Nous avons parlé récemment de ce film documentaire disponible aujourd’hui sur la plateforme Disney +. (François sur Disney + dans un docu-entretien avec des jeunes). C’est pire que tout ce qu’on peut pouvait imaginer; certains diront charitablement que le pape s’est fait piéger, mais ce n’est pas le cas: d’abord, il lui aurait été facile de contrôler le contenu, puisque le film a été tourné l’été dernier, et s’il sort tel quel (avec des gestes très forts de sa part, comme lorsqu’il accepte le « foulard vert » que lui tend une interlocutrice, symbole de la lutte pour LE DROIT À l’avortement), c’est qu’il l’a voulu. Ensuite, il ne pouvait ignorer que le journaliste espagnol qui est aux manettes est aussi un animateur télé et un humoriste (genre Hanouna, peut-être?), connu sous le surnom de El Follonero, « le fouteur de m… » (sic!). Ça ne s’invente pas. Enfin, sauf à prétendre comme ne manqueront pas de le faire les leccapiedi dont il s’entoure bien qu’il dise les détester, que François est VRAIMENT le nouveau Messie, la comparaison avec Jésus parlant aux prostituées et aux publicains est carrément blasphématoire. Non seulement François ne convaincra personne de cette façon (ne parlons pas de conversion!! d’ailleurs, il n’essaie même pas) , mais il va renforcer chez les non-croyants la haine et le mépris de l’Eglise.

Cerise empoisonnée sur le gâteau méphitique, c’est la Semaine Sainte qui est choisie pour sortir cette infâmie.

Un détail encore: la familiarité et la grossièreté avec lesquelles le Pape tolère qu’on se présente devant lui est un motif supplémentaire de scandale. Le respect qu’on témoigne au Pape, y compris par sa tenue, y compris de la part des non-croyants, ne s’adresse pas à Jorge Mario Bergoglio (ce ne serait pas grave!) mais à la fonction qu’il occupe.

De l’avortement au porno, le pape dialogue sans tabou avec des jeunes

(AFP, via L’Orient-le-jour /5 avril 2023)

Avortement, homosexualité, féminisme, identité de genre: dans un documentaire sortant mercredi, le pape François se prête à un détonant jeu de questions-réponses avec dix jeunes hispanophones, cassant volontiers les codes sur les sujets préoccupant la génération Z.

« Connaissez-vous Tinder? », lui lance ainsi Celia. Face au pape octogénaire, les looks décontractés – décolletés, shorts, tatouages, piercings, casquette à l’envers et cheveux colorés – contrastent avec le strict protocole vestimentaire en vigueur dans les couloirs du Vatican. « C’est bien que les gens se rencontrent, c’est normal », répond François, qui semble découvrir l’application de rencontres.

Dans « Conversations avec le pape », disponible à partir de mercredi sur la plate-forme Disney+, le jésuite argentin est poussé dans ses retranchements par des jeunes âgés de 20 à 25 ans – catholiques, athées ou musulman – aux profils très divers. Du féminisme aux migrations en passant par la santé mentale et les droits LGBT+, un large éventail de sujets de société, souvent lourds, sont abordés sans tabou. Jusqu’aux plus inattendus, comme lorsqu’une créatrice de contenus pornographiques évoque son rapport à la masturbation.

Si certains ne peuvent retenir leurs larmes en confiant leurs blessures personnelles, aucun ne prend de pincettes au moment de s’adresser au pape, quitte à le tutoyer ou critiquer l’attitude de l’Eglise catholique. Une liberté de ton qui tranche avec les traditionnelles interviews accordées par l’évêque de Rome. « Que pensez-vous des membres de l’Eglise ou des prêtres qui promeuvent la haine et utilisent la Bible pour soutenir un discours de haine? », demande ainsi Celia, qui se définit comme personne non-binaire. « Ces gens sont des infiltrés qui utilisent l’Eglise pour leurs passions personnelles, pour leur étroitesse personnelle« , fustige le pape.

Les questions provoquent parfois des débats nourris, notamment sur la pornographie ou la gestion des cas de pédocriminalité, à l’image de Juan, victime d’un religieux qui interpelle le pape sur son dossier après une sanction du Saint-Siège jugée insuffisante. « Cela me fait mal que la peine ait été légère », répond François, s’engageant à ce que « l’affaire soit rééxaminée ».

Loin d’être choqué, le souverain pontife maintient son habituel discours d’ouverture envers l’orientation sexuelle et l’identité de genre. « Chaque personne est un enfant de Dieu. L’Eglise ne peut fermer la porte à personne », insiste-t-il. Tant bien que mal, il tente aussi d’expliquer la position de l’Eglise sur l’avortement ou le non accès des femmes au sacerdoce, sans convaincre pour autant son auditoire.

Pour les deux co-réalisateurs espagnols, Jordi Évole et Màrius Sanchez, l’objectif était de « réunir deux univers qui ne communiquent pas d’habitude et de voir l’une des personnes les plus influentes de la planète dialoguer avec un groupe de jeunes dont le mode de vie heurte parfois de front les principes de l’Église ». « Nous l’avons traité avec moins de révérence que celle à laquelle est habitué (…) Nous utilisons le sens de l’humour, le sarcasme », explique à l’AFP Màrius Sanchez, se félicitant d’avoir créé avec lui une « relation de confiance et de franchise ».

Le film de 80 minutes, réalisé à partir d’une conversation de quatre heures dans un style très cinématographique, a été tourné en juin 2022 dans le quartier populaire du Pigneto, à Rome. Il sort la semaine précédant Pâques, temps fort du calendrier chrétien, et quelques jours après l’hospitalisation de François pour une bronchite.


Amén, Francisco risponde…

Le journaliste espagnol Jordi Évole a proposé au pape François de rencontrer dix jeunes pour aborder des questions épineuses allant de l’avortement aux abus, en passant par l’idéologie du genre, l’ordination des femmes et l’immigration. Le résultat est Amén: Francisco responde, un documentaire publié par Disney avec un battage médiatique absolument extraordinaire pour un produit religieux. Bien que pour être rigoureux, il faudrait dire que – plus que religieux – nous avons affaire à un produit journalistique, d’où son intérêt.

Comme l’ont souligné les dirigeants de Disney dans leur présentation aux médias, le documentaire s’adresse à un public extérieur à l’Eglise catholique et se veut un échantillon de l’enseignement du Pape sur une Eglise « qui sort » et qui est en contact avec les périphéries, non seulement matérielles mais aussi existentielles.

Les jeunes qui accompagnent le pape sont une catéchiste féministe, une ancienne religieuse lesbienne qui a subi des abus de pouvoir et se déclare athée, une immigrée indienne, une musulmane africaine dont la famille est arrivée du Sénégal en Espagne sur un bateau, une jeune femme non binaire, une athée italienne, une victime d’abus sexuels, une jeune fille évangélique qui a souffert de brimades et d’anorexie dans son enfance, une mère célibataire qui travaille dans le porno sur Internet et une jeune fille du Chemin néocatéchuménal. Tous dégagent du charisme et évoluent librement devant la caméra. Tous, à l’exception de la dernière, ont une position très critique à l’égard de l’Église catholique, en grande partie motivée par leurs expériences dramatiques.

Le pape les écoute – beaucoup – et, plutôt que de répondre à leurs doutes, qui se succèdent de manière rapide et belliqueuse, il insiste sur l’idée de l’accueil : chacun a sa place dans l’Église et dans le cœur de Jésus-Christ.

Il faut reconnaître à François le mérite du courage [????] et de l’ouverture. Il n’y a aucun sujet qu’il censure ou auquel il refuse de répondre, même s’il reconnaît parfois – explicitement ou par des gestes – qu’il y a des questions qui lui sont inconnues, comme lorsqu’il parle de Tinder ou de la prostitution par le biais d’applications.

Sur ces questions, la fille néocatéchuménale prend la tête de la communication et de la défense de la doctrine catholique, ce qui est un exemple de ce que le pape François a dit à plusieurs reprises : « la meilleure façon d’évangéliser un jeune, c’est un autre jeune ».

Sur d’autres sujets, comme l’avortement et surtout l’ordination des femmes, le pape affirme avec force [!!!] la doctrine de l’Église, bien qu’il soit clair sur le visage de son interlocutrice que celle-ci n’est pas convaincue par ses arguments. Cela ne semble pas importer au Pape qui – j’insiste – plutôt que de faire une catéchèse télévisée, entend donner l’exemple d’une attitude évangélisatrice.

C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre et apprécier un documentaire qui, sinon, risque de fâcher tout le monde et de ne satisfaire personne. N ceux qui, à l’intérieur de l’Église, peuvent se sentir blessés par certaines expressions familières du pape sur les couvents qui violent les droits de l’homme ou les groupes corrompus qui abusent des mineurs, et qui regretteront une défense plus énergique face aux critiques des jeunes ; ni ceux qui, à l’extérieur de l’Église, souhaitent que le pape change de doctrine, car ils seront déçus par de nombreuses déclarations du pape François.

Un piège ?

Il n’est pas surprenant que la rencontre d’El follonero avec le pape du « hagan lío » (fate casino, mettez le bazar/bordel) se soit soldée par un piège. Amical, d’où les innombrables explications et compliments d’Évole, mais un piège tout de même. Le journaliste a avoué que le pape lui avait demandé d’avoir au moins un catholique. Et il y en a un, même si la présentation de la jeune fille, à l’opposé des images idéalisées de la jeune femme non binaire avec sa copine ou de la mère célibataire avec sa fille, est une déclaration de principes : si vous êtes un catholique convaincu, il est fort probable que votre mère soit une sorcière qui vous fait dire d’étranges prières en cercle. Et que vous êtes aussi millionnaire. Même si ce n’est qu’une note, elle montre bien l’idée que les réalisateurs du documentaire se font de l’Eglise, et celle qui est transmise par les jeunes protagonistes. Des jeunes soigneusement sélectionnés qui, à une exception près, n’ont pas mis les pieds dans une église depuis longtemps et qui n’hésitent pourtant pas à la décrire comme une institution inquisitoriale, fermée et qui exclut. Des termes qui pourraient peut-être décrire l’Église de leurs grands-parents mais qui ne correspondent pas au ton général de l’Église d’aujourd’hui.

Et le problème d’un piège, c’est qu’on en sort parfois vivant, ce qui est le cas du pape, mais on en sort toujours meurtri. Et le pape en sort meurtri lorsqu’il condamne fermement les bas salaires mais ne condamne pas avec la même fermeté l’industrie de la pornographie sur internet. Et ce n’est pas parce que le Pape défend la prostitution, ni parce qu’il est chauvin, mais simplement parce que la protagoniste de l’histoire – une mère célibataire avec une grossesse dramatique et une situation économique précaire – et sa façon d’expliquer son travail – quelque peu déroutante, surtout pour une personne plus âgée -empêche François de critiquer avec plus de force. La télévision ne comprend pas les nuances et, à la fin, il aurait eu l’air d’un monstre ou d’un dogmatique.

Il en va de même pour les deux personnes lésées par les institutions de l’Église : le jeune homme raconte les abus sexuels qu’il a subis de la part d’un professeur de l’Opus Dei, et la jeune fille les abus de pouvoir dans un couvent. François les réconforte et critique vivement les abus. Il explique ce que fait l’Église et souligne que le problème vient des groupes corrompus qui torturent les jeunes. Mais il ne semble pas que le pape veuille dire par là que l’Opus Dei est un groupe corrompu. Entre autres, parce que quelques mois plus tard, il déclarait dans une autre interview que l’Opus Dei travaillait très bien dans l’Église et qu’il était un très bon ami de l’Opus Dei, alors que l’on ne se vante généralement pas d’avoir des amis corrompus. De plus, il y a quelques années, il a élevé une femme de l’Opus Dei sur les autels, dans un acte – une béatification – qui est un acte du magistère de l’Église (et non un programme télévisé). Il ne semble pas non plus que le pape, qui a toujours vénéré l’état religieux, veuille aujourd’hui supprimer les couvents.

Mais là encore, c’est le piège. Dans la situation d’une femme qui souffre et qui s’est détournée de l’Église, et dans celle d’un jeune homme qui, de plus, est le protagoniste d’une affaire extrêmement compliquée, parce que l’accusé, douze ans après la première accusation, après des centaines d’interventions médiatiques de la famille de la victime, après avoir été condamné et avoir purgé sa peine, continue à clamer son innocence et à soutenir que le Pape est mal informé. Et il a peut-être un peu raison car – ce n’est qu’un détail – le jeune homme dit au Pape que le professeur incriminé enseigne encore, alors qu’en réalité il a cessé d’enseigner depuis onze ans. Face à l’explication du jeune homme selon laquelle un premier jugement de l’Église a absous l’enseignant, le pape lui dit – comme il ne pouvait pas ne pas le faire – qu’ils vont réexaminer l’affaire. C’est une heure de grande écoute. Le garçon a la promesse, Évole, le titre… et le Pape se retrouve avec le bazar [/lio].

Pour finir, le piège du foulard vert [fr.wikipedia.org/wiki/Foulard_vert]. Un symbole particulièrement agressif de la défense, non plus de la légalisation de l’avortement comme drame ou problème, mais de l’avortement comme un droit humain et universel. Et tous ceux qui lisent les journaux le savent, tout comme le Pape, qui est aussi argentin et qui connaît le débat très dur sur l’avortement dans son pays. Mais celle qui lui remet le foulard vert est une jeune fille en larmes, qui enseigne le catéchisme dans sa paroisse et qui voit comment les prêtres rejettent, insultent et maltraitent les femmes qui avortent (nous devrons enquêter sur cette étrange paroisse), et le pape ramasse le foulard, dans un geste qui vaut de l’or pour les défenseurs de l’avortement et qui est un coup dur pour ceux qui cherchent d’autres alternatives. Et il est vrai qu’immédiatement après le Pape dit que c’est une chose d’accueillir et une autre de justifier, mais à la télévision une image vaut plus qu’une encyclique.

En d’autres termes : Évole contrôle le média, le pape contrôle le message, mais à la télévision le média est le message. Et le pape sort de l’attaque vivant, mais blessé.

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