Commentaire de Roberto de Mattei, daté du 11 janvier, qui fait le point sur la situation après les obsèques de Benoît XVI, et après la sortie en Italie du livre-confession de Georg Gänswein. Selon lui, une manœuvre est en cours (les médias s’en occupent!), pour « rendre les conservateurs responsables d’un conflit dont les principaux artisans sont aujourd’hui les évêques allemands », alors qu’ « aucune responsabilité n’est rejetée sur le pape François« . Très vrai. Citant Georg Gänswein, il ajoute aussi que la ligne de front ratzingeriens/bergogliens n’est pas si clairement définie (ce qui contribue à renforcer l’impression de chaos), car plusieurs papabili connus pour leurs positions progressistes ont été nommés cardinaux par Benoît XVI. Sauf que (c’est moi qui le dis), il n’a jamais été dans l’intention de Benoît XVI de créer une quelconque polarisation, encore moins une team Ratzinger, seulement de donner une place à toutes les sensibilités de l’Eglise, soucieux qu’il était d’éviter les déchirures, et quitte à faire effectivement des nominations contestables (pensons à Paglia, même s’il n’est pas – pas encore – cardinal). Et il me semble évident que quand il a choisi Tagle, ou Hollerich, il n’ignorait pas leurs opinions, et savait pertinemment qu’ils ne pourraient jamais devenir des « ratzingeriens » – un concept impensable pour lui. C’est toute la différence avec François, qui a verrouillé le prochain conclave en intégrant dans le collège cardinalice uniquement des gens tous acquis à sa propre sensibilité

Face à la confusion dans l’Église


Roberto de Mattei

Au lendemain des funérailles de Benoît XVI, l’horizon qui se profile au Vatican a les contours indéfinis du chaos.

Le premier élément de confusion, concernant le nom à donner à l’ancien pontife décédé, a été mis en évidence par ses funérailles. Celui de Benoît XVI est évidemment un nom de courtoisie, car depuis le 28 février 2013, il n’y a plus qu’un seul pape au Vatican, et c’est François, comme l’a souligné à plusieurs reprises ces derniers jours Mgr Gänswein lui-même, secrétaire de Benoît XVI. Il aurait été plus correct, selon les canonistes, de l’appeler Cardinal Josef (sic!!) Ratzinger, ou peut-être Monseigneur Ratzinger, car seul le titre d’évêque imprime un caractère indélébile.

Les funérailles, certes, n’étaient pas celles d’un Pontife régnant. En témoignent non seulement l’invitation du Saint-Siège limitée à deux délégations officielles (l’Italie et l’Allemagne), mais aussi de petits détails, tels que la note distribuée le 31 [coquille] janvier aux ambassadeurs, dans laquelle il leur est demandé de se présenter en « tenue de ville couleur sombre » et non en tenue de cérémonie. Cet « hommage soft » a poussé la vaticaniste Franca Giansoldati à écrire dans Il Messaggero le 6 janvier : « Les funérailles les plus étranges de l’histoire de l’Église contemporaine auraient dû avoir un protocole vraiment solennel et être accompagnées du deuil du Vatican, mais comme Ratzinger ne régnait plus, il n’y a même pas eu de drapeaux blancs et jaunes en berne. Il n’y avait pas non plus de piquet de gardes suisses à côté du cercueil, et les gentiluomini qui le portaient sur les épaules ne portaient pas de queue de pie. Seul le doyen de salle portait l’uniforme de gala ».

En revanche, ces funérailles, réduites à l’essentiel, ont été contrebalancées par l’hommage rendu à l’ex-Pape par plus de 200 000 fidèles qui ont souhaité lui rendre un dernier hommage pendant les trois jours où le corps a été exposé. Une manifestation de foule qui a confirmé l’estime et l’affection dont Benoît XVI a toujours bénéficié, mais qui a incité les médias à souligner l’existence de deux « partis » qui s’affrontent au Vatican : les « bergogliens » et les « ratzingeriens ».

Les funérailles, comme le quotidien Libero du 5 janvier le titrait en première page, auraient été un « règlement de comptes » entre papes.

Nico Spuntoni, pour sa part, a écrit dans Il Giornale du 8 janvier :

Comme dans une tempête parfaite, dans les jours de l’exposition du corps et des funérailles de Benoît XVI, on a vu circuler les anticipations d’un livre (Nient’altro che la verità) et une interview de son fidèle secrétaire particulier, Mgr Georg Gänswein, où il a explicité son choc d’avoir été « réduit de moitié », il y a trois ans, dans le rôle de préfet de la Maison pontificale, à la suite de la controverse suscitée par le livre défendant le célibat sacerdotal du cardinal Robert Sarah et dont Ratzinger était l’un des co-auteurs.
La réponse de Gänswein à propos de Traditionis Custodes, le document par lequel François a effectivement abrogé la libéralisation accordée en 2007 à la messe dite tridentine, est tout aussi retentissante: « Je crois que le pape Benoît a lu ce motu proprio avec le cœur plein de douleur« , a déclaré l’archevêque allemand au journal Die Tagespost.

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(traduit ici: Georg Gänswein accusé d’avoir dit la vérité

Gänswein a été sévèrement attaqué par certains connaisseurs. Les révélations du « préfet réduit de moitié » font craindre au sein de l’Église des divisions qui risquent d’éclater à nouveau après la mort de Benoît XVI. Et de fait, aujourd’hui, il y a même des cardinaux et des évêques qui ont admis l’existence de « tensions ».

Le 8 janvier, un article de Massimo Franco dans le Corriere della Sera était intitulé Le front des traditionalistes pour s’opposer à François après l’adieu de Ratzinger. Parmi les principaux représentants de ce front, Franco mentionne, outre Mgr Gänswein, le cardinal Gerhard Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la foi et le nouveau président des évêques américains Timothy Broglio. Dans le même journal, qui exprime la voix de l’establishment progressiste, Gian Guido Vecchi, écrit que « dans le sous-bois de l’opposition traditionaliste à François, il y a une tentative post-mortem d’utiliser Benoît XVI comme un étendard et de créer un conflit entre ‘les deux papes’ qui en réalité n’existait pas » (Corriere della Sera, 10 janvier).

La manœuvre consiste manifestement à rendre les conservateurs responsables d’un conflit dont les principaux artisans sont aujourd’hui les évêques allemands, engagés dans leur « voie synodale ». Aucune responsabilité n’est rejetée sur le pape François qui, malgré la grave maladie qui mine ses forces, continue d’utiliser une main de fer, comme il l’a fait à l’Épiphanie en remettant en place le pouvoir du Vicariat de Rome, avec la constitution apostolique In ecclesiarum communione. Le contenu de l’entretien que le pape a eu avec Mgr Gänswein le 9 janvier est inconnu, mais il ajoute certainement à l’incertitude.

En outre, la mort inattendue du cardinal George Pell le 10 janvier créera de nouveaux problèmes pour le front conservateur. Le cardinal australien, qui a été blanchi de toute accusation judiciaire, avait une forte personnalité et, en raison de son sens de l’organisation, aurait pu jouer un rôle important dans le pré-conclave que beaucoup considèrent désormais comme proche, en cas de décès ou de renonciation du pape François. D’autre part, parmi les « papabili », rappelle Mgr Gänswein, « même beaucoup de ceux qui sont considérés comme des représentants plus « libéraux », pour utiliser un terme de compréhension commune, ont été promus à des rôles importants précisément pendant le pontificat de Benoît XVI » (Nient’altro che la verità, pp. 124-125). Parmi les noms cités par le préfet de la Maison pontificale figurent les principaux cardinaux du front progressiste, tels que Jean Claude Hollerich (archevêque de Luxembourg, 2011), Luis Antonio Tagle (archevêque de Manille, 2011) et Matteo Maria Zuppi (évêque auxiliaire de Rome, 2012).

Le clivage entre « Ratzingeriens » et « Bergogliens » n’est donc pas si clair. Comment peut-on nier l’existence d’une confusion croissante ? Et que faire d’autre, dans cette situation, sinon vivre et travailler au jour le jour, dans un esprit de pleine fidélité à l’Église et d’abandon total à la Divine Providence ?

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