Je ne vais pas ajouter ma voix à celle des médias, tombés dans leur dérive logorhéique habituelle. La Reine est morte, et jusque dans la mort, elle reste un principe d’unité: quand tant d’autres (!) divisent, elle rassemble. C’est un fait, et tant pis (ou plutôt tant mieux) s’il heurte frontalement la perception que nous avons du Royaume-Uni, comme société ouverte, fragmentée, l’étendard du pire communautarisme. Preuve que tout n’est peut-être pas perdu: il reste encore une partie saine dans le grand corps malade qu’est notre monde aujourd’hui.
Les mêmes médias nous rappellent qu’elle a connu 15 premiers ministres, de Winston Churchill à Liz Truss. Ce simple rapprochement de noms nous fait mesurer la chute vertigineuse – l’abîme, même, qui sépare deux mondes que la Reine a traversés et d’une certaine manière incarnés pendant 70 ans. C’est sans doute la fin d’une époque, et pas uniquement symboliquement, la disparition du denier « katekon », même si c’était à son insu, et même si c’était malgré elle.

Pour ma part, je garde le souvenir de l’accueil magnifique qu’elle et le Prince Philip, avaient réservé à Benoît XVI lors du voyage apostolique au Royaume-Uni, du 16 au 19 septembre 2010.
Comme d’habitude à cette période, la Reine était à Balmoral, en Ecosse, là où elle vient de rendre son dernier soupir. Dans un geste de courtoisie totalement inédit, non prévu par le protocole, elle s’était rendue à l’aéroport de Glasgow pour accueillir le Saint-Père au pied de la passerelle. Les images sont éloquentes, et traduisent bien à quel point le courant était passé entre eux. Question de génération, sans doute, mais pas seulement.

Mise à jour

Au moment où j’écris ces lignes, je vois qu’AM Valli, qui était l’envoyé spécial de la RAI lors de la visite du Saint-Père a publié le discours de bienvenue de la Reine et la réponse de Benoît XVI.

Le discours de la Reine

Sainteté,

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Vous accueillir au Royaume-Uni, et en Écosse en particulier, à l’occasion de votre première visite en tant que Pape, me remplit de joie. Je me souviens avec plaisir de la visite pastorale mémorable de feu le pape Jean-Paul II dans ce pays en 1982.

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J’ai également des souvenirs très précis de mes quatre visites au Vatican et de mes rencontres avec vos prédécesseurs à d’autres occasions. Je leur suis très reconnaissante d’avoir accueilli de nombreux membres de ma famille avec une hospitalité aussi chaleureuse au fil des ans.

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Beaucoup de choses ont changé dans le monde au cours des 30 années qui ont suivi la visite de Jean-Paul II. Dans ce pays, nous apprécions profondément les efforts déployés par le Saint-Siège pour améliorer la situation en Irlande du Nord de manière extraordinaire.
Partout, la chute des régimes totalitaires en Europe centrale et orientale a permis une plus grande liberté pour des centaines de millions de personnes. Le Saint-Siège continue de jouer un rôle important dans les affaires internationales, en soutenant la paix et le développement, et en s’attaquant à des problèmes communs tels que la pauvreté et le changement climatique.

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Votre Sainteté, votre présence ici aujourd’hui nous rappelle notre héritage commun et la contribution chrétienne à l’encouragement de la paix mondiale et au développement économique et social des pays les moins prospères du monde.
Nous sommes tous conscients de la contribution particulière de l’Église catholique romaine, notamment à travers son ministère auprès des pauvres et des plus faibles de la société, son souci des sans-abri et l’éducation qu’elle dispense grâce à son vaste réseau d’écoles.

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La religion a toujours été un élément crucial de l’identité nationale et de la conscience historique de soi. Les relations entre les différentes confessions sont ainsi devenues un facteur clé de la coopération nécessaire dans et entre les États-nations. Il est donc essentiel d’encourager une compréhension mutuelle et respectueuse.
Nous savons par expérience que, grâce à un dialogue engagé, il est possible de surmonter les anciennes suspicions et d’établir une plus grande confiance mutuelle.

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Je sais que la réconciliation était un thème central dans la vie du cardinal John Henry Newman, pour lequel vous, Sainteté, célébrerez une messe de béatification dimanche prochain. Il a lutté contre les doutes et les incertitudes et sa contribution à la compréhension du christianisme continue d’influencer de nombreuses personnes.

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Je me réjouis que votre visite soit également l’occasion d’approfondir les relations entre l’Église catholique romaine, l’Église d’Angleterre et l’Église d’Écosse.

Sainteté, vous avez récemment déclaré que « les religions ne peuvent jamais devenir des véhicules de haine, que la violence et le mal ne peuvent jamais être justifiés en invoquant le nom de Dieu ». Aujourd’hui, dans ce pays, nous sommes unis sur cette position. La liberté de religion est au cœur de notre société tolérante et démocratique.
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Au nom du peuple du Royaume-Uni, je vous souhaite une visite aussi fructueuse et mémorable que possible.

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https://www.aldomariavalli.it/2022/09/08/elisabetta-ii-la-regina-che-conobbe-cinque-papi/
Le discours du Pape

Majesté,

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Merci pour votre aimable invitation à effectuer une visite officielle au Royaume-Uni et pour vos mots chaleureux de bienvenue au nom du peuple britannique. Tout en remerciant Votre Majesté, permettez-moi d’étendre mes salutations personnelles à l’ensemble du peuple du Royaume-Uni et de tendre une main amicale vers chacun.

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(…)

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Le nom de Holyroodhouse, résidence officielle de Votre Majesté en Écosse, rappelle la ‘Sainte Croix’ et indique les profondes racines chrétiennes qui restent présentes dans toutes les strates de la vie britannique. Les monarques d’Angleterre et d’Écosse ont été chrétiens très tôt, et on compte parmi eux des saints exceptionnels comme Édouard le Confesseur et Marguerite d’Écosse. Comme Vous le savez, beaucoup parmi eux ont exercé consciencieusement leur souverain devoir à la lumière de l’Évangile, et, ils ont ainsi façonné très profondément la nation vers le bien. Le message chrétien est ainsi devenu partie intégrante de la langue, de la pensée et de la culture des populations de ces îles depuis plus de mille ans. Le respect de vos ancêtres pour la vérité et la justice, pour la miséricorde et la charité qui vous a été transmis vient d’une foi qui reste une force puissante pour le bien dans Votre royaume, au grand bénéfice des chrétiens comme des non-chrétiens.

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Nous trouvons plusieurs exemples de cette tension vers le bien à travers la longue histoire de la Grande-Bretagne. Même en des périodes relativement récentes, grâce à des personnalités comme William Willberforce et David Livingstone, la Grande-Bretagne est intervenue directement dans l’abolition du commerce international des esclaves. Inspirées par leur foi, des femmes comme Florence Nightingale, ont servi les pauvres et les malades et ont créé de nouveaux modèles de soins médicaux, qui, par la suite, ont été imités partout. John Henry Newman, dont je célébrerai bientôt la béatification, fut un des nombreux chrétiens britanniques de cette époque, dont la bonté, l’éloquence et l’action ont fait honneur aux hommes et aux femmes de leur pays. Ces personnalités, et tant d’autres encore, étaient inspirées par une foi profonde qu’ils avaient reçue et nourrie dans ces îles.

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Même dans notre propre vie, nous pouvons nous rappeler combien la Grande-Bretagne et ses dirigeants ont combattu la tyrannie nazie qui cherchait à éliminer Dieu de la société, et qui niait notre commune humanité avec beaucoup jugés indignes de vivre, en particulier les Juifs. J’évoque aussi l’attitude du régime envers des pasteurs et des religieux chrétiens qui ont défendu la vérité dans l’amour en s’opposant aux Nazis et qui l’ont payé de leurs vies. En réfléchissant sur les leçons dramatiques de l’extrémisme athée du XXème siècle, n’oublions jamais combien exclure Dieu, la religion et la vertu de la vie publique, conduit en fin de compte à une vision tronquée de l’homme et de la société, et ainsi à « une vision réductrice de la personne et de sa destinée » (Caritas in Veritate, n. 29).

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Il y a 65 ans, la Grande-Bretagne joua un rôle essentiel en suscitant le consensus international de l’après-guerre qui favorisa la création des Nations-Unies et inaugura une période de paix et de prospérité jusqu’alors inconnue en Europe. Plus récemment, la communauté internationale a suivi de près les événements en Irlande du Nord qui ont conduit à la signature de ‘l’Accord du Vendredi Saint’ et à la délégation des pouvoirs à l’Assemblée de l’Irlande du Nord. Le Gouvernement de Votre Majesté et le Gouvernement de l’Irlande, en collaboration avec les dirigeants politiques, religieux et civils de l’Irlande du Nord, ont aidé à donner naissance à une résolution pacifique de ce conflit. J’encourage tous ceux qui y sont impliqués à continuer de marcher ensemble courageusement sur le chemin déjà tracé vers une paix juste et durable.

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En regardant vers l’étranger, le Royaume-Uni demeure une réalité importante politiquement et économiquement sur la scène internationale. Votre Gouvernement et votre peuple ont forgé des idées qui ont encore un impact bien au-delà des Îles britanniques. Cela leur confère le devoir particulier d’agir avec sagesse en vue du bien commun. De même, parce que leurs opinions atteignent une audience aussi large, les médias britanniques ont une responsabilité plus lourde que la plupart des autres médias, et une plus grande opportunité pour promouvoir la paix entre les nations, le développement intégral des pays et la propagation d’authentiques droits de l’homme. Puissent tous les Britanniques continuer d’être animés par ces valeurs d’honnêteté, de respect et d’impartialité qui leur ont mérité l’estime et l’admiration de beaucoup !

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Aujourd’hui, le Royaume-Uni s’efforce d’être une société moderne et multiculturelle. Dans ce noble défi puisse-t-il garder toujours son respect pour les valeurs traditionnelles et les expressions de la culture que des formes plus agressives de sécularisme n’estiment ni ne tolèrent même plus ! Qu’il n’enfouisse pas les fondements chrétiens qui sous-tendent ses libertés ; puisse aussi ce patrimoine qui a toujours servi le bien de la nation, inspirer constamment l’exemple que Votre Gouvernement et Votre peuple donne aux deux milliards de membres du Commonwealth et à la grande famille des nations de langue anglaise à travers le monde !
Que Dieu bénisse Votre Majesté et le peuple tout entier de votre royaume.

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Merci.

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https://www.vatican.va
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