Le vaticaniste américain Edward Pentin s’est entretenu avec « don » Nicola Bux, théologien insigne, collaborateur et ami personnel du cardinal Ratzinger, qu’il avait rencontré pendant les années où Bux collaborait à la revue théologique Communio puis à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Nous l’avons croisé à de multiples reprises dans ces pages, autant dire que son avis est représentatif d’une tendance ecclésiale qui n’est pas celle de François. Ici, Edward Pentin l’interroge sur les problèmes qu’il voit dans l’Eglise depuis 10 ans, et la façon dont selon lui elle pourrait s’en sortir.

J’ai trouvé cet article (extrêmement intéressant) grâce à Belgicatho, Je le cite dans ma propre traduction à partir de la vo en anglais, et j’ai rajouté quelques notes dans le corps du texte .

La moitié des cardinaux électeurs et de nombreux évêques sont certainement convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et qu’un changement est nécessaire pour mettre de l’ordre dans l’Église si elle veut rester catholique. Il y a de l’agitation dans le Collège des cardinaux, comme il y en a parmi les prêtres : le corps ecclésial se réveille d’un état d’anesthésie.

Don Bux : ‘Il y a des remous dans le Collège des Cardinaux’.

https://edwardpentin.co.uk/father-bux-there-is-turmoil-in-the-college-of-cardinals/

Quelle est la gravité de la crise actuelle au Vatican et dans l’Église et que présage-t-elle pour l’avenir ?

Pour en avoir une idée plus claire, je me suis entretenu avec le Père Nicola Bux, théologien respecté et ancien consultant de la Congrégation pour la doctrine de la foi et de la Congrégation pour les causes des saints.

Dans cette interview, le Père Bux voit un certain espoir dans un monde qu’il considère comme allant dans une direction plus conservatrice, mais il se demande si les évêques et les cardinaux sont capables de conduire l’Église sur le même chemin et donc d’élire un successeur adéquat au pape François.

Le climat au sein du Collège des cardinaux est toutefois en train de changer, selon le Père Bux. « La moitié des cardinaux électeurs et de nombreux évêques sont convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et qu’un changement est nécessaire pour mettre de l’ordre dans l’Église si elle veut rester catholique – il y a des remous au sein du Collège des cardinaux, comme chez les prêtres », explique-t-il, et ajoute : « Le corps ecclésial se réveille d’un état d’anesthésie ».

Edward Pentin


Père Bux, de quoi partent vos considérations sur la crise de l’Église et la manière dont nous pourrions en sortir ?

Pour pouvoir discuter concrètement des perspectives, prédictions, hypothèses d’un changement de pontificat, beaucoup sont convaincus qu’il est nécessaire d’avoir compris QUI a influencé la démission de Benoît XVI et pourquoi. L’archevêque Gänswein affirme qu’elle a été exempte de toute influence – mais peut-être n’a-t-il pas voulu désigner ces influences -, et QUI a influencé la nomination du successeur. Les forces en jeu après dix ans sont les mêmes, et sont plus fortes. Par suite, l’élaboration d’un scénario doit permettre d’identifier et de comprendre ceux qui seraient « dans la course » lors du prochain conclave et quel jeu ils voudraient jouer, avec quels objectifs, avec quelles forces, quelles alliances et quels moyens, etc.

En gros, qui prendrait la parole pour soutenir un candidat catholique ou un candidat « progressiste », en tenant compte aussi du fait que les institutions qui, jusqu’à récemment, connaissaient et pouvaient influencer un tel événement aujourd’hui (Opus Dei, Communion et Libération) ont été réduites ? Concrètement, sans savoir comment un pape sera « élu » demain, il sera presque impossible de faire des scénarios réalistes.

A la lumière de tout cela, quelle est votre première réflexion ?

Il est certain que le pouvoir mondial va « à droite ». Seul un pouvoir mondial conservateur peut résoudre une crise comme celle que traverse l’Occident La partie progressiste de la gauche ne sait que créer les problèmes. On pourrait donc prévoir une forme de restauration, même dans l’autorité morale suprême, le Pape, sur laquelle le nouveau pouvoir occidental voudra s’appuyer. C’est certainement une bonne chose, même si l’on ne peut imaginer comment un nouveau pontife pourra s’appuyer sur la hiérarchie et la curie actuelles, ou sur tous ceux qui ont des rôles dans les structures de l’Église (pensez seulement à l’Académie pontificale des sciences) qui auront du mal à être modifiées de sitôt.

Une pouvoir mondial conservateur voudrait-il, ou saurait-il, comment provoquer une telle restauration ?

C’est ma deuxième considération. Sauraient-ils comment le faire, ou voudraient-ils maintenir le processus de sécularisation de l’Église ? Parce que la restauration, telle que je la comprends, signifierait encore la création d’une arène concurrentielle de confrontation sur des thèmes moraux, éthiques, dans le domaine financier, économique. Je ne crois pas qu’un retour conservateur aux États-Unis (avec les Républicains) se traduira par une réduction du pouvoir de la Silicon Valley ou des grands fonds d’investissement. Revenir un peu plus à droite ne signifie pas nécessairement convertir les technocrates.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

En tant que consultant de la Congrégation pour les causes des saints, j’ai été très frappé en 2017 en lisant la lettre apostolique du pape François, dans laquelle il crée une nouvelle catégorie de saints et de bienheureux, et sécularise le calendrier. Il s’agirait, aujourd’hui, de ceux qui offrent leur vie (oblatio vitae) comme martyrs de la charité. Mais pas la charité chrétienne des martyrs qui témoignent de la foi (odium fidei). Un exemple est la canonisation de l’archevêque Romero (martyr de la charité) assassiné pour ses choix politiques et non pour des questions de foi. Certains théologiens pensent que cette nouvelle catégorie d’oblatio vitae permettra de sanctifier des idéologies politiques ou économiques jugées exemplaires, peut-être inspirées des milieux gnostiques. Pourquoi un nouvel environnement conservateur mais encore technocratique se priverait-il de cette opportunité ?

Cela coïncide-t-il avec la dérive générale de l’Église vers la promotion d’idées plus séculières qu’exclusivement catholiques ?

Oui, ce qui m’amène à ma troisième considération. Au cours de la dernière décennie, l’Église a cessé de défendre principalement les valeurs traditionnelles (la vie, la famille, la naissance, les vertus héroïques…) mais plutôt l’écologie, le développement durable, les migrations, etc. en créant un système de relations ombilicales avec ceux qui défendent ces valeurs. Cela a changé la structure des relations étrangères internationales. Pour le nouveau pontificat, ce ne sera pas un jeu d’enfant d’y faire face.

J’essaie d’imaginer la nomination d’un pape restaurateur, espérée par beaucoup, quelqu’un comme Pie IX, par exemple, qui écrirait peut-être un Syllabus des erreurs pour le XXIe siècle [le Syllabus de Pie IX, en 1864, condamnait un total de 80 erreurs ou hérésies, articulant l’enseignement de l’Église catholique sur un certain nombre de questions philosophiques et politiques, ndr]. Qu’adviendrait-il de lui, une nouvelle Porta Pia ? [ndt: La prise de Rome, alias brèche de Porta Pia, le 20 septembre 1870, Pie IX régnant, met fin à l’existence des États pontificaux et au pouvoir temporel des papes]? Mais j’imagine aussi un Paul VI écrivant un document comme Humanae vitae pour aujourd’hui. Ou un Benoît XVI écrivant la deuxième partie (qui a été omise) de Caritas in Veritate où il aborderait la biotechnologie.

Aurions-nous atteint un point de non-retour ?

Un de mes amis non religieux, mais dans la « Cour des Gentils », me parlant il y a quelques mois du successeur de François, m’a dit qu’il voyait cela comme un défi entre Saint Michel l’Archange affrontant le challenger qui venait de dire « non serviam », lui répondant « quis ut Deus ? » [Qui est comme Dieu – la signification littérale du nom de Michel] ». L’ami conclut en me disant : mais si l’Église est l’œuvre de Dieu, n’est-ce pas le moment pour Lui d’intervenir ?

D’après le récent livre du cardinal Müller, In buona fede [cf. Müller, François, et le « cercle magique » latino-américain], la réponse est évidente : l’Église est truffée d’apostasie, précurseur du schisme. De la voie synodale allemande, « dépourvue d’une vision ecclésiologique cohérente », à la nomination d’évêques qui font des déclarations déroutantes parce que, souvent, ils n’ont même pas de licence en théologie, il y a un mépris pour la théologie et la philosophie, notamment parce que, à plusieurs reprises, le pape a eu des mots très durs à l’égard du monde universitaire et des professeurs de théologie, en particulier de ceux qui sont considérés comme trop ancrés dans la tradition (il a inventé pour eux les termes « indietristes » et « indietrisme »).

Et pourtant, le pape François a affirmé avoir eu recours au pape Benoît pour se sentir en sécurité. Comment se fait-il que dans ce cas, il ne l’ait pas consulté ?

Franchement, plutôt que d’accorder de la foi aux déclarations de François, il vaut mieux s’en tenir aux faits. Dans sa dernière interview, François a déclaré qu’il aime les critiques de ceux qui lui parlent en face. Ce n’est pas vrai. En fait, il ne répond pas à ceux qui lui parlent, même poliment, comme on le voit avec les Dubia des quatre cardinaux, auxquels, de toute façon, tôt ou tard, lui ou son successeur devra répondre. Ainsi, Müller peut observer à juste titre que « quiconque émet une critique constructive est accusé de faire de l’opposition, d’être un ennemi de François. »

Je ne crois pas que Bergoglio soit influencé par des conseillers « frauduleux » [expression utilisée par le cardinal Müller, ndt], mais par des « courtisans » qui lui prodiguent ce qu’il pense et aime entendre. Remarquez comment, aussi rapidement qu’il s’est entiché d’un évêque et l’a nommé cardinal [cf. le cardinal Giorgio Marengo qu’il a rencontré pour la première fois quelques jours seulement avant d’annoncer son élévation au Sacré Collège], il en est déçu et l’a chassé [cf. le cardinal Angelo Becciu qu’il a élevé au rang de cardinal et qu’il a renvoyé deux ans plus tard en raison d’accusations non prouvées de corruption]. Sans parler des anciens associés de François, comme Enzo Bianchi, qui en sont sortis avec des os brisés.

Que peut-on donc faire pour résoudre cette crise ?

La moitié des cardinaux électeurs et de nombreux évêques sont certainement convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et qu’un changement est nécessaire pour mettre de l’ordre dans l’Église si elle veut rester catholique. Il y a de l’agitation dans le Collège des cardinaux, comme il y en a parmi les prêtres : le corps ecclésial se réveille d’un état d’anesthésie.

Mais comme l’affirmait Joseph Ratzinger, la crise de l’Eglise est contingente à l’effondrement de la liturgie, et le remède réside dans « l’herméneutique de la continuité et de la réforme de l’unique sujet-Eglise », j’ajouterais qu’il est dans la « réforme de la réforme liturgique » qu’il a initiée. Les funérailles de Benoît XVI ont mis en évidence que, dans sa pensée, il a nourri dans l’Église une réalité de la base, malgré les « laboratoires d’utopies » qui s’y trouvent. Il faut du temps, et cette réalité, comme une rivière karstique, resurgira. Les impostures sont vouées à l’échec.

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