(ce ne sont donc plus les anticipations de ces jours-ci) et il en fait un commentaire mesuré extrêmement intéressant, d’autant plus que « Nient’altro che la verità » sera sans nul doute un document de premier ordre pour l’histoire (peut-être prématuré, mais les faits sont mieux racontés à chaud, le temps risque de brouiller la mémoire, ce n’est évidemment pas le cas ici). Les amis de François ne pourront plus répandre la légende selon laquelle une harmonie totale (qui a du reste volé en éclats avec les obsèques) régnait entre Mater Ecclesiae et Sainte Marthe, sauf à prétendre que Mgr Gänswein ment, ou qu’il trahit son maître pour régler ses comptes personnels (une accusation très grave et à vrai dire insoutenable, mais elle a déjà commencé à circuler).

J’ai numérisé la version papier de l’article. Je me doute que je ne devrais pas le mettre en ligne…, mais il le sera tôt ou tard par un site étranger, et de toute façon, il témoigne de l’excellent travail de son auteur, qui voudra bien m’excuser d’avoir un peu trop pris les devants.


Le Figaro, 10 janvier 2023

Le secrétaire de Benoît XVI met en cause le pape François

Jean-Marie-Guénois
Le Figaro
10 janvier 2023

Mgr Georg Gänswein publie des informations embarrassantes pour François, notamment sur la liturgie.

C’est le livre d’un homme blessé. Il restera toutefois comme un document rare sur le pontificat du pape Benoît XVI. Mgr Georg Gânswein, 66 ans, an­cien secrétaire personnel du car­dinal Ratzinger depuis 1996, puis de Benoît XVI jusqu’à sa mort, le 31 décembre dernier, y raconte, assisté par le journaliste Saverio Gaeta, sa «vie aux côtés de Benoît XVI », sous-titre de l’ouvrage.

Publié ce mercredi en Italie, moins d’une semaine après l’en­terrement du pape émérite, jeudi dernier, par la maison d’édition Piemme, il est titré Nient’altro che la venta (« Rien d’autre que la vé­rité»). On ignore à ce jour qui le publiera en France mais Le Figaro a pu se procurer le manuscrit.

L’homme blessé, c’est ce prêtre allemand, connu pour son sourire d’acteur et son affabilité mais ré­puté pour sa pugnacité ainsi qu’il se dévoile. Se succèdent en effet de véritables pages d’histoire, qui aident à revisiter des ressorts peu connus de la personnalité de Benoît XVI, et des lignes dictées par l’amertume, où Mgr Gänswein procède à des règlements de comptes personnels.

Une attitude que n’aurait cer­tainement pas admise celui qu’il servit sans faille pendant vingt-­sept ans. Rien ne mentionne d’ailleurs que Benoît XVI aurait autorisé son secrétaire personnel à publier ses mémoires. Le pape émérite était tout sauf un homme de polémique. L’auteur rappelle que Joseph Ratzinger, dans ses fonctions successives, « n’a jamais humilié personne », estimant même au contraire qu’il aurait été parfois trop « accommodant ».

Plusieurs secrétaires personnels de pape ont écrit leurs mémoires, dont Mgr Stanislas Dziwisz, secré­taire historique de Jean-Paul II, mais aucun n’avait encore livré un récit aussi détaillé d’une colla­boration hors norme.

Autre caractéristique de l’oeuvre, le besoin de se justifier. Georg Gïinswein, sur certains dossiers sensibles, comme l’affai­re Vatileaks – des documents vo­lés sur son bureau par le majordo­me Paolo Gabriele, publiés dans la presse – éprouve l’impérieux be­soin de prouver qu’il n’a pas failli à sa mission, quitte à mettre en cause de hautes personnalités.

Pacification en péril

Cette entreprise de justification personnelle pourrait être la fai­blesse de ces 336 pages dont la lecture demande, pour cette rai­son, une forme de prudence. Mais le livre n’en demeure pas moins passionnant. Cette saga pontifica­le commence par évoquer les dé­tails de la collaboration entre Joseph Ratzinger et Jean-Paul II, qui consultait abondamment le théo­logien allemand. Ils pouvaient travailler ensemble longuement, deux fois par semaine. Pour autant, le récit n’élude pas les tensions lors de la rencontre in­terreligieuse, en 1986 : Ratzinger l’avait boudée après ses mises en garde contre les risques de « syn­crétisme », même si un «accord total» entre les deux hommes était la réalité courante.

Vient ensuite la transition de 2005, l’élection de Benoît XVI, son pontificat avec ses crises réulières mais aussi ses grandeurs. On trouve un fascinant résumé du magistère de Benoît XVI. Puis arrive la douloureuse réflexion sur le renoncement à sa charge, le secret autour de celle-ci, son annonce.

Quelques souvenirs sur l’élec­tion de François ouvrent la des­cription de l’étrange cohabitation au Vatican. Si Benoît XVI est sur­pris par l’élection « inattendue» de son successeur, il vivra malgré tout ce choix dans la « sérénité », «jusqu’à sa mort ».

Quant au pontificat de François, il est surtout vu à travers ses relations avec Mgr Gänswein. L’un des griefs, moteur du livre, est que le pape régnant lui avait retiré sa responsabilité de Préfet de la Mai­son pontificale ainsi que le grand appartement de fonction afférent. Cette décision de François aurait été prise après la publication du livre de Benoît XVI et du cardinal Sarah, qui défendait le célibat sa­cerdotal, « des profondeurs de nos coeurs » (Fayard), en janvier 2020.

Il y a aussi des éclairages inté­ressants sur la distance prise par le pape émérite avec l’encyclique Amoris Laetitia, traitant de l’ac­cueil des divorcés remariés. Sans que François n’accepte de débats sur le sujet, au grand étonnement de Benoît XVI. Divergences égale­ment sur les personnes homo­sexuelles, non pas tant sur leur accueil pastoral que sur l’enjeu l’acceptation ou non de la « théo­rie du genre ».

Mais le morceau de choix, d’in­térêt général pour l’Église, est un pavé lancé dans la cour du pape François sur la question de la li­turgie. Ce chapitre s’intitule « la pacification interrompue». Selon l’auteur, le pape actuel n’aurait ni consulté ni prévenu son prédé­cesseur qu’il annulait, en juillet 2020, l’une des grandes réformes du pontificat de Benoît XVI : la possibilité de célébrer la messe se­lon le rite de Saint Pie V, au titre de rite «extraordinaire » dans l’Église. C’est-à-dire à côté du rite « ordinaire » défini par Paul VI à la fin du concile Vatican II (1962­1965). Cette rupture entre les deux papes n’a jamais été exprimée aussi clairement que dans cet ouvrage.

Dans la lettre d’accompagne­ment du motu proprio « traditio­nis custodes», du 16 juillet 2020, François assurait pourtant que sa décision rejoignait « l’intention » de Benoît XVI, laissant entendre qu’il avait été associé au saborda­ge de sa propre réforme phare, publiée par le Motu Proprio Sum­morum Pontificum, du 7 juillet 2007. Ce que récuse avec force ar­guments son ancien secrétaire, Ganswein : il affirme que le pape émérite a « découvert» la publica­tion de ce décret du pape François le jour même, le 16 juillet 2020, «en feuilletant l’Osservatore ro­man », le quotidien du Saint­-Siège. Le secrétaire particulier ex­plique ensuite que le pape émérite, tout en respectant « la responsabilité de la décision » de son successeur, y voit, « à titre personnel», un «changement de cap décisif » qu’il estime être « une erreur ». Car « la tentative de paci­fication » que  Benoît XVI a voulu mettre en acte est « mise en pé­ril », explique Gänswein. Il ajou­te : « Benoît pense qu’il est erroné d’interdire la messe selon l’ancien rite dans les églises paroissiales, parce qu’il est toujours dangereux de mettre un groupe de fidèles dans un coin, les conduisant à se sentir persécutés et leur inspirant la sen­sation qu’ils doivent sauvegarder à tout prix leur propre identité face à « l’ennemi » ».

« Bavardages »

Ganswein rapporte aussi la réac­tion du pape émérite quand Fran­çois a confié, en septembre 2021, ses impressions sur ce sujet à des jésuites slovaques. Benoît «fronça les sourcils » quand son successeur avait affirmé avoir obéi aux «vé­ritables intentions de Benoît XVI et de Jean-Paul II». Ce qui a semblé «incongru» au pape émérite. Il avait « encore moins apprécié» une blague, plutôt méprisante, de François envers des prêtres atta­chés à l’ancien rite de la messe «en latin». Gänswein rappelle alors que Ratzinger était « initiale­ment » favorable à la réforme li­turgique mais qu’il avait changé d’avis quand il avait constaté que « la célébration latine » était deve­nue un « bastion à abattre ».

Le retour possible à la célébra­tion selon l’ancienne modalité li­turgique étant au contraire pour lui la confirmation de l’existence d’un « seul rite », puisque la forme « extraordinaire » venait souligner la primauté de l’ « ordinaire ». « Son unique motivation », écrit Gânswein, était « son désir de ré­parer une grande blessure» dans l’Église et non pas de mener « une opération clandestine». D’autant qu’il avait consulté longuement avant de prendre sa décision, sans rien cacher, s’étonnant que « l’enquête » sur les milieux tradi­tionalistes, à partir de laquelle François avait pris sa décision, n’était « toujours pas divulguée». La question de la liturgie était ca­pitale pour Benoît XVI, confie Gànswein. Il l’a placée, après cet épisode, au premier chapitre de ses œuvres complètes.

Dimanche, dans un message à peine voilé à l’adresse de Gänswein, le pape François a mis en garde contre les « bavardages » dans l’Église, «armes létales qui tuent». Mais, contre toute atten­te, il a reçu Mgr Gänswein, lundi, en audience privée… Rupture dé­finitive ou compromis? Rien n’a filtré pour l’heure.

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