Nous avons traduit ici, très récemment, un article de Giuseppe Nardi qui apportait son éclairage personnel sur la visite apostolique décidé par François pour le diocèse de Toulon (Encore une visite apostolique, cette fois à Fréjus Toulon: la tradition dans le collimateur). Le vaticaniste allemand mettait l’accent sur la floraison des ordinations dans le diocèse dirigé par Mgr Rey, dans le collimateur parce qu’il était « trop’ accueillant » vis-à-vis des communautés traditionalistes. Mais selon la correspondante en Europe du National Catholic Register (un site clairement « conservateur », précision nécessaire pour lever toute ambiguïté), les choses, comme c’est souvent le cas, ne sont pas aussi simples. Son commentaire nuancé ouvre sur des perspectives différentes, même positives, ce qui peut surprendre (sans que l’on puisse exclure qu’elle pèche par naïveté ou optimisme excessif… compte tenu entre autre de la personnalité du Pape)

Pourquoi le Vatican a-t-il ordonné une visite apostolique du diocèse de Toulon ?

A première vue, les interventions directes de Rome dans l’administration d’un diocèse français connu pour ses vocations florissantes semblent déroutantes.

Solène Tadié, 10 février 2023
National Catholic Register

Cette semaine a vu un nouveau coup dur pour le diocèse de Toulon-Fréjus, le plus grand pôle d’attraction de la France pour les vocations sacerdotales aujourd’hui.

Dans un communiqué du 7 février, la nonciature apostolique en France a annoncé la décision du Dicastère pour les évêques, « par mandat du pape François », d’ordonner une visite apostolique du diocèse, situé dans le Var, dans le sud-est de la France.

Le bref communiqué informe que l’intervention du Vatican fait suite à l’observation d’ « un certain nombre » de difficultés non précisées, et constitue un prolongement de la visite fraternelle de novembre 2020 menée par l’archevêque métropolitain de Marseille Jean-Marc Aveline.

Différente de cette précédente visite pastorale, la visite apostolique est définie comme « extraordinaire » car elle est effectuée par une autorité en dehors des normes de la communauté ou du diocèse, dans le cadre d’une mission temporaire centrée sur la résolution de problèmes spécifiques. Elle sera dirigée par Mgr Antoine Hérouard, évêque de Dijon.

Cette annonce fait également suite à la décision sans précédent du Vatican, en juin 2022, de suspendre jusqu’à nouvel ordre les ordinations sacerdotales et diaconales dans le diocèse.

À première vue, ces interventions directes de Rome dans l’administration d’un diocèse français connu pour ses vocations florissantes peut sembler déroutante, surtout si l’on considère la pénurie de vocations ailleurs en France. Alors pourquoi le Vatican a-t-il jugé nécessaire d’intervenir avec autant de force ?

Des sources proches du dossier pointent tour à tour des problèmes de gestion ecclésiastique liés à la « logique du nombre » suivie par Mgr Dominique Rey depuis sa prise de fonction à Toulon-Fréjus dans les années 2000, et à une permissivité excessive à l’égard des communautés traditionalistes suite au motu proprio Traditionis Custodes du pape François en 2021, qui a imposé de nouvelles restrictions à la célébration de la messe traditionnelle en latin.

Problèmes de discernement

Selon les derniers chiffres de l’Annuaire pontifical 2022 cités par le site suisse Cath.ch, le diocèse comptait, fin 2021, 215 prêtres incardinés, ce qui représente une augmentation par rapport à l’an 2000 (187) et dépasse même le nombre de 1950 (210).

Mais des questions sont associées à ces chiffres apparemment impressionnants dans une période de crise accablante des vocations sacerdotales en France – surtout à la lumière du fait qu’un nombre élevé d’abandons du ministère sacerdotal a également été observé dans le diocèse, selon le site catholique suisse.

Mgr Rey, issu de la charismatique Communauté de l’Emmanuel, a parfois été accusé d’accueillir sans discernement des prêtres et des communautés d’Église de nombreux pays différents, ce qui a conduit dans certains cas à des échecs attribués à un « manque de discernement » et à un « manque de suivi » de la part de l’évêque, comme l’a souligné le vaticaniste Jean-Marie Guénois dans Le Figaro.

Un exemple emblématique est celui du père Thierry De Roucy, fondateur de l’organisation catholique Points-Cœur, incardiné par Mgr Rey en 2008 et renvoyé à l’état laïc par Rome en 2018 pour abus de pouvoir ecclésiastique et abus sexuels.

Ce sont ces questions autour de la politique d’accueil dans le diocèse des prêtres et des communautés qui ont conduit le Saint-Siège à ordonner la visite fraternelle de Mgr Aveline en 2020, ainsi que la visite spéciale de Mgr Sylvain Bataille, évêque de Saint-Étienne, au séminaire du diocèse, qui ont finalement abouti à la décision de suspendre les ordinations sacerdotales et diaconales en juin 2022.

Cette mesure de suspension reste en vigueur, malgré l’annonce par Mgr Rey en septembre d’une série de mesures prises pour remédier à ce qu’il qualifie lui-même d’ « erreurs d’appréciation et de discernement. »

Dans cette annonce de septembre, le diocèse a fait savoir « qu’aucune nouvelle information n’avait été reçue de Rome » et qu’il poursuivait les changements malgré ce « manque de visibilité. »

Une approche différente

Les mesures prises à l’encontre du diocèse ont suscité de vives réactions chez nombre de ses fidèles et prêtres, qui se sont ralliés à une pétition dans laquelle ils demandent au pape François de revenir sur sa décision de suspendre les ordinations. La pétition a rapidement recueilli plus de 10 000 signatures au cours de l’été 2022.

Les pétitionnaires ont mis en avant le succès des nombreuses initiatives lancées dans ce diocèse et l’âge moyen de 55 ans des prêtres (Le Figaro rapportait en 2015 que l’âge médian des prêtres en France était estimé à 75 ans), exprimant leur « vive inquiétude quant aux conséquences durables sur les relations entre Rome et le peuple chrétien de France. »

Un autre élément clé des tensions, comme le rapportait le National Catholic Register en juin dernier, est la flexibilité de l’évêque Rey à l’égard des diverses communautés traditionalistes du diocèse, y compris après la publication de la lettre apostolique Traditionis Custodes restreignant la messe traditionnelle en latin. Cette approche est considérée par beaucoup comme un facteur déclenchant des plaintes envoyées à Rome par les détracteurs des actions de l’évêque Rey.

Mais selon un curé d’un diocèse voisin, qui a travaillé avec Mgr Rey pendant de nombreuses années et a souhaité rester anonyme, les racines de cette crise sont plus profondes.

« [Mgr] Rey a compris très tôt que la France, où le nombre de vocations est en chute libre depuis des années, était devenue une terre de mission et qu’il fallait se tourner vers d’autres pays, notamment vers certaines communautés charismatiques et traditionalistes, qui ont un fort pouvoir d’évangélisation »

a-t-il confié au NCR, soulignant que ce changement dans le paysage de l’Église de France a inquiété et perturbé nombre de ses responsables, réticents à changer de la même manière leur propre « logiciel » épiscopal. »

« Pourtant, les bons fruits ne manquent pas, je peux personnellement témoigner de nombreuses conversions de personnes locales, qui s’étaient éloignées de l’Église, parce que [Mgr] Rey occupait et couvrait le territoire »,

a-t-il dit, soulignant également que Toulon-Fréjus est l’un des seuls diocèses de France à avoir un prêtre pour chaque paroisse.

« Je crois, contrairement à ce qui est dit, que cette approche innovante a plu au pape François et qu’il apprécie Mgr Rey, mais qu’il a été contraint de prendre les choses en main en raison des dysfonctionnements qui lui ont été signalés. »

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Dans cette optique, il estime que la démarche de Mgr Rey, une fois réajustée, finira par devenir un exemple pour la réévangélisation des régions chrétiennes historiques, et que le résultat de l’audit mené par Mgr Hérouard, connu pour sa diplomatie et sa souplesse, sera positif.

Le diocèse de Fréjus-Toulon a également manifesté son optimisme en déclarant dans un communiqué de presse du 7 février qu’il accueille la nouvelle de la visite apostolique « dans un climat de confiance. »

Une mission délicate

Pour sa part, Mgr Hérouard a exprimé l’espoir que sa visite – qu’il effectuera en compagnie de l’ancien secrétaire du Dicastère pour le clergé, Mgr Joël Mercier – ne dépasse pas quelques semaines.

Dans un communiqué adressé aux fidèles de son diocèse, Mgr Hérouard a déclaré qu’une « mission délicate au service de l’Église » l’attendait et a précisé qu’il envisageait de conduire la visite de Toulon en deux temps, du 13 au 24 février et du 6 au 10 mars.

A l’issue de leur mission, les deux visiteurs remettront un rapport au Vatican, dans lequel ils proposeront des mesures pour rétablir le fonctionnement normal du diocèse.

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