Dans un entretien à rallonge avec deux journalistes d’une radio mexicaine, François disserte sur tout et n’importe quoi, en vrac. Objectivement, si l’on en croit les comptes-rendus, ses propos sont d’un intérêt médiocre et ne mériteraient même pas le long article qui suit, si ce n’est qu’ils illustrent bien son caractère, sa méthode, qui passe par l’utilisation des médias (à noter, il aborde le problème de la « papauté émérite », la relation avec Benoît XVI et la possibilité de sa propre démission, créant le doute et semblant contredire à demi ses affirmations précédentes). Aucune question gênante ne lui est posée (comme Macron le 14 juillet, interrogé lui aussi par deux journalistes femmes confites de respect), comme si toutes les questions lui étaient soumises par avance par des journalistes choisies par lui, de telle sorte que l’entretien n’a absolument pas le caractère de spontanéité qu’on veut nous faire croire.

Source: silerenonpossum.it

Ces derniers temps, à Sainte Marthe, il y a tout un va et vient de journalistes et de cameramen qui semblent se passer le témoin d’une interminable course de relais. Pourtant, la Domus Sanctae Marthae a été voulue par Jean-Paul II à des fins bien différentes. Après avoir accordé une interview à épisodes à l’agence de presse britannique Reuters, François s’exprime aux micros de Televisa-Univision. Interviewé par les journalistes mexicaines María Antonieta Collins et Valentina Alazraki, le pape a dit :  » Je n’ai pas l’intention de démissionner. Si cela devait arriver, je voudrais être appelé évêque émérite de Rome ».

L’interview

François a affirmé:

J’aime beaucoup le peuple cubain. J’ai eu de bonnes relations humaines avec le peuple cubain et j’avoue aussi que j’ai une relation humaine avec Raúl Castro. J’ai été heureux lorsque ce petit accord a été conclu avec les États-Unis, voulu à l’époque par le président Obama et accepté par Raúl Castro, et c’était un bon pas en avant, mais maintenant il s’est arrêté.

(…)

Pour l’instant, nous menons des entretiens exploratoires pour combler le fossé. Cuba est un symbole, Cuba a une grande histoire, je me sens très proche, également des évêques cubains.

Il a ensuite fait référence aux médias, après avoir été interrogé sur ce qu’il pense lorsqu’on le traite de « communiste »:

Certains groupes dans les médias sont très idéologisés et se consacrent à idéologiser la position des autres. Parfois, ils ne peuvent pas distinguer le communisme du nazisme, le populisme du popularisme. Quand on m’accuse de communisme, je réponds : « Comme c’est vieux jeu ». Ces accusations appartiennent au passé, je les considère comme dépassées. Ils sont le fait de petits groupes idéologiques ».

François est revenu sur le sujet de la guerre et a mis en garde contre le risque de voir le monde se précipiter vers une troisième guerre mondiale, affirmant que des « guerres sauvages de destruction » telles que celle qui fait rage en Ukraine se poursuivent depuis des années. « Depuis des années, nous vivons la troisième guerre mondiale par morceaux, par chapitres, avec des guerres partout, même si la guerre en Ukraine nous touche de plus près », a affirmé Bergoglio.

Concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le souverain pontife a dit qu’il préférait parler des victimes plutôt que des auteurs, « du pays attaqué » et des « choses sauvages que nous lisons et nous savons qui les fait ». Mais il n’a pas voulu faire de références explicites à la Russie ou à Poutine.

Il a dit qu’il était favorable à « laisser la porte ouverte à la conscience d’une personne » et a souri lorsqu’on lui a demandé de commenter ceux qui l’accusent d’être un « philistin ». « Je ris », a dit le pape. Il n’y a pas de limite à la capacité d’opinion des gens » et de nombreuses opinions sont basées sur le dernier fil Twitter, a-t-il déploré.

François a également évoqué le drame du Yémen et de la Syrie, la vie brisée de 30 000 soldats, les garçons morts lors du débarquement en Normandie, les conflits guerriers « qui nous sont imposés », qui montrent que « nous avons perdu la conscience de la guerre ».

Et « l’humanité continue à fabriquer des armes », a déploré le pape, soulignant que la guerre « asservit », déshumanise, et que, selon le catéchisme de l’Église catholique, « l’utilisation et la possession d’armes nucléaires sont immorales et nous ne pouvons pas jouer avec la mort à portée de main ».

Dans les autres parties de l’interview, il a parlé de la pandémie de coronavirus, de la guerre en Europe, des scandales d’abus sur mineurs dans l’Église, de l’avortement, et n’a pas éludé les questions sur son état de santé ou les rumeurs d’une éventuelle démission.

Justement à propos de démission, François a répété : « Je n’ai pas l’intention de démissionner. Pas pour le moment ». Interrogé par la journaliste Collins sur la durée de son pontificat, le pape a répondu qu’il avait pensé que ce serait un pontificat court « mais je ne m’en suis pas rendu compte et cela fait neuf ans ».

Son genou continue de poser des problèmes au souverain pontife, et dans cette interview, il a dit qu’il lui faisait mal, même s’il semble s’améliorer.

Mais, a dit le pape,

si je vois que je ne peux pas, que je suis malade ou que je suis un obstacle, j’espère être « aidé » à prendre la décision de me retirer.

Il a déclaré avoir « beaucoup de sympathie » pour la « bonté » du pape Benoît XVI, qui a quitté ses fonctions en 2013 et mène une vie de retraité, lisant, étudiant et écrivant à l’âge de 95 ans.

Répondant à une question sur la possibilité d’avoir une réglementation concernant la figure du Pontife émérite, Bergoglio a noté que « l’histoire elle-même aidera à mieux réglementer », « la première expérience s’est très bien passée », parce que Benoît XVI « est un homme saint et discret ». Mais pour l’avenir, « il faudra mieux délimiter les choses », « mieux les expliquer ». Concernant son éventuelle future démission, il a répondu qu’il ne retournerait pas en Argentine : « Je suis l’évêque de Rome, dans ce cas je serais l’évêque émérite de Rome ». Et sur la possibilité de se retirer à Saint-Jean-de-Latran, il a répondu que oui, « c’est possible ».

Enfin, concernant les scandales d’abus sexuels sur des mineurs, il a été très explicite en déclarant que « la marmite a été découverte » après le scandale des prêtres pédophiles dans l’Etat de Pennsylvanie (USA) et qu’ « aujourd’hui l’Eglise est devenue de plus en plus consciente », « elle a choisi de découvrir et nous ne serons pas complices » de ces crimes, a assuré François.

Quelques considérations

Concernant les déclarations de François sur la figure du Pape émérite, il faut rappeler que le Pape souligne souvent qu’il est d’abord évêque de Rome et ensuite Pape. D’une manière générale, il convient de souligner que le Pape ne peut être distingué de l’évêque de Rome et que, par conséquent, s’il y avait un Pontife émérite, il serait évêque émérite de Rome et Pape émérite. Les deux sont indissociables. Toutefois, comme François l’a clairement indiqué, cette affaire ne le concernera pas. Pour démissionner, un pape doit être humble, conscient de ses propres limites et avoir conscience de ce qui est bon pour l’Église. C’est ce qui fait de Benoît XVI une pierre angulaire, tant sur le plan théologique que philosophique, dont on ne pourra plus se passer à l’avenir. Il faut donc remercier Benoît pour son service humble et toujours clair à l’Église du Christ et pas seulement pour sa « bonté ». Ces dernières années, cette image de Ratzinger en bon grand-père est devenue un tantinet écœurante.

En ce qui concerne la question juridique, il appartiendra au Pape et non à d’autres de légiférer sur la figure du Pape émérite. Cela ne peut cependant pas se produire maintenant car, bien que beaucoup ici aient oublié le principe selon lequel la loi doit d’abord entrer en vigueur et qu’ensuite seulement on peut l’appliquer, on ne peut pas intervenir sur la vie de Benoît XVI alors qu’il vit cette condition. François ne retournerait donc certainement pas en Argentine, non pas parce qu’il est évêque de Rome mais parce que dans son pays, on a montré à plusieurs reprises qu’on ne voulait pas de lui. Combien d’évêques émérites décident de terminer leur vie dans leur pays d’origine ? Beaucoup. Si l’on veut « normaliser » la figure du pape, il faut le faire sans raconter de mensonges. Parmi ses nombreux voyages apostoliques, François n’a jamais pensé à retourner chez lui, il doit y avoir une raison. Saint Jean de Latran non plus n’est pas le bon endroit. Précisément parce que c’est le siège de l’évêque de Rome que l’on n’a jamais vu un évêque émérite vivre dans son Siège.

On ne peut qu’être d’accord avec François concernant la « discrétion » de Benoît XVI. Nous sommes certains que si les choses avaient été inversées [ndt: je comprends: Benoît XVI pape en exercice et François émérite], les interférences dans le pontificat auraient été nombreuses. Mais cela se produit également dans les diocèses lorsque certains évêques émérites rendent la vie impossible à l’évêque en place. Il faudrait ici penser à la spiritualité des gens, à leur capacité à comprendre que les rôles sont des services auxquels il ne faut pas rester collés. C’est pourquoi il faut penser à légiférer sur ce point, mais ce n’est certainement pas la tâche de professeurs laïcs ou même de doctorants qui ne savent même pas faire la différence entre un pape et un autre. Ce sont des questions qui doivent être traitées par le collège des cardinaux et le pape régnant.

Il faut aussi souligner que ces interviews, que le pape accorde, deviennent un peu comme la quatrième cuillerée de Nutella : un peu écœurantes. Les questions des journalistes sont toujours les mêmes et, manifestement, aucun sujet embarrassant n’est abordé. Les risques sont variés. Tout d’abord, on veut faire passer l’idée que ces entretiens sont à bâtons rompus, libres et spontanés, mais il est clair qu’on ne pose pas de questions « gênantes » au pape.

Que voulons-nous dire par là?

Nous nous référons, par exemple, à la condamnation de l’évêque Zanchetta en Argentine. François s’était adressé à la presse à ce sujet avant la condamnation, clamant son innocence totale, maintenant comment se fait-il qu’aucun journaliste n’ait le courage de lui demander ce qu’il pense de cette décision ? Ne serait-il pas opportun de demander à François si, à son avis, un évêque devrait être considéré comme « égal » aux autres citoyens et donc purger sa peine à l’intérieur d’une prison et non dans des structures ecclésiastiques ?

Nous nous référons à la mesure par laquelle il a retiré les droits du cardinalat à Son Éminence Révérendissime le Cardinal Giovanni Angelo Becciu. Pourquoi aucun de ces journalistes ne s’en prend-il à François pour lui demander pourquoi il a choisi de condamner un prince de l’Église avant même d’être certain de sa culpabilité ? Pourquoi n’y a-t-il personne qui demande au pape pourquoi il a autorisé certaines activités qui violent les droits humains fondamentaux? Pourquoi n’y a-t-il personne qui dise: Votre Sainteté, mais l’audience montre que vous saviez tout, à présent à quoi vous attendez-vous ?

Nous nous référons à l’acharnement qu’il a exercé contre les fidèles qui sont liés à la liturgie de Saint Pie V. Pourquoi les journalistes n’expriment-ils pas les demandes de milliers de croyants qui veulent simplement célébrer le rite qui leur semble le plus proche de leur sensibilité? François a toujours parlé de miséricorde et d’accueil, mais ces fidèles-là doivent-ils être tenus à l’écart du bercail du Christ ? Comment se fait-il que personne ne l’ait interrogé sur la Lettre Desiderio Desiravi, écrite par l’évêque franciscain Vittorio Viola [il est depuis le 5 juin 2022 Secrétaire du Dicastère pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements], dans le seul but de diaboliser l’ancien rite ? Pourquoi cette haine ? François parle de médias idéologisés, mais la lutte contre ce rite est une pure idéologie. Il y a des gens qui ont fait carrière grâce à ces disputes, des gens qui sont arrivés sur l’Aventin depuis la Ligurie [ndt: à quel prélat fait-on allusion ici??] alors qu’ils ne comprennent absolument rien à la liturgie.

Même à l’égard du président Biden, François a déclaré qu’il fallait l’aider à comprendre son incohérence. Le pape qualifie donc le président américain d’incohérent. Ces nouvelles aussi, certains journalistes se gardent bien de les publier en gros caractères et en gros titres. François, cependant, reste toujours sur cette ligne du dit/non dit, si Biden parraine l’avortement il le qualifie d’incohérent et l’invite à en parler à son évêque, mais quand on lui demande si l’action de l’archevêque Cordileone contre Nancy Patricia Pelosi est correcte, alors il dit « quand l’Eglise perd sa nature pastorale, quand un évêque perd sa nature pastorale, cela crée un problème politique ». Mais n’est-ce pas l’inverse ? N’est-ce pas Nancy Pelosi qui instrumentalise le Corps du Christ pour sa propre volonté politique ? Qu’y a-t-il de politique dans la décision d’un évêque d’appliquer les règlements de l’Église catholique ? Il semble presque que François s’exprime davantage sur les personnes que sur le sujet, et il ne manque aucune occasion de s’en prendre aux évêques qui clairement ne pensent pas comme lui.

Comment se fait-il qu’aucun de ces journalistes n’interroge François sur les embauches que Mauro Gambetti [*] est en train de faire au Vatican, favorisant ce climat de népotisme amoral que le pape a dit vouloir combattre ? Pourquoi personne ne demande au Pape une parole définitive sur l’homosexualité ?

La fake sur la mort du Saint-Père émérite

N’oublions donc pas que ce sont précisément les médias mexicains qui ont relancé hier une fake news sur la mort du souverain pontife émérite. Comme d’habitude, ces journalistes sont des sommités de l’information et, en tant que source autorisée, ils ont identifié un faux compte Twitter prétendant être celui de Son Excellence le Révérend Mgr Georg Bätzing. Nous espérons d’ailleurs que l’évêque allemand interviendra et condamnera cet acte grave, et demandera aussi que l’auteur soit poursuivi, car cela constitue un délit à ses dépens.

Journalisme ou servilité ?

Ces interviews posent donc un autre problème, déjà présent dans les médias accrédités auprès du service de presse : ceux qui disent du bien du Pape auront le  » privilège  » de l’interviewer. Cela comporte évidemment un risque énorme : les journalistes qui écriront sur ce qui se passe réellement au-delà du Tibre seront très peu nombreux. De fait, les journalistes Valentina Alazraki (qui a réalisé l’interview d’aujourd’hui) et Phil Pullella (qui a réalisé l’interview de Reuters ces derniers jours) ont reçu les titres de Dame et de Chevalier de la Grande Croix de l’Ordre Piano par François lui-même en novembre dernier.

Il est clair que rien de sincère ne pourra jamais émerger de ces entretiens, rien qui reflète réellement une volonté de faire la lumière sur certaines questions. Toujours en ce qui concerne les abus sexuels, nous savons très bien que l’Église traite aujourd’hui ces questions différemment des années passées, mais pourquoi aucun de ces journalistes n’interroge le pape sur des faits concrets ? Il est clair que la législation actuelle a changé et qu’elle est suffisante pour remédier à ces problèmes, mais pourquoi ne pas demander à Francis pourquoi certains de ses amis bénéficient d’un traitement préférentiel ? le vrai journalisme, c’est cela : un service à la Vérité. Sinon, c’est de la servilité.

Ndt

Mauro Gambetti, né le 27octobre 1965 à Castel San Pietro Terme en Italie, est membre de l’ordre des Frères mineurs conventuels depuis 1992; il occupe des postes de haut rang dans son ordre depuis 2009 et sert comme custode du Sacro Convento d’Assise depuis 2013. Il est créé cardinal en novembre 2020. Le 20 février 2021, il est nommé archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre de Rome, succédant ainsi au cardinal Angelo Comastri. L’auteur du présent article lui a déjà consacré un billet, faisant en particulier allusion au népotisme qu’il pratiquerait (silerenonpossum.it/nepotismo-vaticano-gambetti/), parlant même de family business)

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