Une synthèse indispensable après les bavardages de François (entre lieux communs, approximations doctrinales irréfléchies – par ex. péché/délit – et tentatives confuses d’auto-justification) dans son interview avec l’Associated Press.
Dans le troupeau des journalistes (que les Italiens appellent) « de régime » tous focalisés sur les propos du Pape concernant l’homosexualité, l’Italienne Franca Giansoldati se détache: elle ose poser clairement les bonnes questions.
Tant du point de vue profane (la transparence affichée dans la lutte contre la pédophilie n’est qu’une posture) que du point de vue doctrinal (sans parler des actes abjects commis sur des religieuses, qui est un autre sujet, Rupnik avait commis un délit gravisissime au regard de la loi de l’Eglise -l’absolution d’un complice -, et la levée de son excommunication reste inexplicable… à moins qu’elle n’ait été décidée par LE PAPE LUI-MÊME), l’affaire Rupnik est un scandale majeur pour l’Eglise et une tache sur ce pontificat qui exigent d’être mis au clair.
Mais pendant ce temps-là, les journalistes accrédités (et ceux qui les recopient) regardent ailleurs.

Le Pape François : « Je ne suis jamais intervenu pour le Père Rupnik »

mais le mystère s’ouvre sur QUI a gracié le jésuite qui a abusé de tant de religieuses

Franca Giansoldati
Il Messaggero , 26 janvier 2023

Cela ressemble plus à une impasse qu’à un casse-tête. L’horrible affaire du jésuite Marko Rupnik, accusé par plusieurs religieuses de violences sexuelles et de manipulation de la conscience, est devenue un exemple du manque de transparence du Vatican sur le sujet des abus sexuels. Les événements liés à cet artiste très célèbre ayant des amitiés importantes à tous les niveaux de l’Église ont même jeté une ombre sur le pontificat. Le pape François, dans une interview accordée à l’Associated Press, a toutefois coupé court à cette histoire en assurant qu’il n’avait aucun rôle dans sa gestion. Pourtant, de nombreux doutes subsistent.

Rupnik a fini par atteindre aussi le pape car, après une première enquête au sein de la Compagnie de Jésus, le dossier est passé au Vatican et l’artiste jésuite a été condamné par la Congrégation de la foi pour le crime canonique d’absolution de complice, qui prévoit l’excommunication immédiate du délinquant. Pour l’Église, c’est un péché très grave.

Cependant, Rupnik a été mystérieusement gracié peu après grâce à une mesure spéciale qui, techniquement, n’appartient qu’au pontife. François a cependant démenti : « Pour moi, c’était une surprise, vraiment. Cette personne, un artiste de ce niveau, pour moi c’était une grande surprise et une blessure ».

François a ensuite ajouté qu’il souhaitait plus de transparence. « Et avec la transparence vient une très belle chose, qui est la honte. La honte est une grâce. »

Le pape François a expliqué qu’il n’était intervenu dans l’affaire Rupnik que sur le plan de la procédure et pour que la deuxième série de plaintes des neuf femmes victimes d’abus soit confiée au même tribunal, car sinon « les voies de la procédure seraient divisées et tout deviendrait confus ». Quant au fait que le Vatican n’a pas renoncé à la prescription, le Souverain Pontife convient qu’il est juste de renoncer à la prescription « toujours » pour les cas impliquant des mineurs et des « adultes vulnérables, pour maintenir plutôt les garanties légales traditionnelles avec les cas impliquant d’autres sujets ».

DES QUESTIONS SANS RÉPONSE

Cependant, les paroles de François ont fini par soulever de nouvelles questions en plus de celles qui existaient déjà. A tel point que la presse américaine a immédiatement souligné que quelque chose ne collait pas. Si en janvier 2020 les juges de la Congrégation de la Doctrine de la Foi ont reconnu à l’unanimité Rupnik comme coupable du crime très grave, et qu’en mai 2020 l’excommunication a été effacée d’un revers de main par le Cardinal Préfet Ladaria (qui n’agit guère de manière autonome car il a besoin d’un placet supérieur, donc du Pape), la question est : que s’est-il passé en coulisses ? Qui est intervenu pour aider le jésuite Rupnik ?

Une autre décision étrange est venue aggraver le tableau : en mars 2020, le Vatican a décidé de confier les exercices spirituels de la curie au même jésuite qui venait d’être excommunié, au point que c’est en fait lui qui a prêché aux cardinaux et aux évêques avant le Carême cette année-là.
« Comment a-t-il été possible que le Vatican confie la prédication des exercices spirituels au jésuite qui venait d’être excommunié par la Congrégation de la doctrine de la foi ? ».

Le jésuite Rupnik avait été appelé au dernier moment pour remplacer le prédicateur habituel, le père Cantalamessa, qui était à la maison avec une grippe. Il Sismografo note :

« On ne sait pas qui a pris la décision d’appeler Rupnik. Les plus hauts responsables de la Secrétairerie d’État étaient encore à Ariccia pour la semaine annuelle d’exercices spirituels et le Pape faisait de même à Santa Marta, souffrant d’un rhume. Ce genre de décision revient en théorie au substitut du Secrétaire d’Etat, le Vénézuélien Peña Parra. Le Substitut est une personne très proche du Pape et il est possible que Peña Parra ait parlé au Pontife de la situation qui s’était créée avec l’empêchement du Père Cantalamessa. Le nom du jésuite Rupnik aurait pu surgir spontanément et immédiatement, non seulement en raison de l’expérience du prêtre dans les exercices spirituels, mais aussi en raison de sa relation très étroite avec le pape Bergoglio ».

COUVERTURES

Au Vatican, il est bien connu que Rupnik jouissait d’amitiés et de couvertures influentes, à commencer par le cardinal Angelo De Donatis, vicaire du diocèse de Rome. Les jésuites de la Compagnie de Jésus ont récemment résumé cette douloureuse affaire, en soulignant qu’ils avaient déjà ouvert une enquête préliminaire pour faire la lumière sur les accusations d’ « attouchements sexuels et d’absolution d’un complice (…) dans le péché contre le sixième commandement ».

Dès 2019, l’enquête préliminaire avait constaté que les  » accusations étaient crédibles  » et un dossier avait été envoyé à la Congrégation pour la doctrine de la foi ; entre-temps, Rupnik s’était vu imposer des « mesures restrictives de précaution » en janvier 2020, quelques semaines avant le sermon pour la Curie romaine du premier vendredi de Carême, et le verdict de culpabilité était rendu à l’unanimité : « il y a bien eu absolution d’un complice ».

L’affaire Rupnik secoue le Vatican, le crime est prescrit, mais pourquoi les victimes n’ont-elles pas été accueillies et entendues il y a 20 ans

CHRONOLOGIE

Il Sismografo, blog para-Vatican qui fait autorité, commente encore :

« À partir de ces faits indiscutables, des questions ont surgi dans le monde catholique qui, pour le bien de la crédibilité de toute l’Église, devraient recevoir des réponses honnêtes, complètes et transparentes.
Tout au long des presque 10 ans de pontificat de François, trop de silences se sont accumulés, notamment dans la majorité des événements les plus graves qui se sont déroulés depuis 2013. Ces silences sont les causes ultimes de la déception et de l’amertume de nombreux catholiques. Ils s’attendaient à autre chose. Pas tant un nouvel organigramme de la Curie – important ! – mais une Église de cristal fidèle à la loi suprême et parfaite : Jésus. Une église toujours plus éloignée du pouvoir et toujours plus prophétique, toujours plus éloignée de l’omertà et des calculs et toujours plus proche de la vérité et de la parresie tant invoquée ».

Mots Clés :
Share This