A la lecture de ce compte-rendu de Nico Spuntoni sur la NBQ d’aujourd’hui, j’ai le sentiment (pardon d’utiliser la première personne, je veux juste dire que c’est une opinion personnelle), qui serre le cœur, d’une certaine solitude du Saint-Père (malgré la foule qui se pressait pour accéder à son ermitage), entouré d’une sorte de Cour – la cour inévitable d’un souverain, même en exil – où tous le tiraient littéralement par la soutane pour obtenir ses faveurs, et essayer de l’influencer. On comprend mieux pourquoi Benoît XVI s’isolait dans la prière, il avait besoin de se resourcer.

Mort un Pape, son secrétaire (éxpulsé) parle

Nico Spuntoni
lanuovabq.it/it/morto-un-papa-parla-il-segretario-sfrattato
13 janvier 2023

Mgr Gänswein sera bientôt « expulsé » du monastère Mater Ecclesiae, écrit Die Zeit. Ce pourrait être l’épilogue de la polémique déclenchée par le livre de l’archevêque allemand. Qui entre-temps a démenti le récit de la pleine continuité entre les deux pontificats.

Avis d’expulsion pour Mgr Georg Gänswein ? L’hebdomadaire Die Zeit écrit que le secrétaire privé de Benoît XVI a été prié de quitter le monastère Mater Ecclesiae avant le 1er février. Un ordre qui venait directement du Pape avec une note manuscrite, une antique coutume des successeurs de Pierre non abandonnée par l’actuel.

Ce pourrait être l’épilogue retentissant de l’épreuve de force à distance qui s’est déroulée entre les deux au lendemain de la mort de Benoît XVI, l’archevêque allemand émettant des soupçons sur une cohabitation qui n’a pas toujours été facile depuis sa démission en 2013 et François prompt à lui répondre indirectement dans des discours publics en l’appelant à cesser les « bavardages mortels ».

Nient’altro che la verità, le livre-bombe que le préfet de la Maison pontificale a signé avec le journaliste Saverio Gaeta, est sorti officiellement hier et est déjà un best-seller. Presque inévitable compte tenu de la dynamique de la participation collective à la mort de Benoît XVI et de la polémique suscitée par la sortie des premières anticipations. En le lisant, on a l’impression que le secrétaire du pape émérite a parlé à cœur ouvert, racontant les coulisses de certaines des pages les plus importantes de l’histoire des deux derniers pontificats.

Il est en effet inexact de dire que le texte de Gänswein est contre le pape ou même qu’il sert à en faire le chef de file de ses opposants. Pour exclure cette dernière reconstruction, en particulier, il suffirait de noter que l’auteur n’est pas du tout tendre avec plusieurs personnalités superficiellement comptées par un certain type de presse et d’essais dans les rangs des anti-Bergogliens : Dans la version rapportée de l’affaire concernant la sortie de Des profondeurs de nos coeurs avec une contribution de Benoît XVI peu avant la publication de l’exhortation sur le Synode d’Amazonie, Gänswein n’a assurément pas été indulgent avec le cardinal Robert Sarah auquel il attribue en quelque sorte la responsabilité d’avoir voulu forcer la main du Pape émérite dans la gestion de cette opération d’édition et aussi de la controverse qui a suivi.

L’initiative de publier le livre de défense du célibat sacerdotal avec une double signature a été considérée comme une aubaine par le monde catholique préoccupé par les positions qui ont émergé au Synode sur l’Amazone, mais le secrétaire particulier – qui attribue la même pensée au Pape émérite – a avoué dans son livre son opposition à cette époque précise parce qu’il voulait éviter de donner l’idée que Benoît XVI faisait pression sur son successeur. Une révélation, donc, qui ne lui fait certainement pas une bonne « publicité » sur ce front que – selon des dizaines d’articles publiés ces jours-ci – il aspirerait à diriger.

Il faut ensuite dire que les confessions du secrétaire particulier ne concernent pas seulement des faits postérieurs à mars 2013 mais touchent aussi à des points saillants du pontificat de Ratzinger : dans le récit de la nomination du secrétaire d’État, par exemple, l’auteur ne donne pas vraiment le beau rôle au cardinal Tarcisio Bertone dont il présente la « soif » d’accéder à ce poste, lui attribuant même les commentaires ironiques de Ratzinger sur l’ambition de son collaborateur de longue date. Tout aussi peu flatteur est le jugement que Gänswein porte sur l’expérience de Bertone au gouvernement.

Et au sujet de l’ex-secrétaire d’État, le préfet de la Maison pontificale donne également sa version de la défiance à l’égard d‘Ettore Gotti Tedeschi de l’ Ior, communiquée à Benoît XVI par le Premier ministre [Bertone] lui-même et que le Pontife régnant de l’époque – selon lui – « avait explicitement approuvée ». Une reconstruction très différente de celle que connaît le banquier, qui, au cours de ces presque dix années, n’a pas caché son lien profond avec le pontificat de Ratzinger et son malaise dans la saison bergoglienne. Bien que Gotti Tedeschi ait répondu en toute courtoisie dans Stilum Curiae, en réaffirmant son affection pour Gänswein et en rappelant une ancienne interview de ce dernier au quotidien Il Messaggero dans laquelle il parlait de la surprise de Benoît XVI face à l’acte de défiance (sur lequel, selon l’archevêque, il y avait eu « une mauvaise interprétation » de la part de l’intervieweur), on peut imaginer que ce qui a été publié dans Nient’altro che la verità n’a probablement pas plu à un autre des adversaires présumés de Bergoglio.

À la lumière de tout cela, il est bien évident que présenter le livre écrit avec Saverio Gaeta comme une sorte de descente sur le terrain contre François pour compacter les soi-disant Ratzingeriens est non seulement superficiel, mais aussi erroné.

Gänswein a simplement donné sa version de la vérité des faits. S’il ne l’avait fait qu’à propos des années du pontificat de Ratzinger, peut-être n’y aurait-il pas eu ce niveau de controverse avec des scénarios décrits comme une guerre civile dans l’Église. Ce qui dérange, c’est que le secrétaire particulier a également donné son avis sur la relation avec le pape actuellement régnant, avec lequel il a travaillé étroitement jusqu’en janvier 2020 en tant que préfet de la maison papale.

Le portrait de François qui se dégage des parties relatives à leurs rencontres est celui d’un Pontife décideur, parfaitement conscient du pouvoir qu’il exerce. Par exemple, après l’affaire du livre de Sarah, Bergoglio a ordonné à son subordonné de ne plus se présenter au travail, même s’il pouvait officiellement conserver son emploi. Gänswein, sous le choc, a répondu qu’il ne l’acceptait pas humainement mais qu’il s’adapterait dans l’obéissance. « C’est une bonne parole. Je le sais parce que mon expérience personnelle est que l’acceptation dans l’obéissance est une bonne chose », a répondu François. Ou encore, lorsque le préfet s’est plaint de ne pas avoir été souhaité lors de la visite de Sant’Egidio et que le pape s’est excusé, non sans ajouter que « les humiliations font beaucoup de bien ».

Bref, le récit de l’archevêque allemand confirme que les deux hommes ne s’appréciaient pas vraiment. Il n’était pas facile, par ailleurs, pour une personnalité aussi identifiée au pape précédent – qui était toujours vivant et au Vatican – de devenir un fidèle de son successeur qui présente – comme l’a dit Ratzinger – « des différences de style et de tempérament ». Toutefois, il faut reconnaître à François que, dans ce cas, il a fait preuve de sensibilité à l’égard de son prédécesseur, en maintenant son secrétaire particulier à ce poste pourtant important de la Curie, malgré le fait que – comme il est évident – il ne l’aimait pas.

Cette situation a été maintenue non sans difficulté jusqu’en janvier 2020 et l’éclatement de l’affaire Sarah, lorsque Gänswein est devenu un « préfet réduit de moitié » et a été affecté exclusivement à l’assistance de Benoît XVI. « Servez de bouclier », lui ordonna emblématiquement François, et Benoît XVI, en l’apprenant, commenta avec son habituelle ironie bavaroise (« Il semble que le pape François ne me fasse plus confiance et souhaite que vous soyez mon tuteur »). Il ne s’est pas limité à cela mais a pris un stylo et du papier et a écrit à son successeur pour demander une intervention en faveur de son secrétaire particulier. Qui n’est pas venue. Ce n’est pas la seule occasion où, selon l’auteur, Ratzinger a fait ce que l’on pourrait appeler des objections à son successeur.

On peut débattre de l’opportunité de les rendre publiques maintenant et non à la fin du pontificat, lorsque la relation entre le régnant et l’émérite sera une affaire d’historiens plutôt que de partisans. Il a lui-même dû avoir des doutes sur le choix du moment s’il est vrai, comme l’ « ami » Die Tagespost l’a écrit hier, que l’archevêque a essayé de persuader l’éditeur de bloquer la publication rapide du livre [peut-être aussi sur ordre de François, ndt]. Et pourtant, Gänswein n’a dit que sa vérité, il n’a pas attaqué le pape.

C’est pourquoi les attaques dont il fait l’objet ces jours-ci, presque centrées sur la volonté de lui dénier le droit de le faire et visant même à exiger une punition ad personam pour l’avoir fait, apparaissent comme l’expression d’une manière de concevoir l’Église très éloignée de ce « chemin de franchise » rappelé par François. L’audience qui lui a été accordée lundi par le Pape aura probablement été l’occasion d’une confrontation sous le signe de la parresia entre les deux et nous verrons dans les semaines ou mois à venir quel avenir sera décidé pour l’ancien secrétaire particulier de Benoît XVI.

Entre-temps, le livre de Gänswein semble avoir produit un fait objectif avec lequel toutes les personnes impliquées devront compter : la personne la plus proche de Ratzinger a démenti la représentation de deux pontificats en pleine continuité. Il s’agit d’un élément qui ne doit pas être laissé en pâture aux « fans » – aussi parce que la discontinuité est légitime dans l’enceinte de Pierre, mais la circonstance exceptionnelle d’un ex-pape vivant et parlant a évidemment rendu problématique son affirmation – mais qui ne peut être passé sous silence.

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