Parmi les échanges, souvent surréalistes, niveau café du commerce, de la désormais classique conférence de presse aéroportée (en italien sur vaticannews.va), dans l’avion de retour du Canada (on notera pour l’anecdote celui, pathétique, avec la pauvre – façon de parler, évidemment – Pigozzi, qui n’en finit pas de chasser les ragots et qui devrait décidément prendre sa retraite, et la familiarité des journalistes qui interpellent le pape sans aucune formule de politesse, en l’appelant simplement « Pape François »), Luisella Scrosatti revient de façon détaillée sur les réponses de François (qui lui n’en finit pas de stigmatiser les catholiques traditionalistes, ayant inventé exprès une nouvelle insulte, « indietristes ») au sujet d’une « évolution » présumée du Magistère sur la contraception (voir Annexe). Illustration, à la fois prolongement et anticipation, de celui que j’ai traduit hier: Que faire quand le Pape change la doctrine?

Le magistère de la dissension sur la contraception

https://lanuovabq.it/it/il-magistero-del-dissenso-sulla-contraccezione

Lors de son voyage de retour du Canada, à une question sur les développements possibles sur le sujet de la contraception, le pape se réfère au magistère, qui portera un jugement sur les recherches des théologiens. Mais le magistère s’est déjà exprimé, même si ceux qui le rappellent sont accusés d’ « indietrismo » [néologisme bergoglien péjoratif destiné à stigmatiser et ridiculiser les fidèles attachés à la tradition, formé sur le mot indietro qui signifie « en arrière »], tandis que pour les théologiens dissidents, les portes sont grandes ouvertes.

John L. Allen [le porte parole du catholicisme progressiste, que mes lecteurs les plus anciens doivent connaître, ndt] avait déjà exposé la stratégie défensive dans son article du 13 juillet. Après notre attaque [voir site de la NBQ] sur le contenu de l’instrument de travail d’un séminaire organisé par l’Académie pontificale pour la vie en 2021 et aujourd’hui publié dans le livre Etica teologica della vita. Scrittura tradizione, sfide pratiche, Allen a préféré éviter d’aborder le fond, détournant l’attention sur le fait que l’instrument de travail n’est pas un document magistériel et qu’au fond, les Académies pontificales existent pour débattre, pas pour définir.

Le pape François, lors de son voyage de retour du Canada, poussé par une question de Claire Giangrave de Religion News Service, a adopté la même ligne. La journaliste espérait une « évolution de la doctrine de l’Église concernant les contraceptifs » et demandait à François s’il était ouvert à une « réévaluation » de l’interdiction totale, s’il existe « une possibilité pour un couple d’envisager des contraceptifs ».

Et il s’est bien gardé de donner cette réponse minimale qu’un pontife devrait donner à une telle question, à savoir que l’enseignement de l’Église sur la contraception ne peut être modifié, pour la simple raison qu’il y a « deux significations que Dieu Créateur a inscrites dans l’être de l’homme et de la femme et dans le dynamisme de leur communion sexuelle » (Familiaris Consortio, 32) ; des significations que les hommes ne peuvent donc pas séparer, se comportant « comme des ‘arbitres’ du plan divin », manipulant et avilissant « la sexualité humaine, et avec elle leur propre personne et celle de leur conjoint, altérant sa valeur de don ‘total’ « .

Tel est le minimum syndical qu’un pasteur de l’Église, a fortiori s’il est Souverain Pontife, aurait dû expliquer. Au contraire, François évite d’offrir la parole de vérité sur la question et s’engage dans un discours qui remet d’abord en question le développement dogmatique, en utilisant les mots de Saint Vincent de Lerins dans Commonitorium, pour ensuite en trahir en substance le sens et absoudre les théologiens qui sont les auteurs de l’instrument de travail mentionné ci-dessus, en les justifiant d’avoir simplement fait leur devoir de théologiens.

Venons-en aux paroles du Pape [on observera avec consternation le négligé de la forme qui préfigure le néant du fond, ndt]:

Le devoir des théologiens est la recherche, la réflexion théologique, on ne peut pas faire de la théologie avec un « non » devant soi . Ensuite ce sera au Magistère de dire non, tu as dépassé les limites, reviens, mais le développement théologique doit être ouvert, les théologiens (ils) sont pour cela. Et le Magistère doit aider à en comprendre les limites.

Il a ensuite ajouté :

Sur la question de la contraception, je sais qu’une publication est sortie sur cette question et d’autres questions matrimoniales. Ce sont les actes d’un congrès et dans un congrès il y a des thèmes posés, puis ils discutent entre eux et font des propositions. Il faut être clair : ceux qui ont fait ce congrès ont fait leur devoir, parce qu’ils ont essayé d’avancer dans la doctrine, mais dans un sens ecclésial, pas en dehors […]. Ensuite, le Magistère dira : « oui, c’est bon ou non ce n’est pas bon ».

Outre le soin déjà souligné du Pontife d’éviter toute prise de position en ligne avec l’enseignement de l’Eglise sur la contraception, deux difficultés au moins ne peuvent manquer de sauter aux yeux.

La première : notez les temps des verbes. « Ce sera le Magistère », « le Magistère dira » : est-il irrespectueux de demander au pape s’il ne s’est pas encore rendu compte que le Magistère s’est déjà prononcé de manière répétée et cohérente sur la question ? Casti Connubii, Humanae Vitae, Familiaris Consortio, pour ne citer que quelques encycliques. Les théologiens ne doivent pas faire de la théologie avec un « non » devant eux, comme le dit le pape, mais avec un « non » derrière eux, pour les guider dans l’approfondissement de la vérité révélée et les empêcher de tomber dans l’erreur. Et ceci n’est pas une limite à l’approfondissement théologique, mais une garantie qu’ils ne s’égarent pas. Or, pour éviter d’être confronté à ce fait, à un Magistère qui s’est exprimé à plusieurs reprises sur la question, le Pape commence à étiqueter ceux qui pensent tout simplement que le Magistère, quand il propose définitivement des vérités concernant la foi et la morale, doit être accepté et cru par tous les fidèles, les théologiens qui enseignent dans les universités pontificales et les pasteurs in primis.

Agiter à droite et à gauche l’accusation d’ indietrisme – un néologisme vide de contenu et, précisément pour cette raison, facilement applicable à tour de rôle à ceux qui s’opposent au fameux « lancement des processus » – ne sert qu’à jeter de la poudre aux yeux, à empêcher les gens de se rendre compte que le Roi est nu. Lorsqu’une personne parle ainsi, c’est qu’elle n’a plus rien de vraiment sérieux à dire:

Non, non, ils ne sont pas traditionnels, ils sont indietristes, ils vont à reculons, sans racines : on a toujours fait comme ça, au siècle dernier on a fait comme ça. Et l’indietrisme est un péché parce qu’il ne va pas de l’avant avec l’Église. Au contraire, quelqu’un a dit – je pense l’avoir dit dans l’un des discours – que la tradition est la foi vivante des morts, ces indietristes qui se disent traditionalistes, eux, sont la foi morte des vivants.

Le deuxième problème est étroitement lié au premier et concerne le rôle du théologien dans l’Église et ses relations avec le Magistère. Car il faut bien comprendre ce qui s’est passé à l’Académie pontificale pour la vie : il ne s’agissait pas d’un séminaire pour philosophes moralistes de divers horizons culturels, mais d’une rencontre de théologiens catholiques. Et l’instrument de travail, celui que nous avons critiqué et persistons à considérer comme étant en rupture flagrante avec l’enseignement de l’Eglise a été écrit par des théologiens catholiques, qui occupent des postes d’enseignement importants (…)

Une importante instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, datant de 1990, nous rappelle que le Magistère et le théologien ont la même finalité : celle de « conserver le Peuple de Dieu dans la vérité qui libère et d’en faire ainsi la ‘lumière des nations’  » (Sur la vocation ecclésiale du théologien, § 21 [une instruction signée « Joseph Cardinal Ratzinger »]). La même vérité investiguée et la même fin : c’est pourquoi une réelle divergence entre le Magistère et la théologie est fondamentalement impossible, surtout quand le théologien « reçoit la mission ou le mandat canonique d’enseigner » (ibid § 22).

Cela ne signifie pas que le théologien doive répéter comme un perroquet les déclarations du Magistère, mais « en tout cas une attitude fondamentale de disponibilité à accepter loyalement l’enseignement du Magistère, comme il convient à tout croyant au nom de l’obéissance de la foi  » (ibid § 29).

Aujourd’hui, par contre, l’attitude louée par le pape François correspond à celle des théologiens dissidents, qui au contraire « visent à changer l’Église », en faisant appel au pluralisme théologique. L’intervention au séminaire de Pier Davide Guenzi en est un exemple flagrant. L’Instruction défend la pluralité des expressions théologiques en raison du « mystère insondable du Christ qui transcende toute systématisation objective ».

Et pourtant, la revendication de ce pluralisme « ne saurait signifier que des conclusions » (ibid § 34) contraires au Magistère sont acceptables.

Être d’accord avec ces considérations, c’est être « indietriste » ? Peut-être juste parce qu’ils ont été écrits il y a trente ans ?

Annexe

L’échange sur la contraception dans l’avion de retour du Canada

https://www.vaticannews.va/it/papa/news/2022-07/papa-francesco-conferenza-stampa-aereo-canada-indigeni-genocidio.html

Claire Giangrave (RELIGION NEWS SERVICE): De nombreux catholiques, mais aussi de nombreux théologiens, estiment qu’une évolution de la doctrine de l’Église concernant les contraceptifs est nécessaire. Il semblerait que même votre prédécesseur, Jean-Paul Ier, ait pensé qu’une interdiction totale devait peut-être être reconsidérée. Que pensez-vous à cet égard, en d’autres termes : êtes-vous ouvert à une réévaluation dans ce sens ? Ou y a-t-il une possibilité pour un couple d’envisager des contraceptifs ?

François: C’est une chose très actuelle. Mais sachez que le dogme, la morale, est toujours sur un chemin de développement, mais dans un développement dans le même sens. Pour utiliser quelque chose de clair, je crois l’avoir déjà dit ici : pour le développement théologique d’une question morale ou dogmatique, il existe une règle très claire et éclairante. C’est ce qu’a fait plus ou moins Vincent de Lérins au Xe siècle. Il dit que la vraie doctrine pour avancer, pour se développer, ne doit pas être tranquille, elle se développe ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate. C’est-à-dire qu’elle se consolide avec le temps, elle se dilate et se consolide et devient stable mais toujours en progression.
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C’est pourquoi le devoir des théologiens est la recherche, la réflexion théologique, on ne peut pas faire de la théologie avec un  » non  » devant soi. Ensuite ce sera au Magistère de dire non, vous êtes allés plus loin, revenez, mais le développement théologique doit être ouvert, les théologiens (ils) sont pour cela. Et le Magistère doit aider à en comprendre les limites.
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En ce qui concerne la question de la contraception, je sais qu’une publication est parue sur ce sujet et d’autres questions matrimoniales. Ce sont les actes d’un congrès et dans un congrès il y a des questions posées, puis ils discutent entre eux et font des propositions. Il faut être clair : ceux qui ont fait ce congrès ont fait leur devoir, parce qu’ils ont essayé d’avancer dans la doctrine, mais dans un sens ecclésial, pas en dehors, comme je l’ai dit avec cette règle de saint Vincent de Lérins.
Alors le Magistère dira, oui c’est bon ou ce n’est pas bon.
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Mais cela concerne beaucoup de choses. Pensez par exemple aux armes atomiques : aujourd’hui, j’ai officiellement déclaré que l’utilisation et la possession d’armes atomiques sont immorales. Pensez à la peine de mort : aujourd’hui, je peux dire que nous sommes proches de l’immoralité, parce que la conscience morale s’est bien développée. Pour être clair : quand le dogme ou la morale se développe, c’est bien, mais dans ce sens, avec les trois règles de Vincent de Lerins. Je pense que c’est très clair : une Église qui ne développe pas sa pensée dans un sens ecclésial est une Église qui recule, et c’est le problème aujourd’hui, de tant de personnes qui se disent traditionnelles. Non, non, ils ne sont pas traditionnels, ce sont des « indiétristes », ils vont à l’envers, sans racines : on a toujours fait comme ça, au siècle dernier on faisait comme ça. Et l’ « indietrisme » est un péché parce qu’il ne va pas de l’avant avec l’Église. Au lieu de cela, quelqu’un a dit que la tradition – je pense l’avoir dit dans l’un des discours – la tradition est la foi vivante des morts, alors que ces « indiétristes » qui se disent traditionalistes, c’est la foi morte des vivants. La tradition est précisément la racine, l’inspiration pour aller de l’avant dans l’Église, et elle est toujours verticale. Et l’ « indietrisme » est un retour en arrière, il est toujours fermé. Il est important de bien comprendre le rôle de la tradition, qui est toujours ouverte, comme les racines de l’arbre, et l’arbre pousse… Un musicien a eu une très belle phrase : Gustav Mahler, il a dit que la tradition dans ce sens est la garantie de l’avenir, ce n’est pas une pièce de musée. Si vous concevez la tradition comme fermée, ce n’est pas la tradition chrétienne… c’est toujours le jus des racines qui vous fait avancer, avancer, avancer. C’est pourquoi, pour ce que vous dites, penser et porter la foi et la morale en avant, mais tant que cela va dans le sens des racines, du jus, c’est bien. Avec ces trois règles de Vincent de Lérins que j’ai mentionnées.

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