Dans son entretien récent avec une chaîne de télévision mexicaine, François n’a pas totalement exclu la possibilité de démissionner (même s’il avait dit le contraire dans une précédente interview) et a expliqué que dans ce cas, il ne prendrait pas le titre choisi par Benoît XVI, pape émérite, mais celui d’évêque émérite. Andrea Gagliarducci essaie de décrypter ce qui se cache derrière cette appellation destinée à réglementer une situation inédite dans l’Église mais susceptible de se reproduire à l’avenir.

Pape François, la réforme de l’évêque émérite de Rome

Andrera Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-reform-of-the-bishop-emeritus-of-rome
Lundi 18 juillet 2022

Il y a un texte du cardinal Gianfranco Ghirlanda [né en 1982, il sera fait cardinal – donc non-électeur – en août prochain par François, ndt] qui date de 2013 et qui pourrait révéler le chemin que le pape François entend prendre avec les réformes. L’article a été publié dans La Civiltà Cattolica juste après la démission de Benoît XVI le 2 mars 2013, et concerne les procédures de l’Église pour la fin de la fonction du Pontife romain ainsi que l’élection d’un nouveau Pape. Le texte contient quelques indications qui pourraient s’avérer décisives prochainement, si le pape François modifie les règles relatives à la vacance du siège.

Les dernières déclarations du pape François ont incité à relire l’article de Ghirlanda. Dans une interview accordée à la chaîne de télévision mexicaine Televisa, le pape François a dit qu’il n’avait pas l’intention de renoncer au pontificat, mais que s’il le faisait, il prendrait le titre d’ « évêque émérite de Rome » et non de Pape émérite. Il a également fait savoir que le rôle devrait être mieux défini et que tout s’est bien passé avec Benoît XVI uniquement parce que c’était Benoît XVI. Par ailleurs, le pape François a également déclaré qu’il ne vivrait pas au Vatican, laissant entendre qu’il pourrait plutôt choisir comme résidence le palais du Latran. Un évêque de Rome, en fait.

Lorsque le pape François parle, il y a plusieurs niveaux de lecture. Le premier niveau concerne le sens immédiat des mots. Dans la pratique, le pape François montre qu’il a accepté mais n’a pas apprécié la décisions prise par Benoît XVI. Il n’aime pas que Benoît XVI soit resté vivre au Vatican, ni qu’il s’appelle lui-même Pape émérite. Qu’il veuille marquer une discontinuité ou qu’il veuille exprimer un désaccord, le pape François a clairement montré qu’il n’a pas été capable de gérer la situation.

On peut objecter que la situation n’a pas été gérée parce que le pape François lui-même n’a pas encore donné de cadre juridique à la figure du Pape émérite. Maintenant, il semble qu’il ait décidé de le faire, également parce que la réforme de la Curie l’a conduit à modifier les règles du Siège vacant. Mais tout est incertain, et rien n’est encore établi.

Cependant, le texte de Ghirlanda offre une perspective sur le raisonnement qui sous-tend les décisions du pape François. Dans son exposé, Ghirlanda se limite à observer que le titre correct pour un pape après une démission serait celui d’évêque émérite de Rome.

Le pape François accepte cette suggestion car elle est en solide continuité avec l’ensemble de son magistère. Dès le début, en apparaissant à la loggia des bénédictions, le pape François a souligné son rôle d’évêque de Rome. Pour souligner cet aspect, les documents officiels du pape sont désormais toujours signés à Saint Jean de Latran et non au Vatican.

L’évêque de Rome est pourtant le pape, et il a une responsabilité différente dans la vie de l’Église. Ghirlanda, dans son article, s’attarde beaucoup sur la possibilité de l’élection d’un pape qui n’est pas encore évêque et sur les diverses discussions qui ont eu lieu pour savoir si l’ordination épiscopale doit avoir lieu immédiatement ou s’il n’est pas nécessaire de l’ordonner immédiatement car le candidat est déjà investi de tous les pouvoirs.

Ghirlanda explique que la législation la plus stricte a finalement prévalu, établissant ainsi l’ordination épiscopale immédiate pour le pontife qui n’était pas encore évêque. Mais, souligne-t-il, beaucoup ne pensaient pas que c’était correct, et ils se référaient à Lumen Gentium et au magistère de Paul VI pour rappeler comment, désormais, les laïcs et les clercs avaient les mêmes responsabilités que tous les baptisés et que, par conséquent, l’approche ne pouvait plus être stricte, mais ouverte.

C’est la philosophie de la réforme de la Curie, qui établit que l’autorité n’est pas donnée par l’ordination épiscopale mais par la mission canonique. Le pape François voudra probablement aussi intégrer cette idée dans une réforme de l’élection du nouveau pape, en donnant à l’élection tout le charisme du pouvoir épiscopal. Il y aura probablement un besoin d’ordination épiscopale, mais pas immédiat.

Mais l’ordination épiscopale est aussi née de l’idée que le pape fait partie du collège des évêques, donc en unité substantielle avec les évêques dont il est le chef, et qui est aussi appelé à préserver la foi.

C’est de cette idée de collégialité qu’est venue la disposition selon laquelle les chefs de dicastère de la Curie romaine devaient être au moins archevêques ; que les nonces apostoliques, dans les lieux où ils étaient appelés à proposer des évêques, devaient avoir la dignité épiscopale ; que les cardinaux eux-mêmes devaient être au moins archevêques au moment de leur création (avec quelques exceptions accordées aux cardinaux âgés de plus de quatre-vingts ans, et qui ne voteront donc pas au Conclave).

Par conséquent, la réforme du Siège vacant, qui s’ajouterait à la réforme de la Curie, pourrait apporter des changements substantiels dans d’autres domaines. Par exemple, la possibilité de nommer un nonce « laïc » – on en parle depuis longtemps, même dans diverses campagnes anti-Eglise, et c’est une éventualité qui a toujours été rejetée jusqu’à présent – ou le fait que le Secrétaire d’Etat lui-même pourrait être un laïc.

Paradoxalement, la réforme « non-disciplinaire » – pour reprendre une catégorie de Ghirlanda – accentuerait le rôle central du Pape, dont le pouvoir n’est jamais remis en question. Le fait que le pape se définisse comme « évêque émérite » après une éventuelle démission ouvre la possibilité d’un pape beaucoup plus présent dans la vie de l’Église que ne l’était Benoît XVI. Un pape qui sera également capable d’influencer son successeur.

Pourquoi alors Benoît XVI a-t-il choisi le titre de Pape émérite ? Probablement parce qu’il pensait que le Pape ne pouvait pas retourner à la vie de cardinal puisque l’élection représente le fait de devenir le Vicaire du Christ sur terre, et que le Christ n’est pas descendu de la croix. Benoît XVI a interprété l’élection comme une nouvelle consécration épiscopale, dont il a pris l’habit (blanc) et le titre de pape.

Benoît XVI, ce faisant, a voulu mettre en valeur la collégialité des évêques, laissant place dans le futur à une réforme de la fonction du Pape émérite sans chercher à avoir une influence sur son successeur.

Benoît XVI a pensé à la collégialité et à la communion de l’Église et a tout arrangé de bonne foi, laissant son successeur libre de légiférer, s’il le souhaite.

Ainsi, de la réforme du Siège vacant, nous devons attendre une nouvelle législation pour la démission d’un pape et une nouvelle législation pour la gestion de la transition. D’un point de vue théologique, cependant, il pourrait s’agir d’un tournant pour l’Église, un changement de paradigme qui aurait l’avantage – pour le pape François – de permettre au pape d’intervenir. Egalement, dans sa succession.

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