Les critiques (limitées) de Mgr Schneider, qui aborde aussi le problème plus large du rôle des évêques face au Pape. Et l’analyse, plus radicale de Stefano Fontana, qui condamne non seulement « l’esprit » de l’évènement (et la crainte sous-jacente d’une possible mauvaise interprétation) mais son existence même, au-delà de la participation de François – qui cautionne ici une fois de plus par sa présence que toutes les religions se valent.

Le Pape François au « supermarché » des religions

Stefano Fontana
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La participation du Saint-Père au Congrès des chefs religieux alimente l’idée répandue qu’en fin de compte une religion vaut l’autre : un indifférentisme étranger à l’Église et à la raison, puisque si toutes sont vraies, aucune ne l’est. L’archevêque Athanasius Schneider le dit sans ambages et rappelle que les évêques doivent parler franchement, même au successeur de Pierre.

Ces derniers jours, avant même l’ouverture dans la capitale du Kazakhstan du VIIe Congrès des chefs des religions mondiales et traditionnelles, qui s’est achevé le 15 septembre, la Bussola avait exprimé non seulement sa perplexité mais aussi des critiques de fond sur l’initiative et, surtout, mais pas seulement, sur l’opportunité de la participation de François. Le congrès terminé, Mgr Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de Nur-Sultan, anciennement Astana, lieu du congrès, a lui aussi exprimé ses propres évaluations, en disant en substance deux choses.

Tout d’abord, l’événement a pu donner l’impression qu’il existe un « supermarché des religions » dans lequel chacun peut choisir la sienne dans les rayons. L’image du supermarché des religions, qui n’est pas nouvelle, exprime néanmoins bien la tendance dominante aujourd’hui à considérer la liberté religieuse comme la situation du client devant le rayon. L’Église catholique ne peut souscrire à cette tendance et, avec elle, pas non plus la raison. Cette dernière nous dit déjà que le devoir de chercher Dieu, qui sous-tend le droit à la liberté religieuse, est ancré dans les finalités de la nature humaine. Elle n’est pas ouverte à une divinité quelconque, elle ne s’adresse pas à un monde générique du « Divin » – malheureusement, cette expression a été utilisée par François lui-même dans ses discours à Astana – mais au vrai et unique Dieu, objet de la recherche de la vraie raison. Approcher, après cette recherche, de formes de paganisme – par exemple – ne répond pas à l’inclination naturelle à chercher Dieu, et ne réalise pas la véritable liberté de religion. Schneider a donc raison de rappeler ce point.

Sa deuxième affirmation concerne la relation des évêques avec le pape. Schneider a dit que les premiers ne sont pas des « employés » du pape – et donc des exécutants tacites et passifs, ajouterions-nous – mais des frères, et que si en bonne conscience un évêque voit des lacunes dans ce que le pape dit ou fait, il fait bien de le lui dire, avec tout le respect qui lui est dû. C’est le pape lui-même, ajoute Schneider non sans un accent polémique, qui appelle à la franchise et à la synodalité. Dans cet esprit, il a souhaité qu’à l’avenir le Pape ne participe plus à de tels rassemblements.
Nous nous associons nous aussi à ce souhait, tout en estimant qu’il est humainement difficile à réaliser, compte tenu des prémisses et des nombreuses expressions de convictions de François en la matière. Nous nous associons également au souhait que l’ensemble des évêques se libèrent de la conviction d’être des « employés » du pape et, en tant que successeurs des apôtres, interviennent sur les questions doctrinales, comme celle du dialogue interreligieux.

Pour beaucoup, les affirmations de l’archevêque Schneider ont été tranchantes, voire, selon certains, courageuses. Sans nier ces aspects, d’autres – et parmi eux l’auteur de ces lignes – les ont jugés somme toute timides, comme si l’on voulait seulement souligner le danger possible d’une mauvaise compréhension du sens véritable de la présence du pape à Nur-Sultan, mais pas de l’événement lui-même. Au contraire, c’est précisément cet événement qui doit être radicalement contesté, et pas seulement son éventuelle mauvaise interprétation.

On se souviendra que dans la déclaration d’Abu Dahbi, François avait souscrit à l’expression selon laquelle Dieu veut les différentes religions. L’archevêque Schneider lui-même lui avait demandé de rectifier l’expression comme étant incorrecte. Une rectification effective n’a – bien entendu- jamais eu lieu. Aujourd’hui, l’adhésion au Congrès de Nur-Sultan, avec son acceptation de la pluralité des religions comme une chose positive, confirme à nouveau cette conception. Il ne s’agit donc pas seulement du danger de comprendre l’événement comme un supermarché des religions, mais de penser que Dieu est le patron du supermarché. Mais si c’était le cas, cela signifierait que l’Église catholique a oublié que notre situation est déchue et que la révélation parle d’un péché originel qui a produit cette situation dans laquelle les religions sont nombreuses. A moins que nous ne pensions que dans l’Eden il y avait un pluralisme religieux.

Le grand malheur est qu’aujourd’hui, dans l’Église, on pense que la situation actuelle de l’humanité est « normale » et que Dieu nous a créés tels que nous sommes. Derrière des événements tels que celui du Kazakhstan, et derrière l’adhésion des dirigeants de l’Église catholique à leur orientation, se cache cette grande erreur fondamentale qui transforme toute la théologie catholique. Il s’agit donc de bien plus qu’un « possible malentendu », comme l’a déclaré l’archevêque Schneider.

Il faut aussi rappeler que si les religions sont nombreuses, non pas à la suite d’une chute originelle, mais « naturellement » nombreuses, et qu’elles le resteront à jamais, il faut les considérer toutes comme vraies, même si elles disent des choses très différentes et parfois opposées. Or, tenir pour vraies toutes les affirmations différentes et opposées, c’est se désintéresser de leur vérité, en l’occurrence de la vérité des religions. Mais être indifférent à la vérité des religions, c’est être athée, de surcroît un athée de la pire espèce, l’athéisme postmoderne de l’indifférence.

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