La magnifique préface d’Aldo Maria Valli (numérisée et traduite par mes soins sur l’édition papier) au livre de don Alfred Xuereb, le secrétaire maltais de Benoît XVI, « I miei giorni accanto a Benedetto XVI ». Il raconte avec beaucoup d’émotion l’évènement qu’il a couvert en tant que vaticaniste de la Rai, le fameux vol en hélicoptère au-dessus de la Ville éternelle, qui devait le conduire du Palais Apostolique à Castelgandolfo.

Un hélicoptère blanc

I miei giorni accanto à Benedetto XVI,
Alfred Xuereb, éditions San Paolo 2023
La préface d’Aldo Maria Valli

28 février 2013. Pour l’Église, et pas seulement, cette date est destinée à devenir une date spéciale qui entrera dans les livres d’histoire. Pour la première fois, un pape quitte le Vatican après avoir décidé de renoncer à la papauté de son plein gré.

Voilà le Pape Benoît. L’adieu à l’appartement papal, où il a vécu pendant sept ans, dix mois et neuf jours, se déroule sans cérémonie particulière. Dans quelques heures, Joseph Ratzinger deviendra pape émérite et la sede vacante s’ouvrira.

Lorsque le Saint-Père descend dans la cour de San Damaso, un piquet d’honneur de la Garde suisse pontificale l’attend. Mais il y a surtout les personnes qui ont travaillé avec lui, et pour lui, pendant ces années. L’émotion est évidente, et certains ne peuvent retenir leurs larmes. Le Pape Benoît sourit et salue tout le monde d’un signe de la main. Il marche avec l’aide d’une canne et sur son visage, il n’est pas difficile de discerner les signes de la fatigue. Sa silhouette semble encore plus frêle que d’habitude.

Un hélicoptère blanc de l’armée de l’air italienne accompagne le pape à l’héliport. Benoît le rejoint dans une voiture noire, immatriculée SCV 1, qui glisse silencieusement le long des jardins du Vatican. Encore quelques salutations, des sourires et des poignées de main. Puis le pape, accompagné de ses plus proches collaborateurs, monte à bord, et à 17 h 07, le décollage a lieu.

Dans le ciel de Saint-Pierre, l’hélicoptère décrit un large cercle autour de la coupole et, depuis le sol, les gens font des signes. La foule rassemblée sur la place agite des mouchoirs. Une bannière apparaît qui, dans la langue maternelle du pape, dit Danke, merci. Quelques séminaristes sont montés sur le toit du Petit Séminaire et saluent de là.

Quelques instants, et l’avion se dirige vers les Castelli Romani. La destination est la résidence papale de Castel Gandolfo. À partir de ce soir, Benoît XVI y passera quelques mois avant de s’installer dans la nouvelle résidence qui lui a été aménagée dans l’ancien monastère Mater Ecclesiae au Vatican, où il vivra caché aux yeux du monde.

L’hélicoptère survole la ville éternelle et ses monuments. Les cloches de toutes les églises sonnent à toute volée. La Patarina, la cloche historique du Palazzo Senatorio, sonne également : c’est le salut de la ville de Rome à son évêque. Sur la Piazza du Campidoglio [Place du Capitole], les gens brandissent des affiches portant l’inscription  » Tu seras toujours avec nous. Merci ». Le ciel est dégagé. Alors que l’hélicoptère devient un point de plus en plus petit, le Vatican annonce le texte du dernier tweet du pape Benoît : « Merci pour votre amour et votre soutien. Puissiez-vous toujours expérimenter la joie de mettre le Christ au centre de votre vie ».

Au bord de l’hélicoptère avec le petit groupe qui accompagne le pape dans ce court mais extraordinaire voyage se trouve un prêtre maltais de 54 ans. Il s’appelle Monseigneur Alfred Xuereb, mais il préfère qu’on l’appelle don Alfred. Depuis septembre 2007, il est le deuxième secrétaire particulier du pape Benoît et il sait qu’en ce jour historique, une page importante se ferme pour lui aussi.

Alors que l’hélicoptère traverse le ciel de Rome et que les beautés historiques et monumentales en contrebas offrent un spectacle indescriptible, dans le cœur et l’âme de don Alfred, il y a un tumulte de sentiments. D’une part, un sentiment de vide et de perplexité, humainement compréhensible, d’autre part une confiance totale dans les plans du Seigneur. Quelques semaines plus tôt déjà, il avait été mis au courant du choix de Benoît XVI. Le Saint-Père lui-même, avec une délicatesse raffinée, l’a informé. Il l’a appelé dans son bureau, l’a fait asseoir.

Don Alfred s’en souvient très bien. Le Pape est entré dans son bureau et lui a demandé de s’asseoir devant le bureau. La perception immédiate qu’il allait recevoir une communication importante. Le calme et la sérénité de Benoît XVI, maintenant conscient de sa décision. Et puis ces mots qui ont traversé l’esprit de don Alfred et qu’il a lutté pour retenir : « Non, Saint-Père! Pourquoi n’y réfléchissez-vous pas un peu plus ? ».

Mais il s’abstient de les prononcer et écoute, pétrifié. Il parvient à peine à assurer le Pape de sa prière, plus intense qu’auparavant, et le remercie pour le geste d’estime et de confiance. Et il se souvient, comme en un éclair, des fois où le Pape, dans la sacristie, s’arrêtait plus longtemps en prière avant la messe. Don Alfred sentait que le Pape priait pour quelque chose de spécial. La coutume voulait qu’au son de la cloche de l’horloge de la cour de San Damaso, le Pape fasse le signe de la croix en proclamant les mots : « Adiutorium nostrum in nomine Dominini » pour faire son entrée dans la chapelle privée et commencer la Sainte Messe. Mais certains jours, malgré le carillon de sept heures, Benoît reste immobile et absorbé dans sa prière.
Lorsque le pape a informé son deuxième secrétaire de sa décision de quitter le ministère pétrinien, donc Alfred a lié à cette décision cette prière prolongée avant la messe.

Benoît XVI avait déjà fait l’expérience de la tourmente intérieure et il était serein et calme lorsqu’il a partagé sa grande décision avec don Alfred.

L’hélicoptère vole, léger. Et légère est maintenant aussi l’âme du Pape. Quant à don Alfred, il est difficile de décrire son état d’esprit. Il est resté avec Benoît XVI pendant cinq ans et demi. Il l’a servi, il s’est tenu à ses côtés. Il a fait partie de ce qu’on appelle la « famille papale », une définition qui pour lui n’est pas seulement technique, car il peut vraiment dire qu’il a vécu comme un fils aux côtés de son père. Un père plein d’attention et de tendresse, sage, mais aussi très humble.

Combien d’images reviennent maintenant à l’esprit de don Alfred, combien de jours, combien de situations. Ces derniers jours ont été une montagne russe d’émotions. Voici les regards d’abord étonnés, puis émus des cardinaux lorsque Benoît, en latin, annonce sa décision de renoncer à la papauté. Nous sommes le 11 février. « Après avoir fait à plusieurs reprises mon examen de conscience devant Dieu, dit le pape, je suis arrivé à la certitude que mes forces, en raison de mon âge avancé, ne sont plus aptes à exercer convenablement le ministère pétrinien ».

Puis les images de la dernière audience générale, place Saint-Pierre, ouverte par Benoît XVI par ces mots : « Je vous remercie d’être venus si nombreux. Je vous remercie du fond du cœur ! Je suis vraiment ému ! Et je vois l’Église vivante ! Et je pense que nous devons aussi dire merci au Créateur pour le beau temps qu’il nous offre maintenant en hiver ».

Mais don Alfred garde en lui d’autres trésors, plus personnels. Les messes du matin célébrées par le Pape dans la chapelle du Palais Apostolique, parfois enrichies de belles homélies, les promenades dans les jardins du Vatican et ceux de Castel Gandolfo, les voyages à l’étranger, les grandes célébrations, les déjeuners et les dîners, en privé ou avec des invités, les moments de prière et ceux de repos, les rencontres avec Monseigneur Georg, le frère bien-aimé du Pape, les plaisanteries, les histoires de l’enfance de Joseph, l’amour des animaux, les heures d’appréhension et celles de joie.

Dans le souvenir, tout se confond un peu, mais il y a un besoin qui se fait immédiatement sentir chez don Alfred. C’est un désir, on pourrait dire, de justice.

Tant de choses ont été dites et écrites sur Benoît XVI et tant de choses seront dites et écrites encore. Mais trop souvent, Joseph Ratzinger a été mal décrit et mal représenté. On a donné de lui une image déformée. Il a été dépeint comme sévère, rigide, froid, comme une personne presque insensible, engagée uniquement à être un contrôleur de la doctrine correcte. Mais don Alfred sait que ce n’est pas le cas, il n’a jamais été ainsi. Et maintenant, alors que l’hélicoptère blanc est dans les airs, il ressent immédiatement le besoin de raconter ce dont il a été le témoin direct. Il veut aussi que la décision de renoncer à la papauté apparaisse sous son vrai jour. Il ne s’agit pas, selon lui, d’un manque de courage. C’était au contraire un acte d’amour pour l’Église. Don Alfred l’a vu : il connaît le caractère héroïque de cette décision.

Pendant si longtemps, le fidèle secrétaire, comme son rôle délicat l’exigeait, est resté silencieux, proche du Saint-Père, mais en même temps discret, presque invisible. C’était normal, et il n’a jamais voulu se mettre en valeur. Mais il tenait un journal, dans lequel il notait les situations et les sentiments. Un « journal de bord » au contenu personnel, qui devient maintenant, à sa manière, également un livre d’histoire. Et qui peut contribuer à donner une image plus vraie, plus précise et plus authentique de l’homme Joseph Ratzinger et du pape Benoît XVI.

Ce journal, ce carnet de notes, ce récit des coulisses est donc rendu public comme une contribution à la vérité. Une petite contribution, si l’on veut, mais qui a le mérite de l’authenticité.

Bien évidemment, avec son témoignage, don Alfred ne prétend pas imposer son idée et son image du Pape Benoît, mais simplement dire à ses lecteurs : « Voilà, c’est l’homme que j’ai eu le privilège de connaître ! ».

Aldo Maria Valli

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