Le 20 mai 2012, un séisme de magnitude 6 avait ravagé la région de Carpi, dans le nord de l’Italie, causant de nombreux dégâts, et un prêtre étant mort pendant l’effondrement de son église, écrasé par une poutre.
Le 26 juin suivant, le Pape se rendait sur place, pour témoigner son soutien aux victimes et les assurer de sa prière (récit benoit-et-moi.fr/2012). En route vers Rome pour les obsèques, l’évêque émérite de Carpi raconte, dans une interview à la NBQ, comment le Saint-Père l’a aidé personnellement, alors que le séisme l’avait laissé sans toit. Ces petites anecdotes, loin des savantes considérations de ceux qui tentent de se hisser au niveau d’un géant de la pensée et prétendent déjà dresser un « bilan », mais veulent étaler leur science plus que rendre hommage à Joseph Ratzinger, racontent bien l’homme qu’il était: un homme de parole bon, doux, secourable, qui mettait en pratique discrètement (combien d’autres actes de ce type à mettre à son crédit, mais inconnues?) et à la première personne la parabole du bon Samaritain.

Avant de lire l’interview de Mgr Cavina, il faut lire le discours prononcé par Benoît XVI avait prononcé à Carpi le 26 juin 2012. Des mots écrits avec le coeur (et non par un bureau de la curie), profondément sentis et médités. Comment s’étonner alors que de longues files d’ « anonymes » (horrible mot!) fassent la queue Place Saint Pierre pour lui rendre un dernier hommage. Gageons que parmi eux, il y a beaucoup d’habitants de Carpi.

Chers frères et sœurs,

Merci pour votre accueil!
Dès les premiers jours du tremblement de terre qui vous a touchés, je suis toujours resté proche de vous par la prière et l’intérêt. Mais quand j’ai vu que l’épreuve était devenue plus dure, j’ai ressenti de plus en plus fortement le besoin de venir en personne parmi vous. Et je remercie le Seigneur qui me l’a concédé!
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Je vous salue donc avec une grande affection, vous tous, réunis ici, et j’embrasse par la pensée et le cœur tous les villages, toutes les populations, qui ont subi des dégats du tremblement de terre, en particulier les familles et les communautés qui pleurent les défunts: que le Seigneur les accueille dans sa paix. J’aurais voulu visiter toutes les communautés pour me rendre présent de manière personnelle et concrète, mais vous savez combien cela aurait été difficile. En ce moment, cependant, je voudrais que chacun, dans tous les villages, sente combien le cœur du Pape est proche de votre coeur pour vous consoler, mais surtout pour vous encourager et vous soutenir.

Je salue le Ministre Représentant du Gouvernement, le Chef du Département de la protection civile , et l’honorable Vasco Errani, président de la Région de l’Emilie-Romagne, que je remercie pour les paroles qu’il m’a adressées au nom des institutions et de la communauté civile. Je voudrais remercier ensuite le Cardinal Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, pour les paroles aimables qu’il m’a adressées, dont émerge la force de vos cœurs, qui n’ont pas de fissures, mais sont profondément unis dans la foi et l’espoir. Je salue et remercie les frères évêques et prêtres, les représentants des diverses réalités religieuses et sociales, les forces de l’ordre, les bénévoles: il est important d’offrir un exemple concret de solidarité et d’unité.
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Comme je vous le disais, j’ai ressenti le besoin de venir, ne serait-ce qu’un bref instant, au milieu de vous.
Déjà quand j’étais à Milan au début du mois, pour la Rencontre mondiale des Familles, j’aurais voulu vous rendre visite, et mes pensées se sont souvent tournées vers vous. Je savais en effet qu’en plus de subir les conséquences matérielles, vous étiez éprouvés dans l’âme par la poursuite des secousses, encore fortes, ainsi que par la perte de certains bâtiments symboliques de vos villes, et parmi eux, de façon particulière, de tant d’églises. Ici, à Rovereto di Novi, dans l’effondrement de l’église – que je viens de voir – don Ivan Martini a perdu la vie. Rendant hommage à sa mémoire, j’adresse un salut spécial à vous, chers prêtres, et à tous vos frères, qui manifestez ainsi, comme cela a déjà eu lieu dans d’autres moments difficiles de l’histoire de cette terre, votre amour généreux pour le peuple de Dieu.
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Comme vous le savez, nous, prêtres, – mais aussi les religieux et de nombreux laïcs – nous prions tous les jours avec le «bréviaire», qui contient la Liturgie des Heures, la prière de l’Eglise qui rythme la journée. Nous prions avec les Psaumes, selon un ordre qui est le même pour toute l’Eglise catholique à travers le monde.
Pourquoi vous dis-je cela? Parce qu’en ces jours, j’ai rencontré, en priant le psaume 46, cette expression:
«Dieu est notre refuge et notre force, / il s’est montré aide sans faille dans les angoisses / Ne craignons donc pas si la terre tremble / où les montagnes vacillent au fond de la mer» (Ps. 46.2 à 3).
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Combien de fois ai-je lu ces paroles? D’innombrables fois, je suis prêtre depuis 61 ans! Pourtant, dans des moments comme celui-ci, elles frappent fortement, parce qu’elles touchent au vif, donnant la parole à une expérience que vous vivez maintenant, et que tous ceux qui prient partagent.

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Mais – voyez-vous – ces paroles du Psaume ne me touchent pas seulement parce qu’elles utilisent l’image du tremblement de terre, mais surtout pour ce qu’elles affirment au sujet de notre attitude intérieure face au bouleversement de la nature: une attitude de grande sécurité, basée sur le roc stable, inébranlable, qui est Dieu. Nous «ne craignons pas si la terre tremble» – dit le Psalmiste – parce que «Dieu est notre refuge et notre force», il est «l’aide sans faille dans les difficultés».
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Chers frères et sœurs, ces mots semblent en contradiction avec la peur qu’inévitablement l’on éprouve après une expérience comme celle que vous avez vécue. Une réaction immédiate, qui peut s’imprimer plus profondément, si le phénomène se prolonge. Mais, en réalité, le Psaume ne fait pas référence à ce type de peur, et la sécurité qu’il affirme n’est pas celle de surhommes qui ne sont pas touchés par les sentiments normaux. La sécurité dont il parle est celle de la foi, pour laquelle, oui, il peut y avoir la peur, l’anxiété – Jésus lui-même l’a éprouvée – mais surtout il y a la certitude que Dieu est avec moi; comme l’enfant qui sait toujours pouvoir compter sur sa maman et son papa, parce qu’il se sent aimé, désiré, quoi qu’il arrive. Ainsi sommes-nous devant Dieu: petits, fragiles, mais en sécurité dans ses mains, c’est–à-dire confiants en son amour, qui est solide comme un roc. Cet amour, nous le voyons dans le Christ crucifié, qui est le signe dans le même temps de la tristesse et de l’amour. C’est la révélation de Dieu amour, solidaire avec nous jusqu’à l’humiliation extrême.
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Sur ce roc, et avec une ferme espérance, on peut construire, on peut reconstruire.
Sur les décombres de l’après-guerre – pas seulement matérielles – l’Italie a été reconstruite certes grâce aux aides reçues, mais surtout grâce à la foi de beaucoup de gens animés par un esprit de véritable solidarité, par la volonté de donner un avenir aux familles, un avenir de liberté et de paix.
Vous êtes des gens que tous les Italiens estiment pour votre humanité, votre sociabilité, votre caractère à la fois laborieux et jovial. Tout cela est aujourd’hui mis à rude épreuve par cette situation, mais elle ne doit ni ne peut toucher ce que vous êtes en tant que peuple, votre histoire et votre culture. Restez fidèles à votre vocation de gens fraternels et solidaires, et affrontez toutes chose avec patience et détermination, en repoussant les tentations qui sont malheureusement associées à ces moments de faiblesse et de besoin.
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La situation que vous rencontrez a mis en lumière un aspect dont je voudrais qu’il soit bien présent dans votre esprit et votre cœur: vous n’êtes pas et vous ne serez pas seuls! Ces jours-ci, au milieu de tant de destructions et de douleur, vous avez vu et entendu combienbeaucoup de gens se sont activés pour vous exprimer proximité, solidarité, affection; et cela à travers de nombreux signes, et aides concrètes.
Ma présence parmi vous veut être l’un de ces signes d’amour et d’espérance. Regardant votre terre, j’ai éprouvé une profonde émotion devant tant de blessures, mais j’ai aussi vu beaucoup de mains qui veulent les soigner avec vous; j’ai vu que la vie recommence, veut recommencer avec force et courage, et c’est le signe le plus beau et lumineux .
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De cet endroit, je voudrais lancer un fort appel aux institutions, à chaque citoyen, à être, malgré les difficultés du moment, comme le Bon Samaritain de l’Evangile qui ne passe pas indifférent à ceux qui en ont besoin, mais avec amour, se penche, secourt, reste proche, prenant en charge jusqu’au bout les besoins d’autrui (cf. Lc 10,29-37). L’Eglise vous est proche vous sera proche avec sa prière et l’aide concrète de ses organisations, en particulier de la Caritas, qui s’engage également à la reconstruction du tissu communautaires des paroisses.

Chers amis, je bénis tous et chacun, et je vous porte avec une grande affection dans mon cœur.


« Benoît XVI, généreux et fidèle à sa parole. Un vrai réformateur ».

Andrea Zambrano
lanuovabq.it/it/benedetto-xvi-generoso-e-di-parola-vero-riformatore

« Il m’a dit : je vais vous aider. Quand il a quitté le Vatican, malgré le drame qu’il vivait, il s’est souvenu de sa promesse et m’a donné 100 000 euros ». Le souvenir de l’évêque émérite de Carpi Cavina, que Benoît XVI a personnellement aidé après le tremblement de terre qui a dévasté son diocèse : « Un vrai réformateur, capable de faire redécouvrir à l’Eglise la centralité de Dieu, mais aussi combattu pour cela ».

« Un homme généreux, incapable de penser du mal des autres, dont le seul but était de ramener l’homme dans la centralité de Dieu ». Dans la profusion de paroles prononcées et écrites à l’occasion de la mort de Benoît XVI, les souvenirs personnels font aussi leur chemin pour dessiner la physionomie d’un homme unique, loin des clichés avec lesquels la presse l’a peu généreusement décrit. Mgr Francesco Cavina,, évêque émérite de Carpi et qui a toujours eu un rapport filial et affectueux avec Ratzinger, en sait quelque chose.

La Bussola le retrouve sur l’autoroute dans les cols de l’Apennin, en route vers Rome pour ce qui sera aussi pour lui l’adieu à un homme extraordinaire rencontré sur sa route et qui l’a voulu comme évêque pour régler les comptes du diocèse d’Émilie. Seulement, à peine entré dans le diocèse, le tremblement de terre du 31 mai 2012 a mis Carpi et Mirandola à genoux. Cavina se retrouve donc évêque sans même une église où célébrer la messe et avec le palais épiscopal complètement inhabitable. C’est Ratzinger, toujours pape en exercice, qui l’a soutenu et lui a donné la force de relever une communauté détruite par l’effondrement et la dévastation. Tout d’abord en visitant les zones touchées par le tremblement de terre le 26 juin. Et ensuite en aidant concrètement Cavina dans la reconstruction.

Votre Excellence, commençons par là. Qu’a-t-il fait pour vous ?

J’ai beaucoup de souvenirs que je garde jalousement, tant avant qu’après ma démission. Mais un des plus importants s’est produit huit mois après le tremblement de terre.

De quoi s’agit-il?

En février 2013, une semaine avant sa renonciation, j’ai participé avec les autres évêques de la Conférence épiscopale émilienne à la visite ad limina, qui est la visite que les évêques font tous les cinq ans pour présenter la situation des diocèses au pape. Quand il m’a vu, il est venu vers moi.

Et que vous a-t-il dit ?

Il n’a même pas attendu que je m’approche, il s’est avancé et m’a adressé ces mots :  » Vous avez beaucoup souffert cette année et je vous comprends, vous savez ? C’est parce que je sais ce que cela signifie de souffrir« .

Que voulait-il dire ?

Sur le moment, j’ai pensé aux croix qu’un pape doit porter, mais je pensais à quelque chose de générique. Je n’aurais jamais imaginé qu’une semaine plus tard (c’était le 11 février 2013), il annoncerait sa démission au monde entier. Ce jour-là, ces mots m’ont frappé dans toute leur signification. Il avait déjà pris cette décision et la partageait avec moi dans cette façon très personnel.

Mais ce jour-là, comment vous a-t-il aidé?

Après ces mots sur la souffrance, il m’a demandé si j’étais toujours sans abri à cause du tremblement de terre. J’ai répondu oui, alors il m’a demandé de lui remettre un mémorandum sur la situation à Carpi et à Mirandola et m’a ensuite fait une promesse : « Je verrai si je peux vous aider ». Peu après, Mgr Ganswein m’a dit : « Revenez demain à midi ».

Et que s’est-il passé le jour suivant ?

Il m’a dit que le pape avait décidé d’allouer 100 000 euros pour moi et les religieuses qui vivaient avec moi, mais uniquement pour mes besoins.

C’est-à-dire l’argent que le pape vous donnait en privé pour vos besoins en tant qu’évêque, pardonnez-moi, « sans domicile fixe ».

Oui, il a compris la situation douloureuse que nous vivions et il a voulu m’aider, à tel point que plus tard, Mgr Gänswein a ajouté : « Vous verrez qu’il veillera à ce que davantage d’aide arrive pour le diocèse ». J’ai été impressionné et honoré par tant de générosité et d’attention, mais le 11 février est arrivé.

Le renoncement…

C’est vrai. Je ne me faisais pas d’illusions : « Eh bien, me suis-je dit, avec ce qui s’est passé, je suppose que la promesse du pape est passée à la trappe… ».

Et au contraire?

Le 28 février, le jour où il a quitté le Vatican pour se rendre à Castel Gandolfo, je regardais à la télévision l’hélicoptère qui prenait son vol et, à un moment donné, le téléphone a sonné : c’était le responsable de la BPER [?] dans le centre de Carpi.

Que voulait-il ?

Il était secoué, il m’a dit : « Votre Excellence, regardez, un transfert de 100 000 euros est arrivé ici de la part du pape Benoît en votre nom ». Il avait organisé le transfert le jour de son départ. Ce fut une joie irrépressible, mais pas tellement pour cet argent, ne vous méprenez pas. C’était une joie car, malgré le drame qu’il vivait à cette époque, il ne m’avait pas oublié, moi et mon diocèse. Il avait été fidèle à sa parole ainsi qu’extrêmement généreux. Mais il y avait plus.

Quoi ?

L’après-midi même, j’ai reçu la lettre de la CEI avec la résolution de la première allocation pour les travaux de l’évêché. Avant de quitter le Vatican, il avait pris la « peine » de débloquer également les fonds pour le palais épiscopal. Une délicatesse et une attention dont je lui serai toujours reconnaissant.

Qu’avez-vous fait avec ces 100.000 euros ?

Avec l’aide de quelques industriels amis, nous avons créé un fonds de garantie pour les start up de jeunes entrepreneurs, appelé Fides et labor, dans le cadre des projets de reconstruction. Nous avons financé plusieurs activités, dont celle d’un pâtissier qui a pu démarrer sa profession grâce à ce fonds. En 2019, j’ai rendu visite au pape Benoît au monastère Mater Ecclesiae. Je lui ai apporté une boîte de biscuits fabriqués par ce confiseur et sa réaction a été émouvante.

Pourquoi ?

Il m’a dit : « Jamais je n’aurais pensé que mon peu d’argent pourrait faire autant de bien ». Puis il a ouvert la boîte et a mangé un biscuit avec gourmandise. Il avait l’attitude d’un enfant, d’une pureté et d’une simplicité incroyables. La même pureté qu’il avait avec les jeunes. Lors d’une rencontre à la grotte de Lourdes dans les jardins du Vatican avec 50 jeunes et familles que j’avais amenés, il a dit : « N’ayez pas peur même si vous vivez dans un monde plein de laideur, Il rend la vie belle et possible. Faites confiance à Jésus car il ne déçoit jamais ».

Et quelle est votre opinion sur son pontificat ?

Il a été le vrai grand réformateur de l’Église parce que son but était de ramener l’Église à la redécouverte de son Seigneur, qui est le Christ, indépendamment de tout ce qui pouvait l’alourdir.

Pensez-vous que l’Église d’aujourd’hui est consciente de son action réformatrice ?

Cette centralité de Dieu a conduit beaucoup de personnes à se rebeller, à ne pas accepter cette réforme qui devait être une réforme du cœur. Mais il était incapable de voir le mal chez les autres parce qu’il ne voyait que le bien, et cela, humainement parlant, a peut-être aussi été son talon d’Achille, car tant de mal était déversé sur lui.

Aujourd’hui, que pouvons-nous glaner de son enseignement ?

Tout d’abord, son magistère insurpassable qui est parmi nous ainsi que son merveilleux testament spirituel dans lequel il parle de la mort non pas comme une fin, mais comme une rencontre. Et puis il reste parmi nous grâce à la communion des saints, je crois que personne ne peut douter de sa sainteté. Aujourd’hui, nous pouvons le prier et c’est merveilleux.

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