Dom Louis-Marie Geyer d’Orth raconte dans quelles circonstances il a rencontré le cardinal Ratzinger, et comment ce dernier a déployé tous les efforts pour régler le conflit avec les traditionalistes (culminant, sous son pontificat, avec Summorum Pontificum) qui l’en ont trop souvent bien mal remercié. Ce article, initialement paru sur L’Homme Nouveau, évidemment en français, a été traduit et repris sur le site Rorate Caeli, où je l’ai trouvé, et « re-traduit » en français, étant bien consciente de tous les périls de l’opération (et je présente par avance mes excuses à l’auteur de l’article et aux lecteurs pour d’éventuelles infidélités.

Une dernière fois, je l’ai rencontré à Mater Ecclesiae. Il était très clair, très structuré.

Ce qui m’a le plus impressionné dans cette dernière conversation, c’est la pureté de son âme. En m’approchant de lui, j’ai eu l’impression de me débarrasser de tous mes soucis et d’entrer dans la lumière.

Je n’ai pas trouvé d’images du Barroux, celle-ci racontent une visite du cardinal Ratzinger en 1990 à la Maison-Mère de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre à Wigratzbad, en Bavière pour y célébrer – le jour de Pâques – une Messe tridentine.

Une amitié bénédictine

Original en français: hommenouveau.fr/histoire-dune-amitie-benedictine/
Traduction en anglais: rorate-caeli.blogspot.com/2023/01/a-monk-of-le-barroux-reflects-on-his.html
4 janvier 2023

Dom Louis-Marie Geyer d’Orth
Père abbé de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

Quand je pense à Benoît XVI, deux versets de la lettre de saint Paul aux Éphésiens me viennent spontanément à l’esprit, évoquant la capacité de « comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance ». Benoît XVI était grand dans sa charité, c’est pourquoi je voudrais vous raconter l’histoire de l’amitié entre ce grand homme et notre communauté.

La première mention du nom de Ratzinger dans nos chroniques fut à l’occasion d’une conférence donnée par Jean Madiran au noviciat le 22 septembre 1984, sur un document du Cardinal sur la Théologie de la Libération et ses racines marxistes. Cette intervention a été jugée si importante par les frères qu’elle a été notée. Depuis cette date, le nom du cardinal est récurrent dans l’histoire de la communauté.

A peine trois mois plus tard, Dom Gérard [le premier abbé du Barroux] fut appelé par le cardinal Ratzinger, qui le reçut avec une grande bienveillance et lui exprima sa ferme volonté d’améliorer la situation canonique des communautés traditionnelles. Je ne peux que constater que c’est lui qui a pris l’initiative : Nous n’avons fait que répondre à son appel. Ce qui place le Cardinal du côté de Dieu, dont la Providence a toujours l’initiative.

Et il est certain qu’il a travaillé de toutes ses forces pour éviter la rupture entre Rome et le monde traditionaliste. Il reçut Mgr Lefebvre à de nombreuses reprises et rédigea les accords de mai 1988. Lorsque Mgr Lefebvre renonça à la signature de cet accord, c’est encore le cardinal Ratzinger qui, lors d’une audience privée avec le pape Jean-Paul II, obtint que le Saint-Siège accorde, en privé et en public, l’usage des livres liturgiques en vigueur en 1962 aux communautés qui souhaitaient rester unies à Rome (dont la nôtre) pour les membres des communautés et ceux qui se rendaient chez eux.

Et il ouvrait la possibilité de s’adresser à un évêque pour conférer des ordinations, le droit des fidèles de recevoir les sacrements selon les livres de 1962, et la possibilité de développer des impulsions pastorales par des œuvres apostoliques pour préserver les ministères actuellement assumés (Motu proprio Ecclesia Dei). Avec ce texte juridique décisif, le cardinal Ratzinger devint un membre fondateur de nos communautés, dont la raison d’être est, entre autres, la célébration de la liturgie selon les livres anciens.

L’acte d’amitié ne s’est pas arrêté en 1988. Dépassant le cadre canonique, le cardinal Ratzinger accepta d’écrire une lettre d’introduction à la nouvelle édition du missel traditionnel pour les fidèles, ce qui fit grincer quelques dents épiscopales françaises et déclencha une tempête médiatique à cause de la traduction d’une des prières du Vendredi saint. Le pape Benoît XVI résolut cette difficulté en donnant un ton plus irénique à cette prière pour le peuple juif tout en maintenant l’intention fraternelle de sa conversion.

C’est également le cardinal Ratzinger qui fit pression pour obtenir une rencontre entre Jean-Paul II et la communauté, qui eut lieu en septembre 1990, et au cours de laquelle Dom Gerard put mettre en évidence les difficultés d’application du motu proprio Ecclesia Dei. Le cardinal Ratzinger essaya alors de trouver des solutions pratiques par le biais de statuts concrets, avec l’aide des personnes concernées. Déjà en 1991, le cardinal était enclin à la solution d’un recours possible de tous les fidèles à leurs évêques pour obtenir la célébration de la Messe traditionnelle.

Inutile de dire, en effet, que le 7 juillet 2007, en tant que Pape Benoît XVI, il mit en lumière, comme une évidence, un document pacificateur (Summorum Pontificum) en vue d’une paix liturgique qui respecte les différentes aspirations des fidèles.

Je note un moment fascinant qui montre la douce honnêteté du cardinal : il invita Dom Gerard à rendre visite aux évêques afin d’exercer une correction fraternelle mutuelle: soumettre nos commentaires respectueux et écouter les leurs.

Malgré la tempête médiatique due au missel du Barroux, le Cardinal a accepté avec joie de préfacer à nouveau la réédition d’un second livre : Mgr Klaus Gamber : Vers le Seigneur. Ce fut à nouveau l’occasion de très vives réactions en France, car ce livre montre avec une précision scientifique les fondements de la célébration de la messe vers l’Orient (symbole du Christ, soleil levant) et non vers les fidèles.

L’amitié entre le Cardinal et la communauté a culminé lors de sa visite en septembre 1995. Il s’est occupé de nous en dépit de toutes les oppositions. Certaines autorités ecclésiastiques lui avaient demandé de ne pas venir aux dates prévues à cause de l’affaire Mgr Gaillot et des élections ; il a reporté sa visite de quelques mois, mais il est venu.

Je me souviens très bien de sa visite. Jeune novice, je l’ai rencontré avec son secrétaire, Mgr Josef Clemens. Ils sont venus en voiture de Rome (leur vol avait été annulé à cause d’une grève) et se sont reposés un peu, assis sur une malle. J’ai gardé un souvenir inoubliable de sa réception officielle à l’abbaye : procession, chants et prières, et enfin une bénédiction pontificale.

procession, chants et prières, et enfin une bénédiction papale. Ses exhortations ont porté sur la vie intérieure, si importante pour la vie de l’Église.

À la fin de la messe, il s’est immergé dans la foule, et après le déjeuner, couronné par des acclamations carolingiennes, il a rencontré les prêtres diocésains, qui l’ont assailli de leurs questions. Son slogan, nous n’en doutons pas, était surnaturel : patience et prière. Je pense qu’il est toujours d’actualité.

En 1998, à l’occasion du dixième anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei, il a présidé une conférence à Rome sans hésiter à dire que les difficultés d’application étaient dues à une mauvaise compréhension des textes du Concile Vatican II, mais qu’il ne fallait pas perdre patience et qu’il fallait surtout garder confiance en puisant dans la liturgie la force nécessaire à un témoignage de fidélité catholique.

A l’occasion de la mort de Dom Gerard, il a envoyé une lettre très touchante révélant son amitié. Il rappelait que Dom Gerard « avait passé la plus grande partie de sa vie à se tourner vers le Seigneur, à louer Dieu et à conduire ses frères dans la prière. » Il exprimait sa gratitude « pour l’attention de Dom Gerard à la beauté de la liturgie latine, appelée à être toujours plus source de communion et d’unité dans l’Église. »

Pour passer à des souvenirs plus personnels : voici un compte rendu de certaines de mes propres rencontres.

Après mon élection en 2004, je me suis rendu à Rome pour me présenter au cardinal, qui m’a reçu avec beaucoup de bonne volonté. Malgré ma jeunesse, mon inexpérience et mes questions bizarres, il ne m’a témoigné que respect et encouragement.

Je l’ai revu lorsqu’il était pape, lors d’une audience générale : il a été très aimable lorsque l’officier qui devait me présenter a perdu du temps à chercher mon nom sur la liste. Le pape Benoît XVI l’a devancé en m’appelant « le Père Abbé de Barroux » et en roulant les « r » à la germanique. Puis il m’a demandé des nouvelles des moniales, de la communauté monastique et de Dom Gérard, son « grand ami ». Sa joie était d’une sincérité contagieuse, et en sa présence nous avons même oublié les photographes présents.

Une dernière fois, je l’ai rencontré à Mater Ecclesiae. Il était très clair et articulé. Dans la conversation, il n’y a pas un mot de trop, une pensée directe s’exprime avec clarté. Ce qui m’a le plus impressionné dans cette dernière conversation, c’est la pureté de son âme. En m’approchant de lui, j’ai eu l’impression de me débarrasser de tous mes soucis et d’entrer dans la lumière. Je me souviens encore de son geste d’accueil.

Pour l’Église, Benoît XVI restera une pierre angulaire solidement ancrée dans la maison du Seigneur, la Domus Domini. Depuis plusieurs années, je m’appuie sur ses audiences générales pour tenir des conférences spirituelles le premier vendredi du mois. Il y a toujours une doctrine sûre, enracinée et très actuelle.

Un Père m’a rappelé qu’en tant que théologien avant le Concile, il était un grand défenseur du renouvellement des études théologiques par un retour aux Pères de l’Église et aux grands scolastiques. Pendant le Concile, Joseph Ratzinger a prôné un renouvellement de la théologie fondamentale, notamment en ce qui concerne la révélation et la relation entre l’Écriture et la Tradition. Après le Concile, il a adopté une position plus défensive face aux courants associés à la révolution de Mai 68. Avec la confiance de saint Paul VI et surtout de saint Jean-Paul II, il a contribué à une série de documents magistériels qui ont permis de clarifier l’interprétation des textes du Concile Vatican II. L’entretien historique avec Vittorio Messori, le Rapport Ratzinger et le discours de Benoît XVI à la Curie romaine le 22 décembre 2005 ont fait date.

Enfin, je pense que nous serons tous d’accord pour louer sa lumineuse humilité alliée à un beau courage : après la publication de Dominus Jesus, les réactions féroces, loin de l’effrayer, l’ont encouragé à aller de l’avant dans l’importance de ce genre de déclaration.

Il a également été l’un des premiers à s’engager dans la lutte contre les abus cléricaux, preuve de sa clairvoyance.

En conclusion, je voudrais rappeler la profondeur de son enseignement fondé sur le rapport entre la foi et la raison. Il a eu la sagesse de proposer à l’Eglise de tout asseoir sur le fondement solide des vertus théologales. Ses trois encycliques, « Deus caritas est », « Spe salvi » et « Lumen Fidei » (la dernière, publiée par son successeur) en témoignent.

Que Dieu daigne l’accueillir dans sa paix et sa lumière ! Qu’il prie pour nous et nous bénisse du haut du ciel !

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