A la suite du rescrit sur la messe en latin, du motu proprio sur le patrimoine immobilier du Saint-Siège, des mesures de contrôle des ordres religieux, et d’autres épisodes moins médiatisés qui contrastent avec la synodalité brandie comme un étendard (au point de faire l’objet d’un synode!), la star des vaticanistes américains, John Allen, « catholique » progressiste presque par antonomase, qui considère l’Eglise comme une multinationale, le Pape comme son PGG et le conclave comme un concours de paris sportifs (donc une vision exclusivement horizontale, très américaine, largement partagée dans les franges libérales, le « pompon » est le parallèle avec Roosevelt et Nixon!) , tente de nous « vendre » comme banale l’idée d’un Pontife gouvernant de plus en plus par décrets, centralisant l’autorité entre ses mains à l’instar de Jean-Paul II (une comparaison pour le moins contestable), bref « présidant une papauté (sic!) de plus en plus impériale ».
Son commentaire superficiel, « décalé », un brin sarcastique, a quand même le mérite de nous faire percevoir à quel point la fin de règne est proche.

À l’approche du sommet de la synodalité, en naviguant dans la phase impériale d’une papauté

John Allen
cruxnow.com

ROME – Quand le pape Jean-Paul II a célébré la 25e année de son mandat en 2003, le théologien catholique américain Richard McBrien s’est fait l’interprète de nombreux détracteurs libéraux en affirmant que l’héritage du pontife était décidément mitigé, le plus grand point négatif étant « sa recentralisation de l’autorité de la papauté aux dépens de l’enseignement [du Concile Vatican II] sur la collégialité ».

Bien sûr, Jean-Paul II était considéré comme un conservateur. La présomption dans de nombreux milieux était qu’avec la transition vers le pape François, plus progressiste, la vision de la collégialité de Vatican II, c’est-à-dire le transfert du contrôle de nombreuses questions de Rome vers les évêques locaux, serait enfin réalisée.

Très tôt, François a semblé alimenter ces attentes, en déclarant en 2015 que l’Église catholique avait besoin d’une « saine décentralisation ». Avec son très vanté « Synode des évêques sur la synodalité », François et ses collaborateurs ont dit vouloir que la consultation et la prise de décision partagée deviennent une caractéristique essentielle de la vie ecclésiastique.

Pourtant, plusieurs événements récents semblent raconter une histoire quelque peu différente.

Cette semaine, le pape François a publié un rescrit, c’est-à-dire un décret juridique, qui exige des évêques locaux qu’ils obtiennent l’autorisation du Vatican avant de pouvoir célébrer la messe en latin d’avant Vatican II dans les églises paroissiales ou de permettre aux prêtres ordonnés après le 16 juillet 2021 d’utiliser l’ancien rite.

Les médias conservateurs ont déjà noté le contraste entre la rhétorique décentralisatrice du pape et l’orientation clairement centralisatrice du rescrit. En toute honnêteté, ce n’est pas le seul exemple.

Deux jours plus tard, François a émis un autre instrument juridique, celui-ci un motu proprio, concernant le patrimoine financier du Saint-Siège. En substance, le décret stipule que tous les actifs des institutions créées par les dicastères de la Curie romaine, ou par d’autres entités liées au Saint-Siège, appartiennent au Vatican et sont soumis au contrôle du pape.

En août dernier, en publiant un rapport financier, le Secrétariat à l’économie a identifié 92 de ces « entités », dont les grandes basiliques de Rome – Sainte-Marie-Majeure, Saint-Paul-hors-les-Murs, Saint-Jean-de-Latran, en plus de Saint-Pierre – ainsi que toute une série de fondations, d’institutions et de fonds créés au fil des ans.

Techniquement, il s’agit d’organismes du Vatican et donc soumis au pape. En réalité, pourtant, la plupart d’entre eux ont longtemps fonctionné de manière très autonome, et le personnel en est venu à considérer que les biens leur appartenaient et qu’ils pouvaient les gérer et les utiliser comme bon leur semblait. C’est donc un réveil un peu brutal que de découvrir que non, ils sont des « administrateurs » et non des « propriétaires ».

Ou encore, considérons un rescrit publié en juin dernier spécifiant qu’avant d’ériger un nouveau groupe en « association publique de fidèles », en vue de devenir un ordre religieux, un évêque diocésain doit d’abord obtenir la permission du Vatican. Cette décision s’appuie sur un précédent édit de 2020 exigeant que les évêques obtiennent une autorisation avant d’ériger une nouvelle communauté religieuse de droit diocésain, qui, à son tour, amplifiait un rescrit de 2016 exigeant qu’ils consultent au moins le Vatican.

Jusqu’à présent, toutes ces mesures pouvaient être prises par un évêque diocésain de son propre chef, le Vatican n’entrant en scène que si le nouvel ordre voulait être reconnu comme ayant un statut « pontifical », et non simplement « diocésain ». Aujourd’hui, le Vatican doit être impliqué dès le début.

Par ailleurs, il convient d’examiner deux affaires qui se sont déroulées en Italie ces derniers jours et qui concernent deux petits couvents de religieuses.

Dans le premier cas, deux sœurs Clarisses ont été expulsées de la vie religieuse par décret du Vatican pour avoir refusé d’abandonner leur couvent sur la côte italienne chic d’Amalfi, où la propriété est estimée à 50-60 millions de dollars. Invoquant la baisse de fréquentation, le Vatican a ordonné la fermeture du couvent et nommé un administrateur chargé de disposer de la propriété.

Les deux religieuses ne voulaient pas partir, affirmant notamment vouloir s’occuper d’une sœur de 97 ans qui vit au couvent depuis 1955. Leur défi a conduit à l’ordre d’expulsion.

À quelque 400 km plus au nord, 13 sœurs bénédictines [de Pienza, dans le diocèse de Sienne. Mgr Vigano consacre à l’affaire une mise au point sur le blog d’AM Valli] sont confrontées à une menace similaire après avoir défié un ordre du Vatican de remplacer leur mère supérieure. Les sœurs se sont barricadées dans le couvent, mettant un cadenas sur la porte principale et coupant les lignes téléphoniques, dans l’espoir qu’un appel canonique contre le décret du Vatican aboutisse.

Dans l’abstrait, on pourrait se demander pourquoi le Vatican s’engage dans ce qui ne peut apparaître que comme une micro-gestion, puisque, dans d’autres circonstances, ces impasses auraient probablement été laissées aux ordres religieux et aux diocèses concernés, sous prétexte que les enjeux sont trop faibles [c’est ce que prétend Allen; mais au moins en ce qui concerne les bénédictines de Pienza, c’est beaucoup plus compliqué que ce qu’il laisse supposer, c’est bien une décision purement romaine qui semble liée entre autres à l’attachement à la tradition].

Que se passe-t-il ? Pourquoi le pape de la « saine décentralisation » semble-t-il présider une papauté [!!] de plus en plus impériale ?

À la décharge de François, certaines de ces mesures centralisatrices sont le reflet de son désir de réforme.

L’affirmation du contrôle sur les nouveaux ordres religieux, par exemple, est en partie une réponse au fait qu’un nombre alarmant de ces entités ont été prises dans des scandales d’abus [en réalité, les condamnations papales des cas d’abus, comme nous le savons, sont à géométrie variable]. L’affirmation de la propriété de tous les biens liés au Vatican est également considérée comme un moyen de garantir que les nouvelles mesures de responsabilité et de transparence [Allen pense-t-il ce qu’il écrit???] de François s’appliquent également à ces entités, aussi éloignées soient-elles de l’activité papale quotidienne.

Pourtant, au-delà de la réforme, il y a presque certainement d’autres facteurs à l’œuvre, dont l’un est structurel et l’autre psychologique.

Sur le plan structurel, les dirigeants, quelle que soit leur couleur politique, cherchent généralement à renforcer l’autorité du pouvoir exécutif. Dans son livre acclamé, The Imperial Presidency, Arthur Schlesinger identifie à la fois Roosevelt, un démocrate, et Nixon, un républicain, comme les architectes d’un pouvoir exécutif considérablement renforcé aux États-Unis.

Ce n’est que dans une époque hyper polarisée qu’on peut être surpris qu’un pape conservateur et un pape libéral semblent tous deux apprécier l’autorité papale, dans une mesure à peu près égale.

Et voici l’aspect psychologique : La plupart des papes nouvellement élus, surtout ceux qui ont dirigé des diocèses pendant un certain temps, entrent en fonction en croyant que la plupart des autres évêques pensent comme eux [même remarque que ci-dessus!]. Après tout, ils viennent d’être élus par un vote des deux tiers du Collège des cardinaux, et la plupart de leurs amis évêques partagent probablement leur point de vue (ce qui est probablement la raison pour laquelle ils sont amis pour commencer).

En partant du principe que « la plupart des évêques » veulent ce que le pape veut, il est facile de prôner la décentralisation et la collégialité.

Au fil du temps, cependant, chaque pape doit tenir compte du fait qu’il existe des poches importantes d’évêques qui ne partagent pas vraiment son programme. Jean-Paul II avait son cardinal Carlo Maria Martini, tout comme le pape François a son cardinal Gerhard Müller – et dans les deux cas, Martini et Müller ne parlaient pas seulement pour eux-mêmes.

Alors que les papes commencent à entendre le char ailé du temps se rapprocher, il devient moins évident de s’en remettre aux jugements d’un corps disparate et imprévisible de quelque 5 000 évêques catholiques dans le monde, et plus tentant de gouverner par décret.

Un nombre croissant d’observateurs estiment que nous sommes entrés dans cette phase de l’ère François. Il sera donc passionnant de voir comment cette dimension opérationnelle de la papauté sera conciliée avec les concepts ecclésiologiques susceptibles d’être formulés par le Synode sur la synodalité qui s’annonce.

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