L’histoire d’Emmanuela Orlandi, 15 ans, citoyenne du Vatican, disparue mystérieusement en 1983 et jamais retrouvée, est un imbroglio juridique et médiatique qui joue pour nos voisins – avec des circonstances évidemment totalement différentes -, le rôle de « notre » affaire Gregory: intérêt passionné du public, interférence des médias, qui ont complètement « pourri » l’enquête, pistes multiples et contradictoires, réapparition périodique en première page des journaux… et retour à la case départ
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Nous avons parlé de cette affaire ici: Emanuela Orlandi et Hebe de Bonafini: pour François, il y a disparue… et disparus, et de la mini-série récemment produite par Netflix, sous le titre « La disparue du Vatican ») .
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Il y a toutefois ici une dimension supplémentaire, et autrement goûteuse: l’implication supposée du Saint-Siège permet aux médias et aux pouvoirs qui les contrôlent de livrer en pâture aux gens une lecture mettant l’accent sur les « sombres secrets » qui se cacheraient derrière les hautes murailles de l’état du Pape. Une sorte de « Da Vinci code » (le public en est friand!), mais en vrai.
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Dans cette perspective, ressortir cette histoire juste après la disparition de Benoît XVI NE PEUT PAS ÊTRE UN « hasard du calendrier » (en passant, chapeau à Nico Spuntoni qui a réussi à résumer en 1000 mots – la première partie de l’article – une histoire extrêmement compliquée, rendant ainsi accessible aux non-initiés les tenants et les aboutissants), pas plus que la citation insistante de Georg Gänswein, qui se prépare sans doute des jours difficiles (*).
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Décidément, ils persécutent Benoît XVI (et en conséquence, ses proches) jusque dans la mort.

La réouverture de l’affaire Orlandi est une tempête médiatique

Nico Spuntoni
lanuovabq.it/it/la-riapertura-del-caso-orlandi-e-una-tempesta-mediatica

Pour trop de commentateurs, la nouvelle enquête sur la jeune fille disparue en 1983 est juxtaposée à la mort du pape émérite. Jouant sur l’ambiguïté, les insinuations habituelles sur l’omertà ou pire la complicité du Saint-Siège. Qui, au contraire, n’a jamais entravé la recherche de la vérité. En réalité, cette affaire n’a qu’un seul lien avec la mort du pape émérite : les médias. Et la couverture médiatique est aussi ce qui a contribué à rendre l’affaire de la fille de l’employé du Vatican aussi compliquée.

Quand Emanuela Orlandi disparaît le 22 juin 1983, Joseph Ratzinger est arrivé à Rome un peu plus d’un an avant de prendre le poste de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ce dicastère a pour tâche de sauvegarder la doctrine sur la foi et la morale dans l’Église et est le plus important de la Curie romaine, c’est-à-dire l’appareil administratif du Saint-Siège, qui a une subjectivité juridique internationale distincte de celle de l’État de la Cité du Vatican.

Il faut commencer par l’ABC, malheureusement, avant de parler de ce qui s’est passé cette semaine suite à la nouvelle de l’ouverture d’un dossier sur l’affaire Orlandi par le promoteur de justice qui occupe la fonction de procureur général dans l’État de la Cité du Vatican. Il est incroyable, en effet, que la nouvelle de l’enquête du Vatican sur la disparition d’Emanuela, 15 ans, soit liée par les enquêteurs, les personnes interrogées et divers commentateurs à la mort du pape émérite. La grande responsabilité incombe sans aucun doute aux journalistes qui, soit en jouant sur l’ambiguïté, soit en péchant par (grande) ignorance, avancent superficiellement cet amalgame et ressortent une histoire criminelle vieille de 40 ans, avec le malaise exprimé par Mgr Georg Gänswein sur certaines décisions de François dans le gouvernement de l’Église universelle.

Emanuela Orlandi, rappelons-le, a disparu à Rome, sur le sol italien, à la sortie de l’école de musique Tommaso Ludovico da Victoria de la Piazza Sant’Apollinare. Elle a été vue pour la dernière fois par sa camarade de classe, Raffaella Monzi, qui a dit l’avoir vue à l’arrêt de bus et avoir discuté avec elle d’une offre d’emploi qu’elle avait reçue et pour laquelle elle devait rencontrer quelqu’un. Ensuite, plus rien. Emanuela a également parlé de l’offre d’emploi qu’elle avait reçue sur le chemin de la classe dans un appel téléphonique à sa sœur Federica le même après-midi. Après la déclaration de disparition et le lancement des recherches, deux jours plus tard, la première nouvelle est publiée dans le journal Il Tempo, qui donne également le numéro de téléphone du domicile de la famille Orlandi pour fournir des informations.

À ce stade précoce, parmi les appels de nombreux chacals, celui d’un homme qui se présentait comme Pierluigi a attiré l’attention, faisant référence à une fille qu’il avait rencontrée avec sa petite amie Piazza Navona et qui avait certains détails en commun avec Emanuela. Pierluigi a téléphoné plus d’une fois et à l’invitation de l’oncle de la jeune fille disparue – chargé de recueillir les signalements – de se rencontrer au Vatican, où ils vivaient, il a répondu : « Au Vatican ? Mais vous êtes prêtre ? ».

L’histoire de cette affaire criminelle a définitivement changé le dimanche 3 juillet 1983 lorsque Jean-Paul II, à la fin de l’Angélus, a prononcé le premier appel en faveur de la jeune fille vivant dans l’État dont il était le souverain, exprimant sa « profonde sympathie » et mettant surtout en cause le « sens de l’humanité de ceux qui ont une responsabilité dans cette affaire ». Les propos du Pape ont ainsi pour la première fois corroboré la piste de l’enlèvement et attribué une dimension internationale à la disparition.

Face à l’intérêt du pape, dans le climat de guerre froide qui régnait encore, certains ont voulu spéculer sur le sort de la jeune fille : le 5 juillet 1983, en effet, le bureau de presse du Saint-Siège a reçu un appel d’un homme à l’accent étranger (impossible de dire s’il était réel ou déguisé), que les journalistes ont ensuite surnommé « l’Américain ». Le correspondant a d’abord parlé d’un enlèvement par une organisation autoproclamée dont il serait membre et dont Pierluigi et un autre correspondant des jours précédents (Mario) seraient les émissaires.

Récemment encore, cet appel téléphonique est revenu sur le devant de la scène en raison d’une interview accordée par Mgr Carlo Maria Viganò – alors « minutante » à la Secrétairerie d’État – à Aldo Maria Valli, dans laquelle l’ex-nonce situait l’appel le soir même de la disparition, déclenchant d’inévitables accusations d’omertà contre le Saint-Siège. En réalité, selon toute probabilité, Viganò a été trahi par sa mémoire – comme il l’a lui-même reconnu dans une autre réponse de l’interview – puisque ce jour-là, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, Monseigneur Romeo Panciroli, qui aurait informé le prélat de l’appel téléphonique qu’il avait reçu, était en fait en Pologne pour la visite apostolique de Wojtyla.

Quoi qu’il en soit, toujours le 5 juillet, le mystérieux interlocuteur a également appelé le domicile des Orlandi pour affirmer que l’enlèvement avait été réalisé par sa prétendue organisation et, pour le prouver, il a fait écouter un enregistrement d’une jeune fille répétant le nom de l’école d’Emanuela à son oncle, ajoutant que pour la libération de la jeune fille, il négocierait avec des « fonctionnaires du Vatican ». Le lendemain, alors que rien n’avait filtré dans la presse sur le contenu de ces appels téléphoniques, un nouvel appel arriva, cette fois à la rédaction romaine d’Ansa [l’équivalent italien de l’AFP] avec la revendication d’un enlèvement et l’indication d’un message laissé sur la Piazza del Parlamento. Sous une corbeille à papier, on retrouva une enveloppe contenant une photocopie de la carte d’inscription d’Emanuela à l’école de musique et un reçu de paiement, ainsi que la cassette diffusée lors de l’appel téléphonique au domicile des Orlandi.

La contrepartie demandée était la libération d’Ali Ağca, l’assassin turc du pape. Dès lors, dans une Italie qui n’a pas encore complètement dépassé l’époque des années de plomb et qui est encore engagée dans la guerre froide, cette affaire de crime prendra de nouvelles connotations et sera à jamais associée à la piste des intrigues internationales impliquant le Saint-Siège. Cette dernière a d’ailleurs cru à la véracité de la piste, comme le démontrent les nouveaux appels de Jean-Paul II aux ravisseurs : à la fin, on en compta au moins huit.

Avec la chronique des faits de l’affaire elle-même, il convient de s’arrêter ici car il est impossible de s’y retrouver dans le déluge d’hypothèses, de révélations, d’aveux et de mensonges qui se sont succédé depuis lors jusqu’à aujourd’hui. La seule chose sûre est qu’il n’y a jamais eu de preuve que la jeune fille était encore en vie après le 22 juin 1983 et malheureusement Emanuela n’est jamais retournée à sa maison de Via Sant’Egidio. Tout comme il semble certain que ce qui a ouvert la boîte de Pandore du chantage et de la tromperie, c’est le premier appel à l’Angélus du Pape, sans lequel, vraisemblablement, les seuls chacals de l’affaire seraient restés les auteurs des coups de fil de bas étage des premiers jours, d’abord ignorants puis indifférents au fait que la jeune fille vivait au Vatican.

La collaboration des autorités du gouvernorat à l’enquête de la justice italienne menée par Domenico Sica (qui a pris le relais après l’appel du Pape, probablement aussi parce qu’il était un expert en terrorisme international), qui est allée jusqu’à permettre aux services secrets italiens d’entrer au Vatican, d’intercepter le téléphone et le standard de la maison pour écouter les appels des présumés kidnappeurs, contredit la vulgate sur l’omertà du Vatican. Ce n’était pas du tout gagné d’avance, alors que nous étions en plein milieu des conséquences de la faillite de la Banque ambrosienne et que trois demandes d’extradition vers l’Italie de trois dirigeants d’IOR allaient être présentées sous peu par le parquet de Milan, qui ont été rejetées avec « déception et stupéfaction ».

Au cours de ces dernières années, alors que les trous d’eau sur l’affaire Orlandi se sont multipliés, mais ont contribué à laisser dans l’opinion publique le soupçon d’une complicité du Vatican, le Saint-Siège a continué à montrer sa bonne volonté, d’abord avec la découverte des restes dans une pièce de la nonciature apostolique en Italie (qui remontait même à l’époque romaine !). ), puis avec l’ouverture de la tombe au cimetière teutonique suite à une dénonciation anonyme (là encore, cela n’a rien donné), et enfin maintenant avec l’ouverture d’un dossier d’enquête par le promoteur de la justice.

Mais sur quoi l’enquête va-t-elle se concentrer ? Comme l’a précisé dès le 14 avril 2012 le père Federico Lombardi, alors directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, toutes les informations en possession du Vatican ont déjà été transmises aux enquêteurs italiens et tous les prélats qui étaient impliqués dans l’affaire à l’époque en raison de leur rôle à la Curie ont déjà fourni des dépositions qui sont à la disposition des bureaux judiciaires italiens.

La manière dont la nouvelle de l’initiative du promoteur de justice du Vatican a été présentée dans les médias incite à ne pas être optimiste. Cette affaire n’a qu’un seul rapport avec la mort du pape émérite : les médias. Et la médiatisation, malheureusement, est aussi ce qui a contribué à rendre si compliqué le cas de la fille de l’employé de la préfecture de la Maison pontificale disparue à Rome il y a 40 ans, comme le montre ce qui s’est passé après le premier appel de Jean-Paul II.

Ces derniers jours, on a lu des articles et des interviews dans lesquels Monseigneur Georg Gänswein, déjà aux prises avec la controverse née des révélations sur François, a été évoqué parce que dans son livre, il a écrit que « le dossier fantôme (sur l’affaire Orlandi, ndlr) n’a pas été connu simplement parce qu’il n’existe pas ».

Pour comprendre que l’archevêque allemand dit simplement la vérité, il suffit de relire la note que le père Lombardi lui a envoyée début 2012 pour la recension d’un livre du frère de la jeune fille, et qui a été soustraite par le majordome papal Paolo Gabriele pour être communiquée aux médias. D’après ce qu’il a écrit dans ce document, qui – rappelons-le – était censé rester confidentiel, il est clair que le directeur du service de presse de l’époque ne gardait aucun secret et que Gänswein lui-même, en lui demandant des informations, n’était certainement pas soupçonné de posséder un dossier contenant la vérité sur l’un des plus grands mystères de l’Italie.

Jusqu’à présent, la gestion communicative du Saint-Siège face aux attaques des médias nationaux et internationaux a été placée sous le signe d’une défense timide – et donc inefficace. Après la nouvelle de l’ouverture de l’enquête au Vatican et les pesantes déductions apparues dans les journaux et à la télévision visant à corréler cette initiative avec la mort récente de Benoît XVI, il n’y a même pas eu de défense.

Le message qu’un certain type de presse essaie de faire passer est que le Saint-Siège, avec la démarche du bureau du promoteur de justice, a décidé de faire la transparence sur une affaire négativement associée au Vatican juste maintenant que le pape émérite est mort, et l’insistance sur le prétendu dossier en possession de son secrétaire particulier semble le prouver. La communication officielle ne peut pas se permettre de rester silencieuse, mais devrait plutôt rappeler une fois pour toutes que le Saint-Siège et le gouvernorat n’ont jamais fait obstacle à la recherche de la vérité sur la disparition de la jeune fille et que l’on peut tout au plus reprocher au Vatican la naïveté d’avoir pris pour argent comptant la piste de l’intrigue internationale au point de laisser Jean-Paul II lancer ces appels aux présumés ravisseurs. Tout comme il faut reconnaître l’inconscience et l’insensibilité de certains prélats – même importants, comme le cardinal Silvio Oddi – qui, dans des interviews, ont donné leurs hypothèses de bar sur cette histoire, sans respect pour la douleur de la famille et aussi pour l’institution qu’ils représentaient.

Car si, en revanche, l’accusation agitée par les médias d’une omertà ou, pire encore, d’une complicité des autorités vaticanes dans ce crime contre une jeune fille de 15 ans qui a grandi entre les murs sacrés était vraie, il ne suffirait certainement pas d’ouvrir une enquête judiciaire après 40 ans pour une réhabilitation. Mais les opinions et les suggestions, au lieu d’apporter de la clarté, ne font qu’accroître la confusion, alors que les données objectives montrent au contraire qu’il n’y a eu aucun mur de caoutchouc au Vatican sur cette affaire, contrairement à ce que pense la grande majorité de l’opinion publique. Quiconque est en charge d’un stylo ou d’un microphone devrait comprendre qu’il est facile d’attaquer le Vatican avec des hypothèses et des insinuations, mais qu’il est tout aussi facile de causer plus de douleur à une famille qui a déjà suffisamment souffert.

(*) Ndlr

Georg Gänswein est actuellement la cible d’une campagne assez féroce en provenance des médias de gauche (y en a -t-il d’autres) qui l’appellent, par dérision « Bel Giorgio » , comme s’il y avait un délit de belle gueule et qu’il en serait coupable.

Il n’est pas innocent à ce sujet que le fameux site paravatican « Il Sismografo » (décidément ambigu) ait reproduit, avec l’excuse d’un revue de presse (mais sa revue de presse exclut systématiquement les médias non alignés) un méchant article de Libération (ilsismografo.blogspot.com/2023/01/vaticano-vaticancaneries-au-vatican-les.html) sous le titre flirtant avec l’allusion diffamatoire «Vaticancaneries» – Au Vatican, les mémoires prestement publiés de «Bel Giorgio», secrétaire très particulier de Benoît XVI (on notera le « très »).

Rappelons aussi le site italien Open, financé par Soros, qui a publié en première page la lettre d’un prêtre, en forme d’avertissement / menace, exhortant le secrétaire du Saint-Père de ne pas publier son livre-témoignage « Nient’altro che la verità »: cf. Le nouveau cléricalisme (suite): et Soros qui s’en mêle!

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