On n’est pas (comme on pourrait le penser) dans le cas de figure de l’éviction de Trump. En réalité, Johnson est puni AUSSI par son propre camp, pour son absence d’ossature idéologique, son alignement sur le politiquement correct, bref, la trahison de ses électeurs et de son parti.

Sur les grandes questions éthiques, il ne perd aucune occasion de se montrer aligné sur la gauche culturelle. Pour ne citer que trois exemples au cours du mois dernier : il a envoyé un message de soutien et d’encouragement à la gay pride, accueillant même des leaders de la communauté LGBT à Downing Street. Il a contesté l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis sur l’avortement, le considérant comme un « pas en arrière ». Lors du dernier sommet du G7, il a adopté l’un des clichés féministes les plus éculés en déclarant que si Poutine était une femme, il ne ferait pas la guerre aujourd’hui.

La chute de Johnson, le leader qui a gaspillé un triomphe.

Stefano Magni
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Boris Johnson a démissionné après une rébellion massive au sein de son gouvernement. Il a été puni non seulement pour des scandales personnels, comme le Partygate, mais aussi parce qu’il a trahi les attentes des conservateurs qui l’avaient soutenu. Culturellement et économiquement, il s’est rapidement aligné sur la gauche pour le virage vert et les nouveaux droits.

Des rivières d’encre ont déjà coulé sur la chute de Boris Johnson. Presque toujours, des articles de jubilation, compte tenu du fait qu’il était le plus mal aimé des dirigeants européens, accusé d’avoir favorisé puis réalisé personnellement la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il était considéré comme un « clown » (couverture de l’Economist le jour de sa démission), un « premier ministre qui a ruiné l’image du Royaume-Uni ».

Plus que sa politique, ce sont ses scandales personnels qui ont causé sa ruine. Johnson avait en effet gagné toutes ses batailles, contre vents et marées, faisant preuve d’un talent politique hors du commun. Il avait parié sur le Brexit contre la direction du parti et avait gagné. Il avait hérité du parti en pleine tourmente post-Brexit après les défaites de Theresa May et avait remporté les élections avec la plus grande majorité depuis 1987. Alors que tout le monde avait renoncé aux négociations avec l’UE et se préparait à une sortie « désordonnée » de l’Union, Johnson a ramené à la maison un accord qui tient toujours, malgré les difficultés liées à l’Irlande. Pendant la pandémie, malgré le lynchage médiatique dont il a fait l’objet et la décision d’imposer un confinement strict (ce qui n’a pas plu aux conservateurs), il a été le premier à mener une campagne de vaccination réussie, sans pour autant imposer des obligations et des « méthodes de persuasion » aux Chinois. Et il a été l’un des premiers en Europe à tout rouvrir, en respectant les dates promises.

Quels scandales auraient pu causer sa chute, après une ascension aussi régulière ? La dernière en date est celle de Chris Pincher, deputy chief whip à la Chambre des communes, qui a abusé de deux hommes, dont l’un était député, alors qu’il était ivre. Johnson avait affirmé qu’il ignorait la mauvaise conduite de Pincher, puis des preuves sont apparues qu’il était au courant mais n’avait pas agi. L’image du Premier ministre avait été ternie par le Partygate : alors que tout le pays était confiné (sur son ordre), il avait fait la fête avec des invités et sans masque au siège du gouvernement, 10 Downing Street. A l’époque aussi, il avait d’abord nié, puis des preuves étaient apparues qui l’avaient piégé. Il avait déjà survécu au vote de confiance au sein de son parti, aujourd’hui, après le deuxième scandale, il n’a pas pu résister à la vague de démissions des membres de l’exécutif. Johnson jette l’éponge après que plus de cinquante membres de son gouvernement (ministres, sous-secrétaires, fonctionnaires et techniciens) aient démissionné en signe de défiance.

Les scandales sont le point culminant d’un malaise de longue date à son encontre. Mais il ne faut pas trop se laisser déconcerter par les analyses des médias les plus « européanisants » du Royaume-Uni [et d’ailleurs]. En effet, le Brexit n’a jamais été mis en cause, dans toutes les controverses qui ont directement touché Johnson. La réaction de jubilation de la Russie, de l’ancien président Medvedev en particulier, était également trompeuse : Johnson n’a pas été puni pour son soutien ouvert à l’Ukraine et à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN. Sur ces questions, il existe en fait un large consensus bipartisan au Royaume-Uni, même au sein du Labour (à l’exception du courant désormais minoritaire de Corbyn).

La révolte contre Johnson est avant tout une révolte des conservateurs contre un premier ministre désormais reconnu comme un facteur de faiblesse à un moment difficile. Tout d’abord, en raison de sa réputation personnelle, ternie par les scandales : un électorat qui souffre de l’inflation et des problèmes économiques que nous connaissons tous, peut encore moins tolérer un dirigeant pris en flagrant délit de mensonge et de dissimulation de fautes personnelles. Le Partygate était un acte d’arrogance, à un moment où le pays entier souffrait d’être enfermé. Sur un plan plus purement politique, les observateurs attentifs accusent Johnson de ne pas avoir d’équipe fonctionnelle. Le fait de vouloir faire cavalier seul, comme c’est le cas pour les leaders d’une échappée, a été le secret de son succès, mais à long terme, cela n’a pas été payant. Après quelques paris gagnants, il est arrivé un moment où le manque de réflexion et de travail d’équipe s’est fait sentir.

La vraie faiblesse de Johnson, cependant, a été son manque de cohérence. C’est d’autant plus grave si l’on considère l’importance énorme du processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne qu’il avait initié. Comme l’explique le chroniqueur conservateur Allister Heath :

« Son absence d’idéologie directrice, ainsi que son ambition personnelle et son intérêt personnel, ne lui ont pas permis de comprendre pourquoi tant de ses partisans se sont sentis idéologiquement trahis par son programme de plus d’impôts et de plus de dépenses. Il est apparu clairement, au cours de l’année écoulée, que nous ne connaîtrons jamais une longue ère Johnsonienne, comme je le pensais possible au lendemain de l’élection. Il n’y a pas eu de nouveau modèle économique et social inspiré par lui, pas de grand plan pour remodeler la Grande-Bretagne à la Thatcher. »

Sur le plan culturel, Johnson s’est rapidement aligné sur le mainstream, sur le plan écologique, il a promis des voitures électriques, des réductions d’émissions, l’adhésion aux paramètres des accords de Paris. Sur les grandes questions éthiques, il ne perd aucune occasion de se montrer aligné sur la gauche culturelle. Pour ne citer que trois exemples au cours du mois dernier : il a envoyé un message de soutien et d’encouragement à la gay pride, accueillant même des leaders de la communauté LGBT à Downing Street. Il a contesté l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis sur l’avortement, le considérant comme un « pas en arrière ». Lors du dernier sommet du G7, il a adopté l’un des clichés féministes les plus éculés en déclarant que si Poutine était une femme, il ne ferait pas la guerre aujourd’hui. Un historien lui a rappelé que la Crimée avait été conquise la dernière fois par l’impératrice Catherine la Grande.

En matière d’économie, cherchant peut-être à être mieux accepté par un plus vaste public, il a promu une politique de gauche qui n’était pas du tout appréciée par les conservateurs. Sous son gouvernement, en particulier pendant le Covid, les dépenses publiques ont augmenté pour constituer 42,3 % du PIB, le déficit a atteint en moyenne 6 % du PIB au cours des trois dernières années, et la dette publique a dépassé le seuil de 100 % du PIB, atteignant 103,7 %. La confiance dans son leadership s’est encore affaiblie lorsqu’il a proposé un nouveau budget avec de nouvelles augmentations d’impôts.

Il a ainsi dilapidé un patrimoine qu’il avait constitué au fil du temps, un mélange de haute culture (Johnson, ancien journaliste, est latiniste et expert en histoire romaine) et d’idées dérangeantes poursuivies avec ténacité et courage. Comme le note Heath :

« Son échec le plus déroutant est probablement son incapacité à comprendre l’objectif du Brexit, un choix politique qui le caractérisera à jamais. Au lieu d’adopter un programme eurosceptique traditionnel en faveur de la croissance, il a choisi de singer le modèle économique européen, celui contre lequel nous nous sommes battus si fort ».

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