Les destinations des voyages papaux interpellent, et même laissent perplexes les catholiques, pour peu qu’ils soient informés (ces derniers temps, les médias font le service minimum) et surtout qu’ils y réfléchissent. Depuis son élection en 2013, François a soigneusement évité non seulement son Argentine natale (pour des raisons qui ne sont mystérieuses qu’en apparence…) mais surtout tous les vieux pays catholiques, qui pourtant, à l’instar de la France, auraient grand besoin d’être « confirmés dans la foi », voire de recevoir leur première annonce de l’Evangile. La dernière destination, le Kazakhstan et la prochaine, le Barheïn s’inspirent manifestement de l’encyclique Fratelli Tutti, et du fameux « esprit d’Abu Dhabi », consacrant un « dialogue sans mission », et faisant du catholicisme une religion parmi d’autres et du Pape l’aumonier de la nouvelle religion universelle.

Comment les visites papales changent

Stefano Chiappalone
lanuovabq.it/it/come-cambiano-le-visite-papali

Le voyage apostolique du pape François au Bahreïn, qui vient d’être annoncé, semble faire écho au récent voyage au Kazakhstan. Au centre, le dialogue et la coexistence, le pontife assumant le rôle d’orateur dans des congrès d’où, par ailleurs, le risque de faire passer (au-delà des intentions) un message relativiste plutôt qu’apostolique.

Deux voyages en l’espace de quelques mois réunis par un même fil conducteur : le dialogue. En septembre, le pontife s’était rendu au Kazakhstan pour l’ouverture du « VIIe Congrès des chefs des religions mondiales et traditionnelles ». Jeudi, un nouveau voyage apostolique a été annoncé qui se déroulera du 3 au 6 novembre à Bahreïn à l’occasion du « Forum de Bahreïn pour le dialogue : Orient et Occident pour la coexistence humaine ». Le thème et l’événement principal des deux voyages marquent une certaine différence par rapport à la moyenne des voyages apostoliques, qui ont généralement – comme leur nom l’indique – un objectif, précisément, apostolique : où qu’il aille, le Pape va remplir son mandat de « proclamer l’Évangile à toute créature » (Mc 16,15) et – tâche spécifique du successeur de Pierre – de « confirmer les frères dans la foi » (Lc 22,32).

Une tâche encore facilitée à l’époque contemporaine par les vols, qui ont vu de plus en plus de papes monter à bord d’avions, à commencer par le pèlerinage de Paul VI en 1964 en Terre Sainte, là où tout a commencé. Le pape Luciani n’a pas eu le temps, mais son successeur, comme on le sait, était un voyageur infatigable, certainement favorisé par l’âge relativement jeune – 58 ans – auquel il a été élu au trône de Pierre. Au cours des premières années de son pontificat, le pontife « volant » a suscité l’étonnement des uns et l’ironie des autres, qui l’ont surnommé « Jean-Paul hors les murs ». Et bien qu’élus à un âge plus avancé, Benoît et François ont tous deux continué à prendre des avions. En outre, qu’il visite des pays chrétiens ou non, des parlements et des sièges institutionnels (par exemple, l’ONU ou le Parlement européen), le pape s’y rend… en tant que pape [Oui… Mais on se souvient que lors de sa visite à Strasbourg en novembre 2014, le Pape n’avait pas trouvé le temps – arguant d’une bien commode « visite expresse »!! – de se rendre dans la cathédrale. Voir l’excellente chronique d’Eric Zemmour de l’époque] . Il est quelque peu inhabituel qu’il se rende à une conférence en tant qu’orateur, même orateur principal.

Certains voyages récents du pape François semblent toutefois s’inscrire dans un rôle différent, avec des objectifs différents. Par exemple à Assise, où il s’est rendu le 24 septembre pour l’événement Économie de François (on ne sait pas s’il s’agit du saint d’Assise ou du Saint-Père ou des deux), centré sur la lecture et la signature d’un Pacte économique pour les jeunes avec le pape, inspiré surtout de l’encyclique Laudato si’ et des mots-clés habituels sur le travail décent, la lutte contre la pollution, non à la culture du gaspillage, etc. Une visite inhabituelle pour un pontife, car le thème de l’économie n’était pas seulement prédominant, mais unique. Un moment de prière était totalement absent du programme.

Les voyages au Kazakhstan et au Bahreïn sont explicitement inspirés de l’ « agenda » d’Abu Dhabi. Dans les deux cas, il y a une référence immédiate au document « sur la fraternité humaine pour la paix et la coexistence commune », signé par François et le Grand Imam en 2019. « La visite du pape à Bahreïn est une continuation du chemin déjà entamé à Abu Dhabi », a déclaré Mgr Paul Hinder, ancien vicaire apostolique d’Arabie du Sud. Un document qui n’est cependant pas sans controverse, notamment pour le passage sur la pluralité des religions, fruit d’une « sage volonté divine ».

Durant les trois jours passés à Bahreïn, trois événements seront consacrés à la petite communauté catholique : la messe du samedi matin (pas la messe festive, que le pape célébrera évidemment en privé), la rencontre avec les jeunes dans l’après-midi et une réunion de prière avec les évêques, les séminaristes et les agents pastoraux le dimanche. Le vendredi soir, il y aura une « voie médiane », autrement dit une réunion de prière œcuménique dans la cathédrale. La participation au « Forum de dialogue » sera donc le cœur du voyage apostolique, comme en témoigne le programme, en plus des rencontres avec les autorités politiques et le Grand Imam.

Dans ce cas, il semble plutôt que la minorité catholique sera en marge des événements centraux que constituent le congrès et les diverses réunions « extra-catholiques ». Evidemment, on n’a pas répété la gaffe de la « double visite » à Caserte en juillet 2014 [cf. benoit-et-moi.fr/2014], initialement prévue uniquement pour une rencontre « privée » avec le pasteur protestant Giovanni Traettino et sa communauté, avant de découvrir qu’il y a aussi… des catholiques à Caserte ! Qui, à juste titre, ne comprenaient pas pourquoi le Pape se rendait dans leur ville sans leur rendre visite, et c’est ainsi qu’il dut se rendre deux fois en quelques jours au même endroit, le samedi 26 et le lundi 28, pour visiter les deux confessions, celle de son ami pasteur et celle dont il est lui-même le chef visible.

Il y a un dernier aspect qui permet de comprendre l’importance accordée à ces voyages (récents et prévus). Ingravescente aetate [« en raison de l’âge avancé », mot clé de la declaratio de Benoît XVI du 11 février 2013], mais surtout en raison de ses difficultés de marche, le Saint-Père a dû progressivement « réduire la charge » : par exemple, il a renoncé à son voyage au Congo en juillet dernier, et même à Saint-Pierre, il se limite généralement à présider les fonctions, sans pouvoir les célébrer entièrement. Par conséquent, assister à ces conférences malgré les difficultés est évidemment considéré comme une priorité : et il est alors permis de soulever une certaine perplexité respectueuse, pro opportunitate, sur le risque inhérent à ce type d’événement, à savoir que – comme cela s’est déjà produit et indépendamment des intentions – la grande majorité finisse par voir le dialogue sans mission et ne comprenne qu’une seule chose : qu’en fin de compte une religion vaut l’autre.

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