Sur le ton condescendant, teinté d’une ironie pas vraiment subliminale envers ses confrères italiens, et que je crois bien connaître pour avoir traduit nombre de ses articles au début du pontificat de Benoît XVI, la star du journalisme américain en matière de reportage religieux (et l’on sait que les Américains ont la prétention de dicter au monde entier ce qu’il FAUT penser, même si, sur de nombreux sujets, dont celui de la religion catholique, leurs compétences sont, au mieux, de second ordre) étale son scepticisme. En gros, il s’agirait de querelles picrocholines, qui n’intéressent pas grand monde, en dehors d’un microcosme, en tout cas pas le catholique lambda. L’actualité du Vatican est clairement un sujet « de niche ». Peut-être n’a-t-il pas entièrement tort, en tant que pilier du mainstream, il est assez bien placé pour en parler. Mais alors, que dire de John Allen lui-même, qui en a fait son fond de commerce, puisqu’il couvre justement, depuis des décennies, l’actualité de la papauté à travers des titres comme le NYT, le National Catholic Reporter, Crux, etc., et parcourt les Etats-Unis pour donner des conférences dont j’imagine qu’elles ne sont pas gratuites?
Sa conclusion est: fuyez les réseaux sociaux, au moins pour quelque temps. Autrement dit quand tout retombera dans l’oubli des catacombes. Bref: dormez tranquilles, bonnes gens. Allen et ses semblables s’occupent de tout.

Malgré l’onde de choc provoquée par les décès de Benoît et de Pell, cela aussi passera


John Allen

ROME – Si l’on devait prendre pour argent comptant tout ce qui a été rapporté dans la presse ou diffusé sur les médias sociaux depuis le 31 décembre, date du décès du pape Benoît XVI, et le 12 janvier, deux jours après la mort surprise du cardinal George Pell, il serait facile de penser que rien de moins que la bataille de Stalingrad a éclaté dans l’Église catholique.

Immédiatement après le décès de Benoît XVI, des interviews de son secrétaire privé, l’archevêque allemand Georg Gänswein, ont commencé à être publiées, ainsi que des extraits d’un nouveau livre intitulé « Nient’altro che la verità », qui décrit en détail les années passées par Gänswein aux côtés du défunt pontife.

Des révélations incendiaires ont été faites, notamment :

  • La décision du pape François de restreindre l’autorisation de célébrer l’ancienne messe en latin a, selon Gänswein, « brisé le cœur » de Benoît XVI.
  • En le démettant effectivement de ses fonctions de préfet de la Maison pontificale tout en lui permettant de conserver son titre, Gänswein a dit que François avait fait de lui un « prélat coupé en deux ».
  • Après que Benoît ait dit à François qu’une « résistance forte et publique » était nécessaire face à la « philosophie du genre », Gänswein a affirmé que François non seulement n’a pas répondu mais n’a plus jamais demandé l’avis de Benoît.
  • Gänswein a rappelé un épisode au début de 2018, lorsque le Vatican a voulu publier un recueil d’essais de théologiens sur l’enseignement de François et a demandé à Benoît de contribuer à une préface. Benoît a refusé, entre autres parce que l’un des théologiens du volume était un Allemand du nom de Peter Hünermann qui avait été un critique de Ratzinger/Benoît.

C’était plus qu’il n’en fallait pour que de nombreux commentateurs italiens déclarent qu’une guerre civile était en cours entre les camps de « Benoît » et de « François » dans le catholicisme, probablement gardée secrète tant que Benoît était en vie, mais maintenant pleinement exposée au public.

« Le Front traditionaliste opposé à François après la sortie de Ratzinger : Des mécontents parmi les cardinaux et des mouvements vers un futur conclave », titrait le Corriere della Sera, le quotidien le plus influent du pays, tandis que La Stampa posait la question provocante suivante : « Qui se cache derrière le père Georg ? Il y a un plan secret pour stresser François et le pousser à la démission ».

Dans ce qui a été considéré comme une rebuffade à peine voilée à l’encontre de Gänswein, François, lors de la célébration de l’Épiphanie le 6 janvier, a mis en garde contre la « fascination des fake news« , a qualifié les ragots d’ « arme mortelle » et a dit qu' »on rencontre le Seigneur dans l’humilité et le silence ». Les prélats perçus comme fidèles à François, dont le cardinal allemand Walter Kasper, le cardinal argentin Leonardo Sandri et l’archevêque italien Vincenzo Paglia, ont tous été encore plus explicites, suggérant publiquement qu’il est temps pour Gänswein de la fermer [to put a socck in it].

Le 9 janvier, François a convoqué Gänswein à une audience privée et, bien qu’aucun des deux hommes n’ait révélé le contenu de leur conversation, les médias allemands ont rapporté peu après que Gänswein avait jusqu’au 1er février pour quitter le monastère Mater Ecclesiae, situé sur les terrains du Vatican, où il a vécu avec Benoît XVI au cours de la dernière décennie.

L’onde de choc de ces bombes ne s’était pas encore dissipé lorsque la nouvelle est tombée le 10 janvier que Pell, 81 ans, héros de longue date de l’aile conservatrice du catholicisme anglophone, était mort de complications après une opération de remplacement de la hanche à l’hôpital Salvator Mundi de Rome.

Deux points qui sont apparus dans le cycle des commentaires sur Pell ont semblé renforcer l’impression d’un conflit qui s’approfondit.

  • Le journaliste italien chevronné Sandro Magister a reconnu ce que beaucoup à Rome considéraient comme un secret de polichinelle, à savoir que Pell était l’auteur d’un mémo anonyme sur le prochain conclave publié l’année dernière, dans lequel il décrivait la papauté de François comme « un désastre à bien des égards, une catastrophe ».
  • Il est également apparu que le dernier essai que Pell a écrit avant sa mort était un article pour The Spectator qualifiant de « cauchemar toxique » le synode convoqué par François sur la synodalité .


Face à des titres sensationnels et des messages menaçants sur les réseaux sociaux suggérant que l’Église est plongée dans un conflit fratricide, que doit penser le catholique moyen ?

Tout d’abord, il est important de garder une certaine perspective.

L’Église catholique n’a jamais connu auparavant une situation dans laquelle un pape émérite coexistait au Vatican avec son propre successeur, et il était prévu que cette situation créerait quelques tensions. C’est d’autant plus vrai que, à certains égards, Benoît et François incarnent des visions théologiques et politiques différentes.

Mais qu’est-ce qui est le plus significatif ici ?

Est-ce le fait qu’après la mort de Benoît XVI, son plus proche collaborateur a pu identifier trois ou quatre moments où les deux pontifes n’étaient pas d’accord ? Ou bien est-ce le fait que, dans un monde profondément polarisé, deux dirigeants représentant des perspectives différentes ont néanmoins passé une décennie entière en étroite proximité, avec un respect et une affection fondamentaux l’un pour l’autre, sans que la situation ne s’envenime ?

En d’autres termes, peut-être que la vraie leçon à retenir n’est pas que l’Église a des différences, mais que, malgré tout, elle a une remarquable capacité à gérer et à réconcilier ces différences.

Deuxièmement, il est important de se rappeler que les désaccords qui ont été mis en lumière ces derniers jours ne sont pas nouveaux. Les conflits entre évêques, ou entre évêques et papes, sont aussi vieux que l’Église elle-même – lisez Galates 2:11-14, par exemple, pour la célèbre réprimande de Paul à Pierre à Antioche, qui a le même ton approximatif que l’évaluation de Pell du prochain synode.

Au cours des siècles, l’Église a survécu aux guerres de religion, aux papes contraints à l’exil, aux papes rivaux qui s’excommuniaient et même s’emprisonnaient mutuellement, aux schismes et aux grandes divisions, et à pratiquement toutes les autres formes de bouleversements imaginables. Elle dépassera certainement les turbulences relativement légères du début de l’année 2023.

Troisièmement, il est également important de se rappeler que la plupart des catholiques ordinaires, heureusement, ne sont pas terriblement investis dans la politique de l’église.

Placez-vous à l’extérieur d’une paroisse américaine choisie au hasard dimanche prochain et demandez aux participants à la messe s’ils peuvent nommer Gänswein ou Pell, et je soupçonne que l’écrasante majorité répondra par l’incompréhension. Pour la plupart des catholiques, l’église est le lieu où ils se rendent pour échapper à la partisanerie et à l’acrimonie, et non pour en recevoir davantage. [ndt: ne se rendent-ils à l’église que pour cela??]

En conséquence, le bruit et la fureur de ces derniers jours ont peut-être produit un tsunami parmi les observateurs du Vatican et les classes bavardes, mais ce n’est probablement rien de plus qu’une légère ondulation à la base.

Cela ne veut pas dire que les révélations des deux dernières semaines n’ont pas été fascinantes et, à un certain niveau, peut-être même inquiétantes. Il s’agit de dire, cependant, que cela aussi passera – et en attendant, peut-être que rester à l’écart des médias sociaux pendant une semaine ou deux pourrait être sain pour l’âme et l’estomac.

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