Rappels cruciaux de Stefano Fontana: à un moment où Dieu disparaît de notre horizon, et même où toute une civilisation se construit CONTRE Dieu – fait qui n’est pas sans précédent dans l’histoire de l’humanité, il suffit de penser à la Révolution française et à ses séquelles en Europe, mais Stefano Fontana n’en parle pas ici – et surtout où l’Eglise apparaît de plus en plus, sous la conduite de François, comme une simple ONG humanitaire, l’apport de Benoît XVI est décisif. Si l’on veut parler de son « héritage », c’en est un élément fondamental – même si, s’agissant d’une pensée aussi immense que la sienne, le résumer en un mot est une réduction impensable.

Sans Dieu il n’y a pas de Doctrine sociale de l’Eglise, la leçon de Benoît XVI

Stefano Fontana
La NBQ, 10 janvier 2023

Ratzinger a confirmé trois fondements indispensables de la Doctrine sociale de l’Église, sans lesquels il est insensé de parler de l’engagement social des catholiques. Ils concernent : la  » question théologique « , la récupération de la loi morale naturelle, l’impossibilité de la neutralité par rapport à Dieu.

On peut se demander quelle a été la contribution de Benoît XVI à la Doctrine sociale de l’Église (DSE) et si l’on doit s’écarter ou plutôt s’en tenir et développer les positions qu’il a exprimées à cet égard. Benoît XVI a traité de nombreuses questions particulières de la vie sociale et politique, il a également écrit une encyclique sociale, Caritas in veritate (2009), mais le signe particulier de son intérêt pour ce domaine de la théologie est qu’il en a confirmé les fondements afin de le rendre toujours vivant. Ceci dans le contexte d’une de ses préoccupations fondamentales, qui marque tout son pontificat et qu’il a exprimée de manière particulièrement dramatique dans sa Lettre aux évêques lefebvristes du 10 mars 2009 et lors de son voyage au Portugal le 13 mai 2010 :

À notre époque, où dans de vastes régions du monde la foi risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus de nourriture, la priorité est avant tout de rendre Dieu présent dans ce monde et d’ouvrir aux hommes l’accès à Dieu (…). Le vrai problème à ce moment de notre histoire est que Dieu est en train de disparaître de l’horizon de l’humanité et qu’avec l’extinction de la lumière venant de Dieu, l’humanité est saisie d’un manque de direction, dont les effets destructeurs deviennent de plus en plus apparents.

L’Église est aujourd’hui confrontée à cette urgence sans précédent : la reconstruction de l’être humain à partir de la re-proposition de Dieu.

Pourquoi une urgence « sans précédent » ? Parce qu’il n’était jamais arrivé auparavant que la culture humaine se construise contre la religion [?] et que la religion ne puisse pas s’adresser à une nature humaine capable de l’accueillir. Les premiers chrétiens savaient qu’ils pouvaient compter sur l’existence de la nature humaine, que les philosophes païens avaient également exprimée et valorisée à leur manière. Aujourd’hui, si la foi disparaît, c’est aussi la nature humaine de l’homme qui disparaît.

Avec ces motivations, Benoît XVI a indiqué trois fondements incontournables sur lesquels reposent, aujourd’hui comme hier, l’enseignement social de l’Église et l’engagement social la DSC, considérée comme un malentendu à passer sous silence.

  • Le premier fondement consiste à indiquer que la « question anthropologiqu  » n’est au fond rien d’autre que la « question théologique ». Benoît XVI a souvent utilisé la première de ces deux expressions, arguant que la question sociale est désormais devenue la question de l’homme. Mais on se tromperait si l’on s’arrêtait là, en incluant cette déclaration dans le contexte du « tournant anthropologique » de la théologie contemporaine. En vérité, le véritable caractère bénédictin de cet enseignement réside dans la seconde expression : « Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne peut même pas comprendre qui il est » (CV n° 78). Dans Caritas in veritate, il constate une « conscience désormais incapable de connaître l’humain » (n. 75) et, quant à la cause, il affirme : « L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain » (n. 78).
    Les références à la DSE qui n’ont pas pour but premier de rétablir une place pour Dieu dans le monde sont insuffisantes et déviantes. Je crois que c’est ce que Benoît XVI a voulu dire en nous indiquant la voie de l' »anamnèse » : la rencontre avec le Christ met la mémoire en mouvement et permet de retrouver la dimension naturelle que nous avions oubliée.
  • Le deuxième fondement est la récupération intégrale de la loi morale naturelle, dans une culture qui rejette le concept même de nature. Il en parle en partant de la rationalité de la création et de la prise de conscience que nous ne sommes pas le fruit du hasard ou du déterminisme. La loi morale naturelle, dit-il, est comme le langage qui exprime la réalité. La question fondamentale ici est de savoir si la vision de la réalité comme un tout qui nous parle est récupérable par la seule raison naturelle ou non. La disparition de la raison métaphysique a certes provoqué la sécularisation du christianisme dans la mesure où l’accès au transcendant n’est conceptuellement possible que par la métaphysique, mais l’inverse est également vrai, à savoir que la sécularisation de la foi a permis de renoncer à l’élan de la raison métaphysique. Nous sommes donc confrontés à une situation nouvelle : ce sera à la foi chrétienne de se fixer comme objectif de faire revivre la raison métaphysique et l’unité de la connaissance. Il appartient aux penseurs chrétiens d’ouvrir cette voie, et il est navrant de constater le manque d’engagement à cet égard de la part des centres universitaires catholiques.
  • Le troisième fondement consiste à affirmer que, quand les questions mondaines, qui sont habituellement confiées à la raison, se détachent de Dieu pour atteindre leur propre autonomie, elles se placent dans une sphère non pas de neutralité par rapport à Dieu, mais d’opposition. En effet, si la logique de la construction n’est en quelque sorte pas référable à Dieu, même dans sa légitime autonomie de méthodes et de langage, elle expulse en fait la perspective de Dieu d’elle-même et se construit comme si Dieu n’était pas, ce qui n’est pas une manière neutre de se construire, mais une manière de se construire sans Dieu. À Sydney, pour les Journées mondiales de la jeunesse, le 17 juillet 2008, il a déclaré :

Il y a a beaucoup de personnes aujourd’hui qui prétendent que Dieu doit être laissé « sur le banc » (…). Si Dieu n’est pas important dans la vie publique, alors la société peut être façonnée selon une image sans Dieu. Mais lorsque Dieu est éclipsé, notre capacité à reconnaître l’ordre naturel, le but et le « bien » commence à s’estomper ».

La « question théologique », la récupération de la loi morale naturelle et l’impossibilité de la neutralité par rapport à Dieu sont des fondements capables d’éclairer tous les principes de la DSE et de les sauver des déformations actuelles.

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