Le livre d’Andrea Cionci a attiré l’attention de Diego Fusaro (*), un intellectuel italien atypique, politiquement inclassable, qui, à très grands traits, incarne une proximité transversale entre la gauche anticapitaliste et la droite identitaire, et auquel sa jeunesse (et son physique!) concèdent une certaine présence médiatique. Dans un tweet, il salue « Un texte incontournable pour comprendre ce qui s’est passé au Vatican en 2013 et pourquoi Ratzinger est à ce jour le seul Pape ». Andrea Cionci, qui se réjouit de cet « endorsement » (sic!) de poids de sa théorie, l’a interviewé. Le philosophe propose une lecture plus ample de l’évènement de février de 2013, qui a vu Benoît XVI faire « non un pas en arrière devant les loups, mais un pas de côté pour contrer les pouvoirs du nihilisme relativiste »

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(*) Pour une fois, je vais citer sa notice wikipedia (très détaillée, en français!) qui, avec les précautions d’usage, permet de le situer, mettant en évidence une sorte de fil transversal entre des mouvances que tout devrait séparer (on pense à Michel Onfray et la sympathie qu’il suscite dans les milieux conservateurs, en particulier catholiques, mais il va bien plus loin que Michel Onfray!):

Diego Fusaro, né en 1983 à Turin, est un essayiste italien. (…) Il est diplômé à Turin en histoire de la philosophie, et obtient un doctorat en philosophie de l’histoire à l’Université Saint-Raphaël de Milan, avec une thèse sur Reinhart Koselleck.
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Un temps chercheur à l’Université de Bielefeld (Allemagne), Diego Fusaro se réclame entre autres de Karl Marx et d’Antonio Gramsci, mais aussi de Giovanni Gentile et Martin Heidegger.

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Il considère que l’opposition entre la gauche et la droite est dépassée à l’époque du capitalisme financier et du mondialisme, réunissant dans ses écrits et dans ses intervention un discours de gauche nationale, des idées de la droite sociale et des
sous-entendus complotistes [!!!].
Il s’oppose à l’euro, critique une dictature financière, que George Soros incarne à ses yeux, dénonce la théorie du genre, s’inquiète de l’immigration massive et soutient les mouvements anti-vaccination.
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Sa jeunesse et son style lui valent une forte présence télévisuelle et une notoriété médiatique.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Diego_Fusaro

Interview de Diego Fusaro par Andrea Cionci

20 août 2022
www.liberoquotidiano.it/articolo_blog/blog/andrea-cionci

Question: Professeur, qu’est-ce qui vous a convaincu dans ce livre, plutôt l’aspect canonique ou l’aspect lié au « message » du Pape Benoît ?

Réponse: J’ai été frappé par la structure raffinée qui unit les deux choses, la plus théorique et celle liée à l’analyse du Code Ratzinger, qui trouvent leur point de rencontre dans la Declaratio. La thèse forte selon laquelle le Pontife est toujours Benoît, qui n’a pas fait un pas en arrière devant les loups, mais un pas de côté pour contrer les pouvoirs du nihilisme relativiste, est soutenue, en parfaite harmonie, par l’échafaudage de l’analyse de ses  » codes « .

Q. Pourtant, dans divers milieux catholiques traditionnels-conservateurs, on constate une certaine résistance à comprendre un tel scénario-choc – mais, en fait, décisif…

R. Il y a le fait que les puissances anti-chrétiennes n’arrivent jamais de manière déclarée, mais plutôt de manière presque indiscernable du Christ et de son Vicaire, comme le représente parfaitement la fresque de Signorelli dans la cathédrale d’Orvieto, où l’Antéchrist est presque identique à Jésus.
Je dirais cependant, avec Mark Twain, qu’ « il est plus facile de tromper les gens que de leur faire comprendre qu’ils ont été trompés ». Beaucoup refusent d’admettre qu’ils ont été trompés par l’ « élection » de Bergoglio, même s’ils ont une forte aversion pour ce que – en paraphrasant Nietszche – j’appellerais sa « théologie au marteau » qui implique la dissolution de la doctrine catholique. Comprendre le Code Ratzinger et la réalité de la Sede impedita nécessite un travail conceptuel et herméneutique que peu sont prêts à faire.

Q. Un pape qui n’est pas le pape : peut-on imaginer une imposture plus titanesque sur le plan historico-politique ? L’illégitimité du « pape François » semble être la clé de voûte d’un système d’impostures plus vaste et plus général, qu’en pensez-vous ?

R. Bergoglio est certainement l’une des pierres angulaires du nouvel ordre du capitalisme mondial et constitue un centre fondamental de diffusion de la pensée unique politiquement correcte qui devient ainsi également « théologiquement correcte ». Je qualifierais Bergoglio de « Gorbatchev de l’Église de Rome » : pour la moderniser, il la détruit. L’Église doit être gardienne du depositum fidei, de la Parole du Christ, elle ne peut pas s’actualiser elle-même. Si elle s’ouvre au monde, elle se perd dans le monde: c’est ce qui s’est passé avec le Concile Vatican II. Le pape Ratzinger, à la tête de ce « petit reste » dont il parlait en 1969, tente de résister à la civilisation relativiste des marchés en s’appuyant sur la tradition philosophique et théologique catholique.
La tradition catholique, en revanche, trace une démarcation claire entre deux lignes de succession, la ligne papale, la sienne, et la ligne anti-papale de Bergoglio.

Q. Le « Code Ratzinger » est un livre qui s’adresse non seulement aux catholiques, mais à tous ceux qui se soucient de la vérité. Pourquoi les laïcs devraient-ils également répondre à cet « appel aux armes » ?

R. Je dirais qu’au fond, la question de la vérité ne fait pas de distinction entre les laïcs et les croyants : la vérité, à la manière hégélienne, s’atteint soit par le concept philosophique, soit par la représentation religieuse, théologique. Celui qui cherche la vérité fait par essence de la théologie, à tel point que, selon Aristote, théologie et philosophie coïncident dans la mesure où elles cherchent l’être, les principes premiers. Comme le dit Hegel, la philosophie et la théologie ont le même contenu, la vérité, l’absolu. Aujourd’hui, même un profane comprend que la seule chose qui peut s’opposer au néant athée de la civilisation de la technologie et de la consommation, avec sa circulation illimitée et autoréférentielle des biens, est la recherche de l’esprit, du transcendant. Quand Pasolini a lu le slogan publicitaire pour les jeans « vous n’aurez pas d’autres jeans que moi », il a écrit que la lutte de la civilisation de consommation libérale-nihiliste contre la religion avait commencé. Un affrontement final dans lequel l’Église résisterait ou capitulerait devant l’athéisme liquide de la civilisation de consommation.
La résistance de Ratzinger est une résistance héroïque, et pour la reconnaître et la soutenir, il importe peu d’être croyant. Il peut y avoir des athées de l’indifférence qui portent des habits ecclésiastiques – ou même papaux, comme dans le cas de Bergoglio – et des laïcs en civil qui ont au contraire une forte vocation de vérité. Le Vatican de Bergoglio est aujourd’hui le siège de l’athéisme liquide : par cette expression, j’entends l’attitude de ceux qui disent que Dieu existe et se comportent ensuite comme s’il n’existait pas.

Q. Peut-on dire que cet affrontement final entre la vérité et le mensonge fait écho à ce concept entre « le haut et le bas » dont vous parlez souvent ?

R. Je dirais que oui, mais dans un sens opposé à l’opposition symbolique ciel/terre : les groupes dominants (le haut) sont fondés sur cette dictature du relativisme – comme l’a appelé Ratzinger lui-même – et ils ne savent pas quoi faire de la vérité, mais doivent en disposer à tout prix. Le pouvoir néo-libéral doit tout réduire à la marchandise, et pour cette raison même, il ne peut accepter la survie du Sacré, de l’Éternel et du transcendant. Quantité, calcul, profit : les plus élevés, les plus nobles doivent prendre congé. Le haut doit mettre la religion en congé. Le bas est aux humbles : ceux qui appartiennent aux classes populaires sont ceux qui ont encore de leur côté la vérité et sa poursuite, conservant l’esprit de transcendance.

Q. Ceux qui ont lu le livre savent que la sede impedita sera un jour officialisée. Que se passera-t-il alors, à votre avis ?

R. L’important est qu’il y ait quelqu’un qui soit prêt à forcer la vérité à émerger Il existe une chape, comme l’appelle Marcello Veneziani, qui empêche la vérité d’émerger. Cela ne se fera pas sans l’engagement de tous ceux qui aiment la vérité. Je pense que des publications comme le « Code Ratzinger » sont indispensables, c’est pourquoi j’ai essayé de donner une diffusion au livre. Je travaille moi-même à un texte sur la dissolution du christianisme, bien qu’à une échelle plus grande que l’histoire, pourtant centrale, de Bergoglio qui est responsable de cette évaporation. Le thème de ma recherche concerne l’inimitié entre la religion de la transcendance et le fanatisme de l’économie de marché : avec Bergoglio et sa théologie du néant, le christianisme s’évapore et laisse place à la pensée unique de la civilisation technomorphe.

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