Nous avons déjà parlé de cette affaire en reprenant un article de Giuseppe Nardi (probablement discutable, et sur lequel, avec le recul, je n’ai pas de conviction absolue) qui se focalisait sur les faits effectivement reprochés à l’artiste jésuite (ou au jésuite artiste, ce qui n’est pas tout à fait pareil). Ici, Marco Tosatti se penche sur un fait de portée bien plus ample, puisqu’il implique directement le Pape lui-même: il aurait au nom de son « bon plaisir » fait sauter une excommunication latae sententiae pour un délit canoniquement très grave, « l’absolution du complice ». D’où la question posée dans le titre, mettant aussi en cause le comportement étrange des médias (qui commencent peut-être à prendre leurs distances…).

Affaire Rupnik. Le scénario dévastateur du pape sur les prêtres, le sexe et les abus.

Marco Tosatti
www.stilumcuriae.com/caso-rupnik-il-devastante-copione-del-papa-su-preti-sesso-e-abusi

L’affaire du père jésuite Marko Ivan Rupnik, mis en lumière par [deux blogs catholiques italiens très influents au sein du monde traditionaliste], donne lieu à un certain nombre de réflexions à la fois graves et douloureuses. En particulier sur la confiance, ou le manque croissant de confiance, que les catholiques peuvent avoir dans le Pontife régnant, et dans sa gestion des abus et scandales impliquant l’activité sexuelle de prêtres, d’évêques et de cardinaux.

Imaginez si, au lieu du pape Bergoglio, il y avait Benoît XVI, au centre du scandale lié au père jésuite Rupnik, excommunié puis gracié (par qui ? Mystère) pour avoir absous au confessionnal une religieuse, complice avec Rupnik lui-même, du péché contre le sixième commandement… Les journaux seraient remplis de titres scandalisés.

Imaginez ensuite que le cas Rupnik ne soit pas un épisode isolé, mais apparaisse comme une perle dans un collier dont le protagoniste est toujours le même Pontife, avec des co-acteurs différents.

Énumérons quelques-uns de ces épisodes, certains d’en oublier d’autres.

  • Commençons par Theodore McCarrick, puni par Benoît XVI, couvert par l’archevêque de Washington de l’époque, William Wuerl, réhabilité par le pape Bergoglio et utilisé comme son messager diplomatique dans diverses parties du monde, y compris en Chine, avec les splendides résultats que nous avons sous les yeux, malgré la dénonciation de Mgr Viganò ; impunité et honneurs jusqu’à ce que la l’ombre longue de ses péchés l’atteigne et oblige ses protecteurs à le laisser tomber comme une braise ardente.
  • Il y a aussi Mauro Inzoli, de C&L, « don Mercedes », excommunié, condamné, gracié par le Pontife, finalement réduit à l’état laïc mais toujours sans excommunication.
  • N’oublions pas Mgr Gustavo Zanchetta, qui a été jugé par un tribunal civil en Argentine et a trouvé refuge au Vatican. Les accusations portées contre lui ont été discrètement ignorées par le pape Bergoglio, qui a préféré croire son ancien protégé lorsqu’il était en Argentine, et les excuses improbables qu’il a avancées. Il a même créé pour lui un poste – qui n’avait jamais existé auparavant – à l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique.
  • Et puis Mgr Pineda, le bras droit de celui qui fut pendant des années le bras droit du Pontife, le cardinal hondurien Maradiaga, dénoncé par une lettre de cinquante séminaristes pour les raisons habituelles ; lettre publiée dans les journaux du pays ; on n’a aucune nouvelle de mesures canoniques ou disciplinaires à son encontre, au contraire…

Et comme je l’ai dit au début, la liste est sans doute plus longue, et peut commencer à l’époque où Bergoglio était archevêque de Buenos Aires.

Et maintenant le cas du Père Rupnik. À juste titre, Franca Giansoldati [vaticaniste du quotidien Il Messagero, peu suspecte d’anti-bergoglianisme, ndt], a écrit hier dans Il Messaggero :

LE SCÉNARIO DE L’AFFAIRE RUPNIK SEMBLE REPRODUIRE UNE SITUATION ANALOGUE QUI S’EST DÉJÀ PRODUITE DANS LE PASSÉ…

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La vilaine affaire de l’artiste jésuite connu internationalement pour ses mosaïques qui ornent les cathédrales, les sanctuaires et même une chapelle du Palais apostolique risque d’avoir un effet domino dévastateur et d‘impliquer directement le pape François. . Le général de la Compagnie de Jésus, le père Arturo Sosa, a dû reconnaître publiquement – en faisant une désastreuse volte-face – que Rupnik avait bien encouru l’excommunication pour le très grave délit canonique d’absolution de complice, une mesure que quelqu’un de très haut placé avait décidé d’annuler. En ces heures, la pression monte au sein de l’Église pour que la transparence soit faite sur le « Rupnikgate » et pour savoir qui est l’autorité qui a décidé de prendre une telle mesure juridique. Chacun sait que la révocation d’une telle mesure reste un acte extraordinaire qui, techniquement, relèverait de la seule responsabilité du Pape.

Ce n’est que pressé de questions par l’Associated Press que le supérieur général des jésuites, le père Sosa, obtorto collo a reconnu que la Congrégation pour la foi avait poursuivi Rupnik pour une affaire distincte et antérieure à 2019 qui s’était soldée par sa condamnation et son excommunication temporaire pour l’un des crimes les plus graves du droit canonique : l’absolution du complice. Dans cette affaire, il a absous en confession une femme avec laquelle Rupnik avait eu des relations sexuelles auparavant. L’affaire remonte à 2015. Rupnik a reconnu les circonstances et s’est formellement repenti, et la Congrégation a levé son excommunication. Il reste à clarifier si le pape avait autorisé le cardinal jésuite Ladaria, préfet de la Congrégation, à annuler cette sanction, ou s’il s’agissait d’une initiative autonome du préfet du dicastère ?

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Le scandale a éclaté la semaine dernière après que deux blogs italiens, Silere non possum et Messa in Latino, ont commencé à parler du passé embarrassant de Rupnik, révélant des allégations d’abus psychologiques, sexuels et spirituels sur des femmes et des religieuses.

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Dans un premier temps, les Jésuites ont confirmé qu’une plainte avait été reçue en 2021, mais que le Vatican avait déclassé les accusations, qui remontent aux années 1990 en Slovénie, car elles étaient prescrites.

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Toutefois, le général des jésuites – le « pape noir » – a clairement indiqué qu’il avait maintenu des restrictions préventives à l’encontre de Rupnik, lui interdisant d’entendre des confessions et d’organiser des retraites spirituelles. Cependant, le Père Sosa n’a pas mentionné dans sa déclaration du 2 décembre qu’il y avait d’autres charges contre Rupnik. Car il n’y a pas seulement eu l’enquête qui a commencé en 2021 et s’est terminée par une prescription en octobre 2022, mais aussi une autre enquête antérieure pour l’absolution de complices en confession. Une circonstance révélée par le blog Messainlatino.it et ignorée dans la déclaration du 2 décembre.

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«  »Je peux comprendre que les victimes se sentent trahies », a déclaré à Reuters le père Hans Zollner, membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs et responsable du centre d’étude des abus à l’université grégorienne de Rome. « Par souci de transparence, nous devons savoir qui savait quelque chose, quoi et quand, et ce qui s’est passé ensuite. Nous aurions pu déterminer les différents niveaux de responsabilité, ce qui aurait pu éviter tout cela », a-t-il ajouté, faisant référence à la plainte de 2021. « Je me demande et je demande à ma communauté, les Jésuites : Qui aurait pu savoir ? Qui savait? Qui a perçu que quelque chose n’allait pas et n’est pas allé plus loin ? ».

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Il Messagero (article en accès payant)

Si l’excommunication du Père Rupnik a été levée, en un temps record, qui l’a décidé ? Connaissant un peu les mécanismes du Vatican, nous doutons fortement que le préfet Ladaria (également jésuite, comme Rupnik et le Pontife) ait agi de manière autonome, dans un cas d’une telle gravité, sans en informer le pape, et très probablement en lui demandant la permission d’agir.

Revenons maintenant au propos initial. Si toutes ces belles choses avaient été de la responsabilité de Benoît XVI, que se serait-il passé ? Et pourquoi, au contraire, tout est-il calme maintenant, à l’exception de quelques blogs catholiques importuns et de quelques journalistes isolés ?

Messa in Latino écrit : « En attendant, notre blog demande la tête du père Sosa. Ne devrait-il pas démissionner pour avoir menti ? ».

Peut-être pas seulement lui, avant que les dommages causés par un tel comportement ne deviennent véritablement dévastateurs pour l’orbe catholique toute entière.

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