Il a beaucoup été question ces derniers temps, actualité oblige, de « l’héritage de Benoît XVI », dans tous les sens du terme, malheureusement (cf. Le pape, don Georg et l’héritage (matériel) de Benoît XVI). Un héritage (celui spirituel et intellectuel) immense, multiforme, englobant une multitude de domaines (moral, politique, théologique, liturgique… et même musical) aussi vaste que les centres d’intérêt – et de compétence – du défunt Pape, un trésor de sagesse qui nécessitera sans doute des lustres pour être décrypté. Mais qui le sera assurément, car sa qualité exceptionnelle suscitera forcément l’intérêt des historiens (il serait cruel de comparer avec celui, encore en cours de réalisation, de son successeur). Dans sa chronique hebdomadaire en anglais, remarquable comme d’habitude, Andrea Gagliarducci (dont la force réside aujourd’hui dans le fait qu’il n’a jamais porté d’attaques ad hominem contre François, qu’il a même essayé de comprendre, et même de défendre) profite de l’occasion du Xe anniversaire de la renonciation pour tenter, en peu de mots, de capter l’essentiel.
Comme disent les anglo-saxons: enjoy!

Benoît XVI, son héritage

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/benedict-xvi-his-legacy
Lundi 13 février 2023

Benoît XVI lit le texte de la renonciation, lors du consistoire du 11 février 2013

Pour la première fois, l’anniversaire de la renonciation au pontificat de Benoît XVI s’est déroulé sans Benoît XVI. Et pourtant, depuis le décès du pape émérite le 31 janvier dernier, il n’a jamais été aussi présent dans la vie de l’Église. A tel point que le Pape François, lors de la conférence de presse dans le vol de retour de son voyage en Afrique, a également dû clarifier – à sa manière – sa relation avec le Pape émérite [cf. entre autres articles: L’incroyable conférence de presse en vol: quelqu’un ment… mais QUI?].

« À sa manière » parce que les paroles du Pape François ne contredisent pas seulement les reconstitutions de certains événements concernant l’archevêque Georg Gäsnwein, secrétaire du Pape émérite. Mais aussi parce que la façon dont le pape François répond aux questions sur Benoît XVI semble évasive, hâtive et défensive. Du reste, le pape François n’a jamais expliqué pourquoi il voulait tellement que les funérailles se déroulent en arrière-plan, pourquoi il n’a jamais prié devant le corps de Benoît XVI et pourquoi, finalement, tout l’honneur n’a pas été rendu au pape émérite.

Dix ans plus tard, alors que Benoît XVI est déjà mort, on peut dire que l’âme de Benoît XVI n’a jamais été aussi présente dans l’Église. Spontanément, dans une situation d’incertitude, on pense immédiatement à ce que Benoît XVI aurait dit, à ce qu’il aurait fait. Mais le pape émérite ne sert pas de bouclier. Au contraire, il est devenu une véritable source d’inspiration.

Si l’on considère que Benoît XVI était timide et qu’il n’avait même jamais voulu créer une école de théologie, le fait qu’il puisse être une inspiration est assez surprenant. Mais cela s’est produit, malgré ses préférences.

Cela s’est produit précisément parce que Benoît XVI n’a jamais cherché le pouvoir pour lui-même. Il n’a pas parlé de réformes structurelles, ni créé de commissions pompeuses, mais il a essayé d’agir pour réformer l’Église en partant de choses simples, un pas après l’autre.

Benoît XVI a parlé de la conversion des cœurs, mais il ne l’a pas fait en l’imposant, ni en en faisant un étendard. Au contraire, il s’est appuyé sur les gens, en essayant de leur faire confiance et de ne blesser la sensibilité de personne lorsque les choses ne marchaient pas.

Il a pu apparaître comme un conservateur, mais en réalité, peu ont su réformer l’Église comme lui. Ce fut plus que le renoncement, le geste révolutionnaire qui est maintenant devenu comme un drapeau pour cacher toutes les autres choses que Benoît XVI a représentées.

Benoît XVI a jeté les bases de la réforme de la Loi Fondamentale du droit de l’État de la Cité du Vatican. Il a ordonné le premier procès du Vatican pour la fuite de documents. Il a voulu une réforme financière, et laisser le Saint-Siège entrer dans le processus d’évaluation du comité MONEYVAL du Conseil de l’Europe.

Sa lettre aux catholiques chinois a jeté les bases d’un moment de coexistence avec Pékin. Coexistence fragile, comme toutes celles où l’Église n’est pas reconnue, mais qui avait en tout cas conduit à la nomination de plusieurs évêques avec la double approbation de Rome et de Pékin.

Avec sa lettre aux catholiques irlandais, Benoît XVI a fait preuve de courage en abordant la question des abus, allant même jusqu’à présenter des excuses.

Les médias ont renvoyé l’image d’un pape conservateur et, par conséquent, diviseur. Mais Benoît XVI a au contraire recherché l’unité de l’Église, et c’est ce qu’il a pensé lorsqu’il a libéralisé l’ancien rite de la messe.

Il était un homme du Concile Vatican II, conscient que l’Église devait assumer la responsabilité de ses actes, mais également attentif à faire la distinction entre l’erreur et le doute, le péché et le pécheur, et entre les hommes pécheurs et les structures.

Benoît XVI savait également comment amener l’Église à faire pénitence, comme il l’a fait à Fatima, où il a déclaré que la prophétie de la Vierge n’était pas encore réalisée.

Le gouvernement de Benoît XVI a été un pontificat difficile, qui n’a jamais bénéficié d’une sympathie a priori de la part des médias. Pourtant, ce fut un pontificat apprécié par les gens qui allaient écouter un pape qui les avait conquis par la simplicité et la profondeur de ses discours.

Dix ans plus tard, le souvenir d’une authentique papauté demeure. Il est peut-être vrai que tout le monde l’a utilisé contre le pape François ces derniers mois, comme l’a dit le pape François lui-même. Mais Benoît XVI a été exploité, attaqué et trahi par ses collaborateurs, et pourtant il a toujours supporté les attaques.

La plus grande révolution de Benoît XVI a été d’élever la profondeur culturelle des hommes d’Eglise. Si une foi non nourrie par la raison est insuffisante, il est essentiel de nourrir la raison.

Benoît XVI a nourri la raison en rappelant que cela signifie quaerere Deum, chercher Dieu et ramener toujours le Christ au centre de tout. Et cette force lui a permis d’aller au-delà des scandales, avec liberté, sans se sentir lié à l’opinion publique, en servant la vérité.

Son héritage réside précisément dans le fait de ne pas avoir eu peur, dans cette capacité à protéger l’Église du danger en la portant sur ses épaules. Il a été Pape émérite pendant neuf ans, et il a su le faire avec humilité, en priant pour le Pape, et en montrant aussi un bonheur sincère.

C’était un homme pur, Benoît XVI. Et aujourd’hui, alors qu’il n’est plus parmi nous, sa pureté est devenue un phare qui encourage beaucoup de gens à s’exprimer, à partager ce qui, selon eux, ne fonctionne pas dans l’Église aujourd’hui.

Et c’est précisément pour cette raison que Benoît XVI fait peur aujourd’hui. Il est incroyable que, dix ans après sa renonciation, sa présence soit encore si vivante, malgré un pontificat populaire comme celui du pape François. Et pourtant, Benoît XVI est resté présent, aimé, considéré, et on se souvient de lui.

L’héritage de Benoît XVI, en fin de compte, c’est l’amour : l’amour qu’il avait pour Dieu et l’amour que les gens lui ont donné quand ils ont reconnu sa passion pour Dieu.

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