre influent de la société de l’époque, bien qu’exclue, comme toutes les femmes, des travaux constitutionnels – s’adressa à Benjamin Franklin pour lui demander quelle forme constitutionnelle avait été choisie : « Docteur, qu’aurons-nous donc ? Une république ou une monarchie ? ». Franklin répondit instantanément : « Une république, si vous êtes capable de la maintenir ».

Une nouvelle épreuve pour les institutions américaines

Dans l’histoire des États-Unis, il y a eu de nombreux moments de crise qui ont rendu cette citation de Franklin emblématique. Sans remonter trop loin dans le temps – et sans oublier la sanglante guerre civile qui a opposé les États du Nord et du Sud de 1861 à 1865 – mais en nous limitant à la conjoncture historique actuelle, un moment de crise a certainement été le 6 janvier 2021, lorsqu’une horde de partisans tapageurs de Donald Trump est entrée dans le Capitole pour protester contre le résultat de l’élection présidentielle.

Les institutions américaines ont surmonté aussi ce passage compliqué, mais en ces heures, elles sont confrontées à une nouvelle épreuve.

S’il est un sujet qui sépare tellement les États-Unis de l’Europe, au point de les rendre presque incompréhensibles vus de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est bien celui de la possession et du port d’armes à feu. Et s’il est un sujet qui lacère, en interne et à plusieurs niveaux, la politique américaine, c’est bien celui de l’avortement.

Sur ces deux sujets, en l’espace de quelques heures, la Cour suprême des États-Unis est intervenue, avec deux arrêts qui ont élevé le débat au-delà du niveau d’alerte.

Premier arrêt : le droit de porter des armes

Moins d’un mois s’est écoulé depuis l’horrible massacre dans les écoles primaires d’Uvalde, au Texas, et un projet de loi visant à introduire certaines restrictions à l’achat d’armes à feu est dansla dernière ligne droite au Sénat. Il s’agit certes de restrictions provisoires, mais le président Biden comptait sur elles pour enregistrer enfin la « victoire » politique dont il avait désespérément besoin.

Ce petit pas en avant dans le contrôle des armes à feu a toutefois été éclipsé par un arrêt rendu avant-hier par la Cour suprême, qui, à la majorité (les six juges « conservateurs » ont voté pour, les trois juges « progressistes » ont voté contre), a déclaré inconstitutionnelle une loi de l’État de New York, en vigueur depuis plus d’un siècle, qui autorisait le port d’armes en public uniquement en présence d’une « motif justifié » (proper clause)

Ce faisant, la Cour suprême a, pour la première fois, affirmé que le deuxième amendement de la Constitution fédérale – ou plutôt l’interprétation de cette disposition qui s’est imposée au fil du temps au-delà de sa teneur littérale stricte – protège non seulement le droit de porter des armes, mais aussi le droit de les porter dans les lieux publics pour se défendre.

Selon la Cour, le gouvernement peut bien sûr restreindre le port d’armes dans les lieux « sensibles » (par exemple, les écoles et les bâtiments gouvernementaux), mais la notion de lieu « sensible » ne peut être étendue, de manière générique, à tous les lieux publics.

Les juges de tendance liberal ont exprimé leur ferme désaccord. Il suffit de citer le début de l’opinion dissidente du juge Breyer (progressiste), qui rappelle qu’en 2020, 45 222 Américains ont été tués par des armes à feu. Depuis le début de l’année 2022, 277 massacres par armes à feu ont été recensés, soit une moyenne de plus d’un par jour. Mais selon le juge Breyer, le problème des armes à feu devrait être résolu par le législateur, et non par les tribunaux.

Selon les premières analyses, l’arrêt pourrait avoir des effets dans au moins six autres États, où des lois similaires à celle de l’État de New York, qui a été déclarée inconstitutionnelle, sont en vigueur. Surtout, l’arrêt de la Cour suprême – qui suit un agenda très différent de celui du Congrès – probablement rédigé avant même le massacre d’Uvalde, a éclipsé le timide projet de loi adopté au Sénat dans les mêmes heures.

La réaction hystérique des progressistes

Les réactions des institutions ont été immédiates et notables. Le gouverneur de l’État de New York et le maire de la ville de New York – tous deux démocrates – ont déclaré qu’ils utiliseraient tous les moyens légaux (lesquels?) pour s’opposer aux effets de l’arrêt.

Mais certains commentateurs de tendance progressiste ont repoussé les limites du raisonnable, avec des propositions qui, si elles étaient mises en œuvre, compromettraient la stabilité de la fédération.

L’éditorialiste politique Keith Olbermann a même proposé que la décision de la Cour suprême soit considérée comme « nulle et non avenue ». C’est-à-dire de l’ignorer. C’est un grand pas en avant par rapport à l’époque où les progressistes, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2020, proposaient « simplement » de changer les règles du jeu en ce qui concerne la composition de la Cour, afin de permettre à Biden, s’il était élu, de la compléter avec un nombre congru de juges afin d’assurer une majorité progressiste.

Mais c’est aussi un authentique court-circuit, si l’on considère que ce n’est pas la première fois que la théorie de la « nullification » apparaît dans l’histoire américaine. Elle a été défendue au XIXe siècle par les États du Sud et a créé le contexte juridique qui a conduit à la guerre civile.

Toutefois, l’hystérie des commentateurs progressistes n’a pas eu le temps d’exploser complètement car, dès le lendemain, la Cour suprême a annoncé sa décision – aussi retentissante qu’attendue – sur l’avortement.

Deuxième décision : l’avortement

Nos médias ont démontré, une fois de plus, toutes leurs limites dans la couverture du système juridique américain. La Cour suprême n’a pas « aboli » le droit à l’avortement ; elle a dit, tout simplement, qu’il appartient à chaque État de réglementer cette question.

En bref, la Cour a reconnu que l’avortement représente un profond dilemme moral. Mais la Constitution n’interdit pas aux citoyens des différents États de réglementer ou d’interdire l’avortement. Les arrêts Roe et Casey, dans lesquels la Cour s’était auparavant déclarée habilitée à réglementer la question, sont allés au-delà de ce que la Constitution exige. La Cour suprême a décidé d’annuler ces précédents et de rendre ce pouvoir aux législatures des différents États.

Une ligne jurisprudentielle considérée par ses détracteurs comme un dépassement évident – et donc fragile – est ainsi éliminée, puisque la Constitution fédérale ne dit rien sur l’avortement, ni sur le droit à la vie privée qui en serait le fondement.

Cet arrêt a pour effet que le sujet de l’avortement sera réglementé différemment dans les 50 États de l’Union. Par exemple, la loi du Mississippi – qui constituait le casus belli – restera en vigueur, autorisant l’avortement jusqu’à la quinzième semaine [en France, la loi du 2 m, ndt] .

Le panorama législatif varié ainsi créé explique pourquoi l’avortement est un sujet aussi polarisant aux États-Unis : parce qu’il ne concerne pas seulement les droits individuels, mais aussi les relations de pouvoir entre l’État fédéral et les États.

Intimidation et menaces

La Cour suprême ne s’est pas laissée intimider par les pressions institutionnelles auxquelles elle a été soumise après qu’une « petite main » ait révélé au monde une ébauche de l’arrêt lors d’une fuite retentissante ces dernières semaines. Les juges conservateurs n’ont pas été intimidés par les manifestations sans précédent organisées devant leur domicile par les militants de l’avortement, ni par les menaces de mort (début juin, un Californien de 26 ans a été arrêté, armé, près du domicile du juge Kavanaugh).

Bannir Trump n’était pas suffisant

Les réactions des démocrates à cette décision « choc » ont été immédiates. Chouchou de l’extrême gauche, Alexandria Ocasio-Cortez a incité à des manifestations de rue contre la décision de la Cour suprême, la qualifiant – sic et simpliciter – d’ « illégitime ». Les réactions extrêmes, jusqu’à présent uniquement en paroles, trahissent le désespoir qui monte dans le camp progressiste.

Les démocrates pensaient qu’ils allaient résoudre tous leurs problèmes en écartant Trump. Ils pensaient qu’il suffirait de l’évincer de la Maison Blanche avec l’élection, de le bannir des médias sociaux avec la coopération de Big Tech, et de le mettre sous tutelle judiciaire avec la commission d’enquête partisane sur  » l’assaut  » du Capitole le 6 janvier 2021.

Ils pensaient que cela suffirait à le réduire à un simple incident de l’histoire, une parenthèse excentrique et malvenue dans la parabole politique des États-Unis, destinée à l’oubli.

La réalité est tout autre. L’héritage de Trump est bien vivant sous la forme de deux décisions de la Cour suprême américaine, qui sont intervenues sans édulcoration sur deux nerfs à vif de la politique et de la société américaines : le contrôle des armes à feu et l’avortement.

Les juges de Trump

Trump l’avait promis depuis la campagne électorale de 2016 : s’il était élu, et que l’occasion se présentait, il nommerait des conservateurs « bien équilibrés » comme juges à la Cour suprême. Il a tenu sa promesse, en nommant trois juges qui, bien qu’avec des nuances et des gradations différentes, correspondent au profil : Gorsuch, Kavanaugh, Coney Barrett.

Le résultat est que la Cour est, au moins sur le papier, avec une solide majorité conservatrice (6 contre 3), et sauf surprise, étant donné qu’il s’agit de nominations à vie, elle le restera pendant des années. Et cela ne se limite pas à la magistrature fédérale suprême. Trump, au cours de sa présidence, a effectivement utilisé toutes les occasions qu’il a eues pour nommer dans les rangs inférieurs des juges fédéraux conservateurs, qui restent également en poste à vie.

Le message politique

Expulsé de la Maison Blanche, banni des médias sociaux au point de devoir créer les siens, visé par des enquêtes judiciaires, Trump a pourtant continué à façonner le parti républicain à son image depuis son buen retiro de Floride. L’ancien président peut compter les deux arrêts de la Cour suprême comme des victoires politiques personnelles, dans la mesure où ils ont été déterminés par trois juges qu’il a nommés.

Le message est efficace parce qu’il est simple : lorsque vous votez pour un président qui est un « vrai » républicain (comme Trump), vous gagnez. Cela renforce l’invitation faite aux électeurs conservateurs de voter, lors des élections de mi-mandat de novembre, pour des candidats qui sont eux-mêmes de « vrais » républicains – c’est-à-dire des partisans de Trump, et soutenus par lui – et non des RINO (« Republicans in name only« ), c’est-à-dire des représentants de la frange résiduelle, plutôt de bric et de broc, de ses opposants internes.

La frustration des démocrates

En revanche, les démocrates doivent compter avec une cote de popularité du président Biden au plus bas, pour mille raisons allant de la politique étrangère à l’économie, au point que certains alliés tentent déjà de le réduire à un « canard boiteux » (David Axelrod, un conseiller influent d’Obama, a déclaré que Biden serait trop vieux pour briguer un second mandat).

Selon les sondages – à prendre évidemment avec des pincettes – lors des élections de mi-mandat, les républicains risquent de prendre le contrôle du Congrès, ou du moins du Sénat, et ce serait la fin du programme de l’administration Biden.

Surtout, un sentiment d’impuissance se dégage : les démocrates savaient que le jugement sur l’avortement allait être rendu, mais malgré le fait qu’ils avaient le président et le contrôle du Congrès (bien qu’étroit au Sénat), ils n’ont rien fait de concret, à part crier.

C’est de ce sentiment de faiblesse que tirent leur force les franges progressistes les plus extrêmes, représentée par ceux qui veulent porter le combat dans la rue, en dehors des institutions et, même, contre elles.

Un été politiquement torride nous attend, et c’est dans ce contexte que résonne avec une actualité renouvelée l’avertissement de Benjamin Franklin aux citoyens américains. Auxquels les Pères fondateurs ont remis une république, mais aussi la tâche compliquée de la maintenir.

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