Ecole Ratzinger – Une lecture, datant du moment de sa sortie (2009), de la grande encyclique sociale de Benoît XVI par Mgr Aguer (*), archevêque (aujourd’hui émérite) de La Plata, en Argentine. Première partie.

Rappelons qu’à ce jour, François a publié trois encycliques (comme Benoît XVI, mais c’est peu en comparaison de la surabondance de textes législatifs). En mettant à part la première Lumen Fidei dont une grande partie est de Benoît XVI, de qui il l’avait « héritée », les deux autres sont Laudato si (l’encyclique écologique/écologiste de 2015) et la très discutée Fratelli tutti [voir ICI sur mon site] « sur la fraternité et l’amitié sociale » (2020). Soit la version bergoglienne / 2.0 de l’encyclique sociale traditionnelle des papes précédents.

(*) Grand défenseur de la vie et admirateur de Benoît XVI. En 2018, à peine révolus les 75 ans canoniques, Mgr Aguer avait été précipitamment éjecté de son siège archiépiscopal de La Plata – au moment où le Parlement d’Argentine s’apprêtait à voter une loi facilitant l’avortement et alors que lui-même était le fer de lance du front pro-vie -, afin de laisser la place au « chouchou » de François, Victor Manuel Fernandez, alias « Tucho ».
Voir à ce sujet La disgrâce de Mgr Aguer (10/6/2018) et Limogeage express (8/6/2018)

La pensée sociale de Benoît XVI. Introduction à la lecture de Caritas in Veritate

Commentaire de Mgr Aguer

I. Situation historique

Avec l’encyclique Caritas in veritate, Benoît XVI a voulu commémorer le quarantième anniversaire du document de Paul VI sur le développement humain intégral, publié en 1967.

Le pontife actuel continue la démarche avec laquelle la doctrine sociale de l’Église a été exposée depuis le début de sa formulation moderne par Léon XIII dans sa célèbre encyclique Rerum novarum. La mise à jour périodique de cet enseignement s’est vérifiée à travers les commémorations successives du texte de Léon XIII : l’encyclique Quadragesimo anno de Pie XI (1931), le discours La solemnidad de Pie XII (1941), l’encyclique Mater et Magistra de Jean XXIII (1961), la lettre apostolique Octogesima adveniens de Paul VI (1971) et les encycliques Laborem exercens (1982) et Centesimus annus (1991) de Jean Paul II.

Cette série montre la continuité d’une tradition caractérisée par la fidélité dynamique à une inspiration originaire: la doctrine sociale de l’Église est, comme le souligne Benoît XVI, un enseignement unique, cohérent et en même temps toujours nouveau.

En un certain sens, l’encyclique Populorum progressio [Paul VI, 1967] représente le début d’une nouvelle étape : insérée dans le grand courant de la Tradition, elle peut être considérée comme la Rerum novarum de l’époque contemporaine, notamment parce qu’elle aborde les problèmes d’un monde qui entame un vertigineux processus d’unification. Ce texte, en effet, a déjà donné lieu à deux commémorations qui ont élargi et actualisé ses propositions et qui dessinent, dans la continuité de la doctrine sociale catholique, une nouvelle série de documents : quarante ans plus tard, Caritas in veritate (2009 ) suit la voie ouverte par Jean-Paul II lors de son vingtième anniversaire avec Sollicitudo rei socialis (1987).

Dans son encyclique, Benoît XVI nous propose une relecture, une interprétation de Populorum Progressio considérée dans le grand courant de la Tradition de l’Église, intégrée à celle-ci.

La doctrine sociale catholique ne peut être comprise que dans la continuité de la vie de l’Église : le fondement transmis des Apôtres aux Saints Pères, puis approfondi par les Docteurs chrétiens, a progressivement formé un corpus de doctrines exposées par les Souverains Pontifes. L’évolution homogène de cet enseignement lui permet d’éclairer d’une lumière immuable les problèmes nouveaux qui se posent en fonction des conditions historiques changeantes. Il est important de noter cette observation : Il n’y a pas deux types de doctrine sociale, l’un préconciliaire et l’autre postconciliaire, différents l’un de l’autre, mais un seul enseignement, cohérent et en même temps toujours nouveau (n. 12).

Selon l’interprétation présentée dans Caritas in veritate, deux grandes vérités émergent de l’encyclique de Paul VI. La première consiste en une vérification de la mission essentielle de l’Église et de sa projection temporelle : l’Église, par tout son être et son agir, lorsqu’elle proclame, célèbre et agit dans la charité, tend à promouvoir le développement intégral de l’homme. Déjà au début du XXe siècle, saint Pie X l’avait affirmé dans Il fermo proposito : l’Église, en prêchant le Christ crucifié, est devenue le premier inspirateur et architecte de la civilisation. L’autre vérité centrale se réfère à la définition du développement : le développement authentique concerne la totalité de la personne, toutes ses dimensions, y compris la dimension religieuse ; sans Dieu, il n’y a pas de développement digne de l’homme. Sans la perspective de la vie éternelle, commente Benoît XVI, le progrès humain en ce monde est à bout de souffle.

Le développement est conçu comme une vocation de l’homme : il implique l’ouverture à l’absolu, car l’homme est incapable de se donner à lui-même le sens ultime de son existence, mais il requiert aussi la libre responsabilité de la personne. Il exige le respect de la vérité : faire, connaître et avoir plus pour être plus ; promouvoir tous les hommes et l’homme tout entier. Le centre du développement est la charité ; les causes du sous-développement ne sont pas essentiellement matérielles, mais des défaillances de la pensée et de la volonté. Pour vaincre le sous-développement, qui n’est ni un accident ni une nécessité historique, la responsabilité des individus et des peuples est en jeu et ils doivent s’engager dans la recherche d’un nouvel humanisme.

II. Le principe fondamental

Le principe de la charité dans la vérité est exposé dans l’introduction de l’encyclique bénédictine en se référant aux racines bibliques des termes et à leur enracinement dans la philosophie chrétienne. L’articulation de la charité et de la vérité n’est pas un jeu de mots, mais donne lieu à une contemplation métaphysique sur la réalité de l’homme et de son destin. La charité et la vérité sont renvoyées à leur source suprême, qui est en Dieu ; d’elle jaillit l’inclination naturelle de l’homme, sa vocation, à la vérité et à l’amour. L’amour est une force divine, d’autant plus que Dieu – le Dieu trinitaire – est amour. La vérité, à la lumière de la raison et de la foi, est la nature des choses et de l’homme selon le plan du Créateur et selon la rédemption opérée par le Christ.

Le titre de l’encyclique fait allusion à la phrase paulinienne « alethéuontes en agápe » (Ep 4, 15) : se conformer à la vérité dans l’amour, vérifier tout dans l’économie de la charité ; mais il la prend aussi dans le sens opposé et complémentaire : comprendre, valoriser et pratiquer la charité à la lumière de la vérité.

Conformément au principe cité plus haut, il est affirmé au paragraphe 32 que les solutions nouvelles doivent être recherchées dans le respect des lois propres à chaque chose et à la lumière d’une vision intégrale de l’homme qui reflète les différents aspects de la personne humaine, considérée avec un regard purifié par la charité. Si le principe de l’amour et de la vérité n’est pas pleinement assumé, il finit par freiner le véritable développement humain et même par l’empêcher.

L’influence augustinienne sur la pensée de Benoît XVI ne doit pas être ignorée. La vérité et la charité impliquent le contact intellectuel et émotionnel de l’homme avec Dieu, qui est sa mesure transcendante. Le Pape expose, au paragraphe 34 et dans une note de bas de page, l’enseignement de saint Augustin sur le « sens intérieur » qui existe dans l’âme humaine : une action qui se déroule en dehors des fonctions normales de la raison, une action antérieure à la réflexion et presque instinctive, par laquelle la raison, se rendant compte de sa condition transitoire et faillible, admet au-dessus d’elle l’existence de quelque chose d’extérieur, absolument vrai et certain. Le nom que saint Augustin assigne parfois à cette vérité intérieure est celui de Dieu, mais plus souvent celui du Christ.

L’encyclique est profondément théologique : tous les éléments impliqués dans le développement humain et les principaux aspects de la mondialisation sont renvoyés, à travers la liberté et la responsabilité morale, à la vérité et à l’amour de Dieu. Les racines théologiques de la pensée apparaissent clairement dans l’introduction, mais aussi et surtout dans le chapitre VI, où l’on discerne le progrès technologique actuel par rapport à la notion authentique de développement.

Là se pose la question du véritable humanisme, qui ne peut être qu’un humanisme chrétien. Une application précise se trouve à la fin du paragraphe 75 : Alors que les pauvres du monde continuent à frapper à la porte de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre ces coups à sa porte, à cause d’une conscience incapable de reconnaître ce qui est humain. Dieu révèle l’homme à l’homme ; la raison et la foi collaborent pour lui montrer le bien, pour autant qu’il veuille le voir ; la loi naturelle, dans laquelle brille la Raison créatrice, montre la grandeur de l’homme, mais aussi sa misère, lorsqu’il ignore l’exigence de la vérité morale.

Un autre écho de la présence d’Augustin dans la réflexion de Benoît XVI se trouve dans les relations qui peuvent être établies entre la Cité des hommes et la Cité de Dieu. Selon le pontife, la charité s’occupe de construire la cité de l’homme selon les exigences du droit et de la justice, mais parce que la charité dépasse la justice, la cité de l’homme exige des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. L’action temporaire de l’homme, inspirée par la charité et soutenue par elle, contribue à la construction de la cité universelle de Dieu vers laquelle l’histoire avance. Dans une société en voie de globalisation, le bien commun doit embrasser toute la famille humaine ; ainsi la cité des hommes sera dotée d’une forme d’unité et de paix qui en fera une préfiguration et une anticipation de la cité de Dieu.

Le lien inséparable entre vérité et charité apparaît fréquemment dans le texte de l’encyclique. La charité dans la vérité est sagesse, capable de guider l’homme à la lumière des principes premiers et de sa fin ultime. Si toute action sociale implique une doctrine, l’intégration des diverses formes de connaissance doit être recherchée dans une approche interdisciplinaire ordonnée, « assaisonnée » du « sel » de la charité. La doctrine sociale de l’Église a une dimension interdisciplinaire aux caractéristiques sapientielles : la foi, la théologie, la métaphysique et les sciences sociales s’y conjuguent pour offrir une synthèse directrice qui permet de peser adéquatement tous les termes de la question du développement et de la solution des problèmes socio-économiques (n. 31).

A suivre.

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