Dès le début de son pontificat, François avait clairement indiqué que même s’il ne parvenait à compléter toutes les réformes qu’il souhaitait (ou que d’autres souhaitaient pour lui…), l’important était « d’initier des processus » (*). Sur ce point au moins, il tient parole: la nomination de trois femmes au dicastère des évêques (dont une Française, sœur Yvonne Reungoat, et une laïque, l’Italienne, Maria Lia Zervino) va clairement dans ce sens, au pas avec « l’air du temps », une mesure destinée à plaire aux médias et au monde. Mais ce n’est pas si simple, l’Eglise n’est pas une simple organisation humaine. L’analyse critique, éclairée par le Magistère, de Luisella Scrosatti, qui parle de rien de moins que d’une « révolution vaticane ». Une de plus.

(*) Relire à ce sujet cet article passionnant du Père Scalese traduit sur ce site en 2016: Les quatre postulats de François

…S’agit-il d’un pas supplémentaire pour aller dans le sens d’un sacerdoce féminin, tout en accordant sans ordination ce qui ne peut être conféré que par l’ordination ?

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Luisella Scosatti

RÉVOLUTION VATICANE

Pasteurs choisis par les « brebis » : il y a un problème avec les laïcs et les femmes dans le dicastère.

Luisella Scrosatti
lanuovabq.it/it/pastori-scelti-dalle-pecore-ce-un-problema-con-laici-e-donne-nel-dicastero
15 juillet 2022

Inversion entre bergers et brebis : les brebis finissent par jouer le rôle des pasteurs, dans le choix de leurs propres pasteurs ; tant Jean-Paul II que Benoît XVI avaient mis en garde contre la cléricalisation des laïcs, en leur donnant des rôles et des ministères qui reviennent au contraire aux ministres sacrés. Le problème des trois femmes (une laïque) choisies par le pape dans le dicastère des évêques n’est pas un problème d’habileté et de compétence, mais d’ordre sacré. Une manœuvre inconsidérée pour  » moderniser  » l’Église ou un pas de plus vers le sacerdoce féminin?

Quota rose au Dicastère des évêques. Après la nomination en novembre dernier de Sœur Raffaella Petrini, des Sœurs franciscaines de l’Eucharistie, comme secrétaire générale du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, le moment est aujourd’hui venu de nommer trois femmes comme membres du Dicastère pour les évêques.

Le Pape avait annoncé la nomination de deux ladies (sic!) il y a à peu près une semaine lors d’une interview avec Phil Pullella de Reuters. Mais, comme on le sait, jamais deux sans trois ; et c’est ainsi que trois femmes partageront avec les autres membres, tous évêques (et un abbé), la responsabilité de la nomination des évêques, ainsi que la création, le regroupement ou la suppression d’églises locales et l’érection d’ordinariats militaires ou personnels, tâches propres au dicastère dirigé par le cardinal Marc Oullet.

Outre Sœur Raffaella Petrini, qui a déjà fait ses preuves, le quota rose sera également alimenté par la présence de la Supérieure générale des Filles de Marie-Auxiliatrice, Sœur Yvonne Reungoat, et de la sociologue argentine Maria Lia Zervino, présidente de l’Union mondiale des organisations féminines catholiques et membre de l’Ordo Virginum. La nouvelle a en général été bien accueillie, comme un signe de l’ouverture de l’Église catholique aux femmes et de la reconnaissance de leur contribution unique.

Il a également été souligné à juste titre que ces trois nominations sont conformes aux indications de réforme de la Curie romaine, exprimées dans la Constitution apostolique Praedicate Evagelium, publiée le 19 mars.

C’est le § 10 qui encourage la présence des laïcs dans les différents dicastères de la Curie, par le fait que « le pape, les évêques et les autres ministres ordonnés ne sont pas les seuls évangélisateurs de l’Église ». La Constitution souligne que « tout chrétien, en vertu de son baptême, est un disciple-missionnaire ‘dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu dans le Christ Jésus’ « . C’est pourquoi, dans le projet de mise à jour de la Curie, « l’implication des laïques et des laïcs [ndt: on n’est pas loin du jargon inclusif!] doit être envisagée, y compris dans des rôles de gouvernance et de responsabilité », dont la présence est même considérée comme « inévitable ».

Il y a un mais. Et le frère Gerard Murray, prêtre de l’archidiocèse de New York et canoniste, l’a souligné :

« La présence de laïcs dans la Congrégation des évêques est un gros problème. Les évêques de la Congrégation proposent au Pape les candidats à promouvoir comme évêques et ils le font sur la base du partage du gouvernement de l’Église, en tant que conseillers du Pape, étant eux-mêmes évêques ».

Le frère Murray explique qu’il y a ainsi une inversion entre les pasteurs et les brebis : les brebis finissent par jouer le rôle des pasteurs, en choisissant leurs propres pasteurs ; tant Jean-Paul II que Benoît XVI avaient mis en garde contre la cléricalisation des laïcs, en leur donnant des rôles et des ministères qui appartiennent plutôt aux ministres sacrés.

Le gouvernement, dans l’Église, ne peut être exercé légitimement que par des pasteurs, qui le deviennent par l’ordination sacramentelle. Il ne s’agit pas fondamentalement d’une question d’habileté et de compétence, mais d’ordre sacré. Lors de l’audience générale du 26 mai 2010, Benoît XVI a expliqué que le mot « hiérarchie » signifie

« origine sacrée », c’est-à-dire que cette autorité ne vient pas de l’homme lui-même, mais trouve son origine dans le sacré, dans le Sacrement ; elle soumet donc la personne à la vocation, au mystère du Christ ; elle fait de l’individu un serviteur du Christ et ce n’est qu’en tant que serviteur du Christ qu’il peut gouverner, guider pour le Christ et avec le Christ

C’est ce principe sacré qui crée le pasteur ; et le pasteur est tel

précisément en guidant et en gardant le troupeau, et parfois en l’empêchant de se disperser. En dehors d’une vision clairement et explicitement surnaturelle, la tâche de gouvernement propre aux prêtres n’est pas compréhensible.

Ce n’est pas un hasard si le chapitre IV du Code de droit canonique, consacré à la Curie romaine, est inclus non seulement dans la deuxième partie qui concerne « la constitution hiérarchique de l’Église », mais même dans sa première section, intitulée « l’autorité suprême de l’Église ». Les dicastères de la Curie romaine sont des organes du gouvernement de l’Église, et en particulier des évêques. Or, puisque le gouvernement de l’Église relève de la responsabilité des pasteurs et que l’on entre dans la hiérarchie de l’Église par les Ordres sacrés, la nomination de laïcs à des rôles de gouvernement dans l’Église ne peut manquer de soulever plus d’une question.

S’agit-il d’une manœuvre inconsidérée pour « moderniser » l’Église, en répondant à la demande croissante de donner plus de place aux femmes ? Ou bien s’agit-il d’un pas supplémentaire pour aller dans le sens d’un sacerdoce féminin, tout en accordant sans ordination ce qui ne peut être conféré que par l’ordination ?

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