Dans sa chronique hebdomadaire en langue anglaise, Andrea Gagliarducci, toujours aussi prudent (ce qui, en cette circonstance de tension, ne donne que plus de poids à ses mots) analyse les raisons du profile bas adopté par le Vatican pour « célébrer » (les guillemets sont malheureusement de mise!) les obsèques du Saint-Père. Un service minimum qui s’explique en partie par la volonté de ne pas introduire de confusion entre Pape et Pape émérite, mais aussi par la peur d’un pape « émérite » trop aimé, qui fait trembler les bergogliens. Et qui ignore que la papauté a son propre langage , et que quand ce langage n’est pas appliqué, elle cesse d’exister. « Ainsi, même un choix pastoral, s’il n’est pas réfléchi, crée une vulnérabilité qui joue en faveur des ennemis de l’Église ».

En public, le pape François a toujours eu de belles paroles pour Benoît XVI, louant son travail et soulignant certains de ses engagements cruciaux, comme la lutte contre les abus dans l’Église. Est-il alors légitime de penser que pour le Pape François, la présence d’un Pape émérite aussi aimé était encombrante et qu’il a voulu démontrer par ses choix qu’il était le seul Pape?

Qui a peur de Benoît XVI ?

Andrea Gagliarducci, 9 janvier 2023
www.mondayvatican.com/vatican/whos-afraid-of-benedict-xvi

Des centaines de milliers de fidèles sont allés rendre hommage à Benoît XVI. Pendant les trois jours d’exposition de sa dépouille, cardinaux, évêques et prêtres sont eux aussi venus rendre hommage à celui qui fut leur pape.

Le pape François, cependant, n’était pas présent. Averti immédiatement après le décès, il s’est rendu au monastère Mater Ecclesiae, où Benoît XVI avait résidé. Il est resté là en prière pendant quelques minutes. Mais ensuite, il est redevenu invisible. Comme si la mort de son prédécesseur ne le concernait pas. Comme si le pape, qui, par son renoncement, avait aussi ouvert la voie à l’élection de son successeur, ne devait pas être considéré.

Dans les gestes et les décisions du Pape François à partir du moment de la mort de Benoît XVI, on pourrait lire avant tout un besoin de différencier, de démontrer que Benoît XVI n’était que le Pape émérite et non le Pape régnant.

En réalité, pour cela, il suffisait de suivre le cérémonial du Vatican. Car les funérailles de Benoît XVI sont la seconde moitié d’une cérémonie qui a commencé il y a presque dix ans, le 28 février 2013, avec le début de la sede vacante. À cette occasion, le cardinal Tarcisio Bertone, alors camerlingue de la Sainte Église romaine, avait présidé le rite d’initiation du siège vacant, brisant l’anneau du pêcheur et scellant l’appartement papal.

Or, avec la mort de Benoît XVI, il n’y a pas eu de siège vacant. Et donc, le camerlingue n’a pas étés appelé à prendre les rênes car le Pape était en fonction dans sa plénitude.

C’est le Pape, ou la Secrétairerie d’État, qui devait d’abord être informé de la mort du Pape émérite et qui devait certifier son décès. Et c’est donc à la Secrétairerie d’État qu’il revenait de gérer toute l’organisation des funérailles, de l’annonce du décès – communiquée par la Salle de presse du Saint-Siège – à l’invitation des délégations diplomatiques.

Il s’agissait donc des funérailles d’un pape, qui se sont toutefois déroulées dans une sede plena et non dans une sede vacante. Certains choix en ont été la conséquence logique. Par exemple, Benoît XVI ne portait pas les chaussures rouges du pape, mais des chaussures noires. Les cloches du Vatican n’ont pas sonné pour annoncer sa mort car il ne s’agissait pas de la mort d’un Pape en exercice. Les hommages du diocèse de Rome et des Eglises orientales n’ont pas été lues car elles concernaient un pape régnant et non un pape émérite.

D’autres décisions, en revanche, sont apparues immédiatement difficiles à interpréter. Le pape François a poursuivi son calendrier de célébrations comme si de rien n’était. La célébration du Te Deum et la messe du 1er janvier sont des rendez-vous qui ne peuvent être reportés. Mais l’audience générale du 4 janvier aurait pu être reportée, tout comme le pape aurait pu également reporter la visite de l’arbre de Noël et de la crèche de la place Saint-Pierre.

Il ne l’a pas fait. Il a décidé qu’il n’y aurait pas de deuil au Vatican, même le jour des funérailles du pape émérite, même si les employés qui ont choisi de se rendre aux funérailles ont été dispensés de pointer sur leur carte de pointage. Dans l’idée que Benoît XVI voulait des funérailles sobres, il a été demandé aux diplomates de ne pas porter de queue de pie (cravate noire) mais des tenues de ville (costume de ville sombre). Aucune délégation officielle n’était prévue ; par conséquent, les membres de familles royales et les chefs d’État qui ont participé l’ont fait à titre personnel, à l’exception de l’Italie et de l’Allemagne.

On aurait presque pu croire qu’ils voulaient décourager la participation des États. Pourtant, des délégations de 21 pays sont arrivées, protestant elles aussi contre le traitement qui leur était réservé et soulignant comment, en réalité, aussi sobres qu’elles se voulaient, ces funérailles ne concernaient pas qu’une seule personne [cf. Funérailles de Benoît XVI: Vaklav Klaus dit sa surprise peinée, ndt]. Elles concernaient un pape et un pontificat.

Ce sont autant d’actes qui ont affaibli le Saint-Siège. Parce que le cérémonial est notre façon de nous exprimer, et un cérémonial qui demande un code vestimentaire plus informel alors que la tenue formelle est exigée pour chaque chapelle papale (c’est-à-dire une célébration présidée par le Pape) témoigne d’un manque de considération pour ceux qui célèbrent. De même, un pays ayant des relations diplomatiques qui réduit ces dernières à des relations personnelles perd toute crédibilité.

La question reste donc posée : François a-t-il eu peur de Benoît XVI ? En public, le pape François a toujours eu de belles paroles pour Benoît XVI, louant son travail et soulignant certains de ses engagements cruciaux, comme la lutte contre les abus dans l’Église. Est-il alors légitime de penser que pour le Pape François, la présence d’un Pape émérite aussi aimé était encombrante et qu’il a voulu démontrer par ses choix qu’il était le seul Pape?

On a dit que le Pape François a voulu donner un angle plus pastoral en rendant hommage à Benoît XVI le pasteur, puisqu’il a surtout cité [des textes de] Benoît XVI. Cependant, cette explication ne semble pas correspondre à la personnalité du Pape François. Le Pape François est un Pape de gestes, et il en connaît la signification. Il sait que le Pape vit en public et non en privé. Il sait que tout ce qui se fait ou ne se fait pas a une raison.

Autre argument : les conservateurs attaquent le pape François parce qu’il a démythifié la papauté. Il l’a rendue moins puissante avec cette approche pastorale. Cette approche ne tient pas : elle considère l’Eglise comme un corps politique de type séculier et valorise un Pape qui a la même conception de l’Eglise. La papauté n’est pas mythifiée : elle a son langage et sa manière d’être. Lorsque ce langage n’est pas appliqué, elle cesse d’exister. Ainsi, même un choix pastoral, s’il n’est pas réfléchi, crée une vulnérabilité qui joue en faveur des ennemis de l’Église.

Ce sont là des choses que le Pape sait, et qu’il ne peut pas ne pas comprendre.

Pourtant, François a choisi de prononcer une homélie particulièrement froide, avec une seule mention du pape émérite. En même temps, à la fin des funérailles, il semble que le Pape n’ait pas voulu bouger pour accompagner le cercueil vers la Basilique. Et c’est dans cette brève et interminable pause, pendant laquelle tous attendaient un signe pour bouger, que le cri « Santo Subito » a éclaté dans la foule. Il y avait une bannière, qui avait été gardée cachée dans un effort de discrétion comme demandé. Cette pause a cependant laissé place à une acclamation qui pourrait aussi devenir l’acclamation universelle du peuple de Dieu.

Toute tentative d’atténuer l’impact de Benoît XVI a donc échoué, se heurtant au mur de fidèles venus de partout pour pouvoir rendre hommage à leur Pape.

Une douceur amère reste dans la bouche car la mort de Benoît XVI clôt une époque, et cette époque se clôt avec un certain manque de considération pour les langages et les rôles. Puisque le langage pontifical ne peut être comparé au langage séculier, nous ne pouvons pas parler, dans ce cas, de funérailles nationales, car il s’agit d’un concept séculier, qui ne peut être pleinement appliqué au cérémonial du Saint-Siège.

Ce qui est certain, c’est qu’un pape comme Benoît XVI méritait un meilleur traitement et une considération plus significative de la personne et du pontificat. Ce qui a provoqué la peur de Benoît XVI est un mystère à découvrir. Mais il y a probablement des sentiments mitigés, voire des préjugés à l’égard de Benoît XVI, et une vénération sacrée qui empêchait chacun de prendre des initiatives trop audacieuses.

Maintenant, le contrepoids est parti, le pape qui a essayé de dialoguer en harmonie avec tout le monde. Avec la renonciation, il a ouvert une voie. Mais il a aussi beaucoup souffert de sa démission et a intercédé pour l’Église.

Il est aimé et donc craint. Et pourtant, c’est précisément ce manque de courtoisie qui naît face à un protocole à définir parce que c’est la première fois qu’un pape célèbre pour un pape émérite (mais pas la première fois qu’un pape célèbre pour un prédécesseur décédé, cela s’est produit en 1802). Il est vrai que le pape François a été le premier à se rendre au monastère. Cependant, il n’était pas présent à toutes les autres occasions, même lors de l’inhumation [tumulation, ndt].

Ces décisions pourraient s’avérer, d’une certaine manière, contre-productives pour le pape François lui-même. Ainsi, un pontificat très célébré par les médias pourrait au contraire se terminer comme l’un des pontificats les moins aimés, quelles que soient les campagnes médiatiques mises en place pour combattre ou annuler les effets des soi-disant opposants.

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