Roberto de Mattei (dont je n’ai pas partagé les choix et les prises de position lors de la pandémie, qui a décidément été un puissant facteur de division, jusque dans les familles!) nous offre aujourd’hui une magnifique analyse de la disparition de la Reine et du sens de l’hommage presque unanime qui lui est rendu dans la mort, en dépit de ses limites humaines et des fautes de l’institution qu’elle incarnait. Ce qui fascine le monde, c’est la sacralité attachée à la dignité royale qui se reflète dans un cérémonial antique et pourtant actuel. Une sacralité qui devrait avoir son expression la plus aboutie là où elle trouve « sa source primordiale », dans l’Eglise catholique, au moment où celle-ci subit avec François un processus accéléré de sécularisation et, précisément, de désacralisation sans précédent.

Les funérailles d’Elizabeth II et le couronnement de Charles III.

Lueurs de sacralité à l’ère de la sécularisation

La nouvelle du décès de la reine Elizabeth II d’Angleterre à 96 ans a rempli les premières pages de la presse internationale. L’attention se concentre désormais sur ses funérailles, qui auront lieu le 19 septembre, et sur le couronnement du nouveau souverain Charles III, qui aura lieu dans quelques mois.

L’espace que les journaux ont accordé à cette nouvelle reflète l’intérêt de l’opinion publique du monde entier pour la figure de la défunte reine et ce qu’elle a représenté pendant ses 70 ans de règne. Quelles sont les causes de ce consensus populaire et dans quelle mesure peut-il être partagé ? Afin de pouvoir formuler un jugement global, il est nécessaire de distinguer plusieurs aspects, différents les uns des autres, bien que naturellement liés.

Le premier aspect concerne Elizabeth II en tant que femme et en tant que reine. C’est l’aspect qui a le plus frappé l’opinion publique. Élisabeth, au cours de sa longue vie, a représenté un modèle de féminité, en raison de sa grâce, de sa discrétion et de son souci de sa famille, dont elle a eu plus de problèmes que de satisfactions. En outre, à une époque où la classe politique occidentale a perdu toute crédibilité en raison de sa corruption et de son carriérisme, Elizabeth a montré ce que signifie être une Reine, en faisant passer les intérêts de sa nation avant les siens. Cela est dû non seulement à son caractère, mais aussi à la force de son éducation, car on naît Roi, on ne le devient pas, grâce à la loi indestructible de l’hérédité. Elle a donc incarné la distinction et l’élégance des manières, mais surtout la dignité et le sens du devoir d’une Reine. « Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous », a-t-elle déclaré à ses futurs sujets lors d’un discours radiodiffusé prononcé le jour de son 21e anniversaire en avril 1947. Elle a tenu cette promesse. Il est peut-être exagéré de dire qu’elle a « sauvé » la monarchie britannique, mais elle l’a certainement soutenue. Il fut un temps où la faiblesse des hommes s' »appuyait sur la force des institutions, familiales et politiques. Aujourd’hui, au contraire, il faut un véritable héroïsme des hommes et des femmes pour porter le poids des institutions sur leurs épaules. Sans esprit de sacrifice, ni une famille ni une dynastie ne peuvent être soutenues. Et dans l’ère post-moderne, la figure d’Elizabeth Windsor s’impose comme celle d’une femme qui a marqué sa vie et son règne par le sacrifice et le dévouement au bien commun de son pays, entretenant ainsi l’attachement de son peuple à la monarchie.

Il ne faut pas oublier que quinze ans avant son accession au trône, la monarchie anglaise avait été secouée par le cas du roi Édouard VIII, le duc de Windsor, qui avait abandonné sa mission historique, déposant sa couronne pour poursuivre la fable d’un amour petite-bourgeois avec la sans scrupules Wallis Simpson, divorcée et même non baptisée. En 1936, le primat de Canterbury, Cosmo Gordon Lang, avait été le plus farouche opposant au mariage d’Edouard, au nom du principe, partagé par la famille royale, que le mariage ne pouvait être dissous que par la mort. Ses successeurs à Canterbury, notamment Michel Ramsay, Robert Runcie et l’actuel primat Justin Welby, ont accepté non seulement le divorce, mais aussi le « mariage gay » et l’ordination sacerdotale des femmes et des homosexuels, réduisant ainsi l’Église anglicane à un lumignon, comme l’a rapporté l’hebdomadaire britannique The Spectator dans de nombreux articles. Elizabeth était officiellement à la tête de l’église anglicane, dont elle a dû suivre le processus de décadence à contrecœur, mais ce sont les autorités ecclésiastiques et politiques de son pays, et non elle, qui sont à blâmer pour le processus de décadence culturelle et morale du Royaume-Uni.

Nous en arrivons au deuxième point. Il ne faut pas confondre la Reine Elizabeth avec l’Angleterre et son histoire. L’Angleterre, comme toutes les nations européennes, avait une grande vocation, à laquelle elle a tourné le dos au XVIe siècle avec l’apostasie d’Henri VIII. Depuis lors, mais surtout entre le XVIIIe et le XIXe siècle, l’Angleterre a pris la tête du processus révolutionnaire qui a attaqué l’ordre social chrétien. L’Angleterre a persécuté les catholiques, a été le foyer de la franc-maçonnerie et a financé notre « Risorgimento ». Le nouvel État unitaire italien, entre 1861 et la Première Guerre mondiale, s’est tourné vers l’Angleterre comme modèle politique, capable de concilier les intérêts de la monarchie et ceux de la révolution libérale. En 1967, l’Angleterre a été, après la Russie, le premier pays à introduire l’avortement dans sa législation (aujourd’hui, il est également possible de se faire envoyer la pilule abortive par la poste) et au cours des vingt dernières années, elle a pris la tête de la diffusion de la culture de mort hédoniste et relativiste, bien qu’avec l’opposition de puissants mouvements pro-vie.

Le peuple anglais a néanmoins conservé, à la différence des autres peuples européens, certaines qualités anciennes, telles que le courage, la détermination, la ténacité, mais aussi la conscience de sa propre identité et de ses traditions : une conscience nationale d’autant plus forte que l’Empire, devenu un Commonwealth de nations, commençait à se désintégrer.

Et nous en arrivons au troisième point. Dans les ténèbres de la décadence morale du Royaume-Uni, une lumière brille encore : c’est le reflet lointain de l’Angleterre d’autrefois, l’Angleterre catholique, qui a transmis au fil des siècles les anciennes cérémonies médiévales régissant la mort et le couronnement d’un roi. Ces cérémonies étaient communes à tous les royaumes catholiques avant la Révolution française. L’historien Marc Bloch, rappelle qu’en Grande-Bretagne, elles remontent à Egbert, oint au concile de Chelsea en 787, en présence de légats pontificaux (Les Rois thaumaturges, Librairie Istra, Strasbourg-Paris 1924, pp. 464-467) et un autre historien, Percy Ernst Schramm, a décrit la cérémonie du couronnement depuis le début du Moyen Âge jusqu’à nos jours, selon un rituel décrit par saint Dunstan pour le couronnement du roi Edhar en 973 (A History of the English Coronation, Clarendon Press, Oxford 1937).

La reine Elizabeth a été couronnée le 2 juin 1953, bien qu’elle soit montée sur le trône le 6 février 1952. Les préparatifs ont duré cinq mois. Les préparatifs du couronnement de son successeur ne sont pas moins minutieux. Le duc de Norfolk, premier duc du royaume et maréchal héréditaire d’Angleterre, descendant d’une famille qui a toujours été attachée à la foi catholique, a pour mission d’organiser les funérailles d’Elisabeth et le couronnement de Charles III. Les éléments essentiels du couronnement n’ont pas changé au cours des siècles. Le souverain est oint des huiles saintes, investi des symboles de la souveraineté et couronné avant de recevoir l’hommage féodal devant le millier de pairs du royaume, revêtus de leurs manteaux de velours et d’hermine. Tout cela nous ramène aux splendeurs du Moyen Âge, où les robes aux couleurs vives, le son des trompettes et des tambours, les acclamations et les proclamations, les processions à pied et à cheval, faisaient partie du mode de vie de la société.

Le Professeur Plinio Corrêa de Oliveira a salué le couronnement de la Reine Elizabeth en écrivant que l’homme contemporain, blessé et malmené dans sa nature par un niveau de vie construit sur des abstractions, des chimères, des théories vaines, était fasciné par le mirage d’un passé aristocratique et anti-égalitaire si différent du terrible présent,  » non pas tant par nostalgie du passé, que pour certains principes de l’ordre naturel que le passé respectait, et que le présent viole à chaque instant  » (Catholicisme, 31 juin 1953).

Nous saluons le couronnement de Charles III avec la même appréciation, non pas par estime pour le nouveau souverain, ni pour l’histoire anglaise des siècles passés, mais par admiration pour un cérémonial ancien qui reflète la beauté de l’Église catholique.

Alors qu’avec le pape François, le processus de sécularisation de l’Église atteint son point culminant, dans les funérailles de la reine Elizabeth et le couronnement de son successeur, il subsiste des lueurs de sacralité, qui précisément dans l’Église catholique ont leur source primordiale. C’est l’amour pour l’Église qui, en fin de compte, nous fait ressentir le merveilleux, alors qu’un souverain meurt et qu’un autre monte sur le trône royal.

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