Ecole Ratzinger – Une lecture, datant du moment de sa sortie (2009), de la grande encyclique sociale de Benoît XVI par Mgr Aguer , archevêque (aujourd’hui émérite) de La Plata, en Argentine. Dernière partie, et la très belle conclusion.

La pensée sociale de Benoît XVI. Introduction à la lecture de Caritas in Veritate

Commentaire de Mgr Aguer

V. Vers une économie humaine

(Le principe de gratuité)

Dans son encyclique, Benoît XVI expose et applique le principe de gratuité : l’être humain est fait pour le don, qui manifeste et développe sa dimension transcendante (n. 34). Ce principe éclaire un sombre penchant de la culture moderne pour l’autosuffisance : l’homme a tendance à se considérer comme le seul auteur de lui-même, de sa vie et de la société. Le pontife suggère une interprétation théologique de ce défaut et fait allusion à la doctrine catholique sur le péché originel : d’où la présomption, la fermeture égoïste, la recherche du bonheur et du salut dans les formes immanentes de l’organisation sociale. Dans ce contexte, il est dit : l’économie est depuis longtemps l’un des domaines dans lesquels se manifestent les effets pernicieux du péché.

Mais une autre orientation est possible dans la vie économique, politique et sociale ; elle est fournie par la logique du don. Dans la mesure où le principe de gratuité est accepté comme une expression de la fraternité, le développement devient authentiquement humain.

L’encyclique offre une évaluation positive du marché, mais propose également une relecture de sa nature, afin qu’il soit possible de découvrir l’espace qui correspond à la logique du don. En tant qu’institution économique, le marché est régi par les principes de la justice commutative, mais ce schéma est insuffisant pour son fonctionnement correct et efficace : il a besoin de formes internes de solidarité et de confiance mutuelle qui assurent l’indispensable cohésion sociale.

C’est cette valeur qui a fait défaut lors de la récente crise. L’activité économique doit être ordonnée à la réalisation du bien commun, et pour que cet ordre soit respecté, il est nécessaire de dépasser la simple logique commerciale. Lorsque le marché devient un espace où les plus forts dominent les plus faibles – et ce n’est pas une circonstance fortuite, mais l’effet d’une idéologie – il contrarie sa véritable nature et se déshumanise.

Le problème ne réside pas dans le marché lui-même, qui est un instrument, mais dans l’homme, dans sa conscience morale, dans sa responsabilité personnelle et sociale. L’activité économique ordinaire peut accueillir, dans les relations de marché, la logique du don, le principe de la gratuité. Des études récentes sur l’importance du facteur humain dans l’économie montrent que le changement suggéré est une demande actuelle de la société. Cependant, Benoît XVI indique clairement que la raison économique elle-même, la vérité de l’économie, l’exige. Ce qui est proposé n’est pas une résignation à produire de la valeur économique, mais à exercer une gestion guidée par des principes autres que le simple profit.

C’est dans la société civile que diverses formes d’économie libre peuvent trouver un espace. À côté de l’entreprise privée orientée vers le profit et des différents types d’entreprises publiques, des organisations productives à visée mutualiste et sociale doivent se développer, entraînant une combinaison et une interaction, sur le marché, de ces différents comportements d’entreprise. En bref, il s’agit d’une forme concrète et profonde de démocratie économique (n. 38).

Le principe s’applique aussi bien au marché qu’à l’activité politique : la logique du marché et la logique de l’État doivent inclure des marges de gratuité et de communion. Est-ce trop demander que des personnes capables de s’ouvrir aux dons réciproques apparaissent dans ces sphères ?
Les graves distorsions qui affectent la dynamique économique internationale exigent de profonds changements dans la façon de comprendre l’entreprise (n. 39). La « délocalisation » de l’activité productive et le marché international des capitaux exigent une responsabilité sociale plus large : l’investissement ne peut pas se limiter aux intérêts des propriétaires de l’entreprise, qui peuvent construire l’usine de production et la déplacer sur un autre territoire. Il convient de noter que ce phénomène a également une dimension morale, car il compromet le sort des travailleurs, des fournisseurs, des consommateurs, de l’environnement et, dans une certaine mesure, de la société dans son ensemble. On peut en dire autant de la volatilité du capital dit « avaleur ».

Benoît XVI présente une approche très nuancée du phénomène de la mondialisation, et non une conception fataliste ou déterministe de ce processus. Ses risques et ses dysfonctionnements sont reconnus, mais ses énormes possibilités sont également notées. En tant que phénomène humain, il a une dimension morale ; il convient donc de favoriser une orientation personnelle et communautaire, des critères de rationalité, de communion et de participation qui dépassent les tendances individualistes et utilitaires.

Conclusion

L’apport de l’encyclique Caritas in veritate s’ajoute, en parfaite continuité, à l’enseignement que le pontife actuel a développé dans les deux précédentes: Deus caritas est (2005) et Spes salvi (2007) et également à l’enseignement de Jean-Paul II. Soulignons, en conclusion, quatre notes à garder à l’esprit pour une lecture correcte de ce document qui aborde une question vaste et complexe :

1 – Benoît XVI nous offre une vision délicatement graduée des problèmes économiques, politiques et sociaux contemporains ; ce n’est pas une vision apocalyptique, mais plutôt une vision pleine d’espoir. Il ne pose pas une nouvelle utopie, mais un idéal, l’idéal ancien et toujours nouveau d’une culture chrétienne dans laquelle se réalise le meilleur de l’humanitas.

2 – La charité dans la vérité, principe directeur du discours, implique l’usage correct de la raison, des habitudes de pensée rigoureuses, l’ouverture à la transcendance, la purification par la foi du logos politique et social .

3 – Le rôle décisif attribué dans l’encyclique à la société civile est remarquable. En termes ecclésiaux, cela signifie un appel à la mise en avant des laïcs et à leur participation engagée dans les centres d’activité économique, sociale et culturelle et dans les sphères de décision politique.

4 – L’enseignement de Caritas in veritate doit être compris à la lumière de l’orientation fondamentale de la pensée du Pape Ratzinger : la centralité du culte, de la référence à Dieu. D’où la valeur politique de la foi, de l’espérance et de la charité : la société humaine ne peut se construire sans Dieu, sa providence et son amour.

FIN

Share This