Ecole Ratzinger – Il en a été beaucoup question depuis 2013, encore plus ces derniers temps, quand certains ont cru voir la fraternité selon François (c’est l’un des slogans de son pontificat, mais elle reste mal définie) comme un appel au syncrétisme universel, dans lequel toutes les religions fusionneraient dans un grand tout plus proche des objectifs du mondialisme que de l’Eglise du Christ.
Dans un discours prononcé en Autriche il y a plus de 60 ans, un jeune théologien prometteur expliquait le sens de la fraternité chrétienne.

PLUS ON EST PROCHE DU SEIGNEUR, PLUS ON SUCCOMBE

par Joseph Ratzinger

www.queriniana.it/blog/tanto-piu-vicini-al-signore-quanto-piu-si-soccombe

Nous sommes à Vienne, en 1958, et c’est le dimanche de Pâques. Afin de discuter de la fraternité chrétienne et d’en illustrer le sens, la portée et les limites, un jeune et prometteur Ratzinger est invité à prendre la parole lors d’une conférence théologique de l’Institut pastoral autrichien. A un certain moment de son intervention, le professeur d’une trentaine d’années se demande si, comment et dans quel sens la fraternité chrétienne doit être délimitée à l’extérieur, sans pour créer de manière ouverte un cercle ésotérique pour lui-même. Ratzinger identifie ainsi le sens de la fraternité dans le « service de tous », au profit de « ceux du dehors ». Il tente ensuite d’identifier les modalités concrètes du service chrétien envers les « autres » frères et sœurs, c’est-à-dire envers ceux qui ne sont pas croyants, qui n’appartiennent pas à la même communauté, qui ne partagent pas le repas eucharistique. Si la première tâche imposée au chrétien envers le non-chrétien est celle de la mission, la deuxième est l’agapè [/l’amour désIntéressé] et la troisième est la souffrance : plus précisément, « la voie royale de la souffrance vicaire [/par procuration] aux côtés du Seigneur ».

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En pensant, précisément selon cette clé, aux derniers jours de la vie de l’évêque émérite de Rome, nous voulons maintenant reprendre ces mots pour rendre hommage à sa figure, à sa pensée et à sa sensibilité théologique

La tâche la plus grande et la plus élevée du chrétien dans sa relation avec les non-croyants est de souffrir, à la suite de son Maître, pour eux et à cause d’eux. Dans la dernière phase de sa vie, quelques jours seulement avant sa passion, le Christ a résumé sa tâche en ces termes :

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45).

Ces mots expriment non seulement la loi fondamentale de la vie de Jésus, mais aussi la loi fondamentale qui régit toute vie de disciple du Christ.

Selon les paroles du Seigneur, les disciples de Jésus resteront toujours le « petit nombre » et se tiendront comme tels face aux masses – le « grand nombre » – tout comme Jésus, l’unique, se tient devant le grand nombre, c’est-à-dire l’humanité entière.

« Etroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et combien rares sont ceux qui le trouvent » (Mt 7,14 ; au v. 13 : « nombreux » sont ceux qui prennent le large chemin qui mène à la perdition. « Les ouvriers sont peu nombreux » (Mt 9, 37). « Peu sont élus » (Mt 22, 14, par opposition aux « nombreux » appelés. « Ne crains pas, petit troupeau » (Lc 12, 32).  » Voici : je vous envoie comme des brebis au milieu des loups  » (Mt 10, 16).

Les disciples de Jésus sont peu nombreux. Mais tout comme Jésus était celui qui était « pour la multitude », leur tâche est et reste d’être non pas contre, mais « pour la multitude ».

Là où toutes les autres voies échouent, il leur reste encore la voie royale de la souffrance vicaire aux côtés du Seigneur. L’Église célèbre sans cesse sa victoire suprême et se tient plus près que jamais aux côtés du Seigneur, précisément lorsqu’elle succombe. C’est précisément lorsqu’elle est appelée à souffrir pour les autres qu’elle accomplit sa mission la plus intime, à savoir l’échange de destin avec son frère errant. Et obtient ainsi sa réadmission cachée dans la pleine filiation et la pleine fraternité.

Ce n’est que dans la relation ainsi comprise entre le « petit nombre » et le « grand nombre » que se manifeste la véritable mesure de la catholicité de l’Église. Si l’on se fie à ses chiffres extérieurs, elle ne sera jamais pleinement « catholique », c’est-à-dire qu’elle n’englobera jamais tout le monde, mais restera finalement un petit troupeau, et ce dans une mesure encore plus grande que ne le suggèrent les statistiques, parce que les statistiques mentent lorsqu’elles classent comme frères beaucoup de gens qui, en réalité, ne sont que des pseudádelphoi , c’est-à-dire des chrétiens de nom et d’apparence. Mais dans sa souffrance et dans son amour, elle reste toujours « pour le plus grand nombre », c’est-à-dire pour tous.

Dans son amour et sa souffrance, l’église transcende toutes les frontières et est véritablement catholique.

Tiré de J. Ratzinger, La fraternità cristiana
En français: Frères dans le Christ

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