Cet autre commentaire de Marcello Veneziani a été écrit le 23 septembre, il est donc antérieur à celui que j’ai traduit tout à l’heure; il s’adresse à ceux qui (à l’instar d’AM Valli) étaient tentés par l’abstention, ou plutôt le « non-vote ». Non par indifférence, mais plutôt par découragement, réflexe du « à-quoi-bon », ou crainte d’une déception.. Même si le vote est aujourd’hui derrière nous, la réflexion de MV garde toute sa pertinence, car si elle met en évidence toutes les limites de cette droite, pas si « de conviction » que cela, elle énumère aussi les raisons qu’on a de compter malgré tout sur elle, pour tenter de mettre un obstacle (pas un terme, ne rêvons pas!) au cercle de coercition et de politiquement correct où les « super-pouvoirs » veulent nous enfermer, et briser la spirale de la défaite organiquement attachée à la droite (même si l’exemple de Trump fait réfléchir…) . Bref, pour saisir « une occasion à ne pas manquer ».

Une occasion à ne pas manquer

Allez, pour une fois, fermons les yeux, suspendons notre esprit critique et disons : pourvu que Giorgia Meloni gagne. Pourvu que le centre-droit ait une majorité absolue. Malgré tout et tous. Disons cela après avoir exprimé au fil des ans des critiques approfondies et raisonnées, après avoir reconnu les raisons de ceux qui s’abstiennent ou votent en signe de protestation, et après avoir promis que, dans la période précédant le vote, nous réfrénerions toute impulsion de dissidence, même après avoir entendu des absurdités ou des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord (et il y en a).

Mais pour la première fois dans l’histoire de notre république, longue de plus de 76 ans, il est possible, il est probable, qu’un leader de droite dirige un gouvernement de la république et que son parti de droite devienne le premier parti par le soutien populaire. Pour la première fois, une femme… Nous ne pouvons tout simplement pas tourner le dos maintenant, faire marche arrière, même si les impulsions et les raisons ne manquent pas. Ces votes ont une perspective claire et élémentaire : soit Meloni gagne avec sa coalition, soit c’est le retour des gouvernements arc-en-ciel guidés par les euro-techniciens et l’hégémonie du PD. Vous me direz que même un gouvernement Meloni pourrait éventuellement être téléguidé et de toute façon fortement conditionné ; je suis d’accord avec vous, mais l’alternative est de renoncer maintenant à une victoire du peuple et de se résigner au fait que le pouvoir reprendra le gouvernement, immédiatement, en le faisant payer à ce peuple.

Pour ceux qui ont été toute leur vie « à droite », dans l’opposition ou quel que soit le nom qu’ils préfèrent, il serait absurde de reculer maintenant, de croire d’emblée que les partis sont tous les mêmes et que le vainqueur trahira. On peut s’en douter, mais on ne peut pas a priori rejeter le pari et surtout rejeter la victoire historique et symbolique en jeu. Il y en a qui ont passé leur vie avec la droite, avec l’opposition, avec Alleanza Nazionale, Movimento Sociale, La Fiamma et le Fronte della gioventù, [ndt: mouvements sociaux de la droite « infréquentable »; les liens renvoient à wikipedia, juste pour une chronologie], en payant même le prix, et maintenant que des représentants de ce monde-là entrent enfin au gouvernement, que faites-vous ? Allez-vous manquer votre rendez-vous avec l’histoire, vous retirer ou voter ailleurs, sachant que cela ne changera rien? Vous avez de très bonnes raisons d’être critique, nous l’avons également écrit dans ces colonnes ; vous avez accumulé déceptions justifiées et blessures de ce monde-là, mais ce serait une farce et une absurdité que vous ne participiez pas maintenant à un passage historique aussi important dans la vie de l’Italie et dans votre propre vie. Parce que c’est votre vengeance, celle de ce peuple, avant celle de Meloni et de ses alliés et dirigeants. En choisissant de rester dehors et contre, y compris le jour où l’histoire peut donner le spectacle d’un tournant historique, vous acceptez la coïncidence théorique et réelle entre la droite et l’éternelle défaite. « Si on n’est pas un perdant, on n’est pas de droite, la seule droite que nous aimons est celle qui habite les cieux ou la mémoire »… Au moins, pour une fois, la curiosité de voir ce que ça donne en choisissant un autre chemin.

Nous n’avons jamais nourri d’illusions, d’espoirs indus ; par amour de la patrie, nous avons suspendu pendant la campagne électorale toutes les perplexités et les désaccords que nous recommencerons à exprimer dès la fermeture des bureaux de vote et l’ouverture de la nouvelle phase. Mais le raisonnement que nous faisons maintenant, à la lumière du jour, sans arrière-pensées, c’est que nous ne pouvons pas, face à la première occasion historique pour la droite de gouverner l’Italie, et non pas comme partenaires ou indirectement derrière Berlusconi, mais à la première personne, nous replier sur la dissidence et décréter une défiance a priori, même si elle est amplement justifiée.

J’irais même jusqu’à inverser un discours courant: misons pour une fois non pas sur ce qu’est réellement cette droite mais sur ce que représente sa victoire. Il faut distinguer la réalité de sa représentation et miser pour une fois sur cette dernière. Sur le plan symbolique, la nomination du gouvernement à droite, la présidence à Giorgia Meloni, serait un tournant sans précédent : la défaite nette de la gauche et la victoire de la droite nationale et populaire, certains ajouteront souverainiste, d’autres diront sociale, conservatrice ou identitaire. Ce serait, je le répète, la victoire historique d’un peuple d’opposition, qui y a cru avant de croire en ses élus.

Contentons-nous pour l’instant de contribuer à ce résultat historique et symbolique et de voir enfin le désarroi et la colère de ceux qui ont toujours détenu le pouvoir, avec arrogance, avec intolérance, même sans la légitimité électorale du peuple souverain. Parfois, la représentation est plus forte que la réalité, le symbole est plus important que le fait, il laisse plus de traces.

Après tout peut arriver. Qu’il soit impossible pour la droite de gouverner, qu’elle soit incapable de le faire ou, déjà, de former son propre gouvernement, qu’elle manque de courage, de crédibilité et d’intelligence pour le faire, qu’elle n’ait pas d’interprètes adéquats, qu’elle cède aux compromis et accepte de se replier sur des sursis, des gouvernements en demi-vie, sous contrôle….Ou qu’elle subisse une telle attaque concentrique, intérieure et internationale, qu’elle doive se rendre, se retirer, se replier. Ne nous faisons pas d’illusions, entre les directives européennes et atlantiques, les agendas de Draghi, les suggestions du Quirinal [présidence de la République], les pouvoirs supérieurs, les coupoles…. Aller au gouvernement ne veut pas dire aller au pouvoir, ce sont deux choses différentes ; le pouvoir entoure le gouvernement de tous côtés, il le domine, il l’encercle, il se cache sous lui. Et l’Appareil, tout en s’introduisant sous la table avec les vainqueurs possibles, est aligné de manière compacte contre Meloni et son monde, alors qu’il n’a aucune crainte si un petit parti anti-système prend des votes, car cela n’affecterait pas ses plans.
(…)

Marcello Veneziani
La Verità, 23 septembre

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