C’est Aurelio Porfiri, lui-même musicien, qui rend hommage à l’amour de la musique du défunt pape, et à ses immenses connaissances dans ce domaine, mais qui constate (et il a sans doute raison) que rien n’a changé dans les églises, où la « musique », ou ce qui en tient lieu, reste confiné dans la banalité, la laideur, et même le « minable » (le mot avait été utilisé par le cardinal Ratzinger lui-même). C’est un reproche qu’il adresse à Benoît XVI, en tout cas une déception pour lui. Seul le Saint-Père pourrait lui répondre, mais lui-même donne une explication qui est sans doute proche de la vérité: Benoît XVI n’a pas (ou n’aurait pas) été obéi par la base (il suffit pour s’en convaincre de regarder la tenue des prêtres, et ce qui se passe avec la communion sur la langue – pour ne citer que les exemples les plus criants). Benoît XVI n’a pas eu le temps, il a essayé de semer des graines, et tout ce qu’on peut espérer (sans trop y croire) c’est qu’elles porteront des fruits sur le long terme. Mais ce sera dur, et son successeur fait tout ce qu’il peut pour les rendre stériles
Benoît XVI et la musique / Son héritage. Et ce qu’il n’a pas réussi à faire
La mort de Benoît XVI a amené beaucoup de gens à réfléchir à l’héritage de Joseph Ratzinger, qui, à mon avis, est beaucoup plus complexe que ce que l’on voudrait nous faire croire. Il est certain que dans les décennies à venir, de nombreuses études feront le point sur la vie et l’œuvre de ce théologien et pape qui a marqué l’Église de ces soixante-dix dernières années.
Un aspect important est son amour pour la musique. Joseph Ratzinger aimait profondément la musique, surtout celle de Mozart. À propos du compositeur autrichien, dans un discours prononcé à l’occasion d’un concert offert au pape par l’Académie pontificale des sciences et au cours duquel le Requiem a été interprété, il a dit :
Permettez-moi cependant de redire qu’une affection particulière me lie, je pourrais dire pour toujours, à ce musicien suprême. Chaque fois que j’écoute sa musique, je ne peux m’empêcher de penser à l’église de ma paroisse, lorsque, enfant, les jours de fête, résonnait une de ses messes : dans mon cœur, je percevais qu’un rayon de la beauté du Ciel était parvenu jusqu’à moi, et je ressens cette sensation chaque fois, aujourd’hui encore, en écoutant cette grande méditation, dramatique et sereine, sur la mort. Dans Mozart, tout est en parfaite harmonie, chaque note, chaque phrase musicale est ainsi et il ne pourrait en être autrement ; même les opposés sont réconciliés et la Heiterkeit mozartienne, la « sérénité mozartienne » enveloppe tout, à chaque instant. C’est un don, celui de la Grâce de Dieu, mais c’est aussi le fruit de la foi vive de Mozart, qui – surtout dans sa musique sacrée – réussit à transmettre la réponse lumineuse de l’Amour divin, qui donne l’espoir, même lorsque la vie humaine est déchirée par la souffrance et la mort.
Il ne s’agit pas d’un discours de circonstance, mais d’une réflexion authentique sur la musique du grand compositeur.
Et le pape de poursuivre :
Dans la dernière lettre écrite à son père mourant, datée du 4 avril 1787, il écrit, en parlant de la dernière étape de la vie sur terre : « … depuis quelques années, je me suis tellement familiarisé avec cette amie sincère et très chère de l’homme, [la mort], que son image non seulement n’a plus rien de terrifiant pour moi, mais me paraît même très rassurante et consolante ! Et je remercie mon Dieu de m’avoir accordé la chance d’avoir l’opportunité d’y reconnaître la clé de notre bonheur. Je ne me couche jamais sans penser que je ne serai peut-être plus là le lendemain. Pourtant, parmi tous ceux qui me connaissent, personne ne pourra dire que je suis triste ou de mauvaise humeur en compagnie. Et de cette chance, je remercie chaque jour mon Créateur et je la souhaite de tout cœur à chacun de mes semblables ».
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C’est un écrit qui manifeste une foi profonde et simple, qui ressort également dans la grande prière du Requiem, et qui nous conduit, en même temps, à aimer intensément les événements de la vie terrestre comme des dons de Dieu et à nous élever au-dessus d’eux, en regardant sereinement la mort comme la clé pour franchir la porte du bonheur éternel ».
Il ressort de ces propos que le pape avait longuement médité sur les compositions du génie autrichien, source de grande réflexion pour lui au même titre que certaines œuvres théologiques et philosophiques.
Je pense que c’est la bonne approche de l’art, de la musique : comprendre que l’un et l’autre sont un chemin vers la connaissance, comme le soutenait Ludwig van Beethoven. Benoît XVI a nourri son esprit aussi à travers la créativité dans la musique et l’art.
Dans un discours prononcé le 24 juin 2006, à l’issue d’un concert que lui a offert le maestro Domenico Bartolucci, Benoît XVI a dit:
Une authentique mise à jour [aggiornamento] de la musique sacrée ne peut se faire que dans le sillage de la grande tradition du passé, du chant grégorien et de la polyphonie sacrée. C’est pourquoi, dans le domaine de la musique, comme dans d’autres formes artistiques, la Communauté ecclésiale a toujours promu et soutenu ceux qui cherchent de nouveaux modes d’expression sans renier le passé, l’histoire de l’esprit humain, qui est aussi l’histoire de son dialogue avec Dieu.
D’un point de vue authentiquement catholique, ce sont des mots qu’on peut pleinement partager. Mais combien ils sont éloignés de ce que nous entendons dans nos églises, où la musique n’est souvent que l’écho de jingles commerciaux et de chansons de quatrième ordre ! Comment ne pas comprendre que seule la tradition peut être le guide du juste progrès ?
Benoît XVI le savait, et pourtant – il faut le noter avec amertume – en tant que pontife, il n’a pas fait beaucoup pour trouver une solution. Nous tous, musiciens d’église, espérions une action décisive contre la musique bon marché que nous devons écouter depuis trop d’années maintenant, mais cette action n’est jamais venue. De belles paroles de Benoît XVI, mais peu d’actions. Un sentiment partagé par beaucoup d’entre nous qui espéraient un retournement de situation après tant de décennies de laideur. Et s’il y avait un pape capable de provoquer ce revirement, c’était Benoît lui-même, mais il ne l’a pas fait. Pour quelle raison ?
Comme l’ont dit de nombreux observateurs, c’était un homme d’une grande douceur et d’une grande timidité. Il a lui-même reconnu qu’il n’avait pas la stature d’un leader. C’était un professeur qui a fini par être un pape. Il avait de nombreuses qualités, mais pas celle de leader.
Malheureusement, bien qu’il aimait personnellement la musique de manière profonde et sincère, l’environnement actuel de l’Église catholique est rempli de personnes ayant peu ou pas de formation musicale et il ne semble pas y avoir de volonté de changement. Ratzinger a essayé de faire comprendre que la question était et reste importante, mais, comme dans d’autres cas, il n’a pas été écouté.
Dans le domaine de la musique, comme dans d’autres domaines, la situation de l’Église catholique est telle que nous semblons être face à un malade en phase terminale. S’il est vrai que Jésus a promis d’être avec nous jusqu’à la fin des temps, nous n’avons pas promis d’être avec lui. Il est là, mais où sommes-nous ?