Au terme des célébrations pascales – et de la trêve qui va avec -, le blogueur argentin The Wanderer reprend (pour notre édification!) ses commentaires au vitriol sur le pontificat: il balaie comme une broutille le film de Disney dont le pape est le héros, selon lui succession sans intérêt de « stronzate » [il utilise un mot italien, très cru, que je n’ose pas traduire ici] auxquelles personne ne prête plus attention. Plus grave, une fois de plus avec François, nous avons assisté, avec le Chemin de Croix au Colisée et le lavement des pieds du Jeudi Saint à un renversement anthropologique dans la liturgie: la Passion et la Résurrection du Christ transformées en une (banale) célébration de l’homme.

Le tournant anthropologique

The Wanderer, 10 avril 2023
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Joie de Pâques ou cornichons au vinaigre ?
[pour mémoire, c’est l’un des noms d’oiseaux dont François affublait les catholiques attachés à la tradition]

Non seulement nous, blogueurs catholiques, mais aussi les médias de masse, sommes las de commenter les absurdités que le pape François nous sert presque quotidiennement. Ce qu’il dit et ce qu’il fait n’a plus guère d’écho et lui, désespéré par l’oubli dans lequel on l’enferme – les caméras créent une dépendance – se préoccupe de produire et de dire de plus en plus souvent des idioties (stronzate, comme les a appelées le cardinal Müller).

C’est pourquoi je pense qu’il est absurde de commenter sa dernière série de stronzate prononcée lors de l’émission « Amen. Francisco risponde » aux studios Disney. Il dira les mêmes choses, comme il l’a fait dans son homélie de la messe chrismale du jeudi saint dernier, et il continuera à le faire jusqu’à ce qu’il meure en répétant son répertoire limité. Peu après le début de son pontificat, nous nous sommes demandé sur ce blog ce que Bergoglio ferait lorsqu’il serait à court de munitions de « bergoglemas » et d’idées ringardes de faible intensité théologique. Nous le savons maintenant : il les répète encore et encore, ad nauseam.

Les journalistes, peut-être à cause du complexe du progrès qui les accompagne toujours, ou à cause d’une stupidité chronique, ou par instinct gréégaire, ont toujours tendance à se délecter en racontant ces épisodes dans lesquels une personnalité de haut niveau, et s’il s’agit de la royauté encore mieux, « rompt le protocole ». Ils adorent que le roi d’Angleterre ou le président argentin « rompe le protocole », qu’il montre son indépendance par rapport aux règles et aux cérémonies reçues par la tradition, qu’il se rende « proche » du peuple. Avec le pape François, ils en ont eu assez pour faire de la dulce de leche qui, avec une telle quantité de sucre, est déjà immangeable.

Si celui qui doit se conformer à un certain protocole l’enfreint toujours, le protocole cesse d’exister. Et ce qu’il fait finit par être des singeries ou des excentricités qui n’intéressent personne. Et l’une des premières occasions où le pape François a enfreint les règles a été lorsque, à peine élu, il a célébré la messe du Jeudi saint In Cœna Domini en 2013, dans une prison, et a lavé les pieds de douze prisonniers. Et les années suivantes, il a fait de même, recueillant une collection très riche et diverse de pieds lavés et baisés : d’hommes et de femmes ; de chrétiens et de musulmans.

Au-delà de la violence liturgique de cet événement, qui est tout à fait évidente, il y a une signification plus profonde qui mérite d’être explorée.

La cérémonie du lavement des pieds est devenue, pour le public laïc et les catholiques peu éduqués, la partie la plus importante de la messe in coena Domini. Loin derrière la procession avec le Saint-Sacrement au Monument, le dépouillement de l’autel ou le chant du Gloria avec les cloches en l’air. Et ce, depuis des décennies.

Et Bergoglio, connaissant le caractère stellaire du geste, a pris soin, depuis son pontificat à Buenos Aires, d’en faire la vedette du spectacle avec un zèle particulier.

Mais le fait est que le lavement des pieds ou mandatum dans le rite romain, jusqu’à la réforme de la Semaine Sainte de 1955, se faisait après la fin de la messe, et à l’extérieur de l’église. Ainsi, la messe n’était pas interrompue, les laïcs n’étaient pas obligés d’entrer dans le chœur pendant les offices, et la succession chronologique décrite dans les Évangiles était respectée. En d’autres termes, il s’agissait d’un rite « supplémentaire » et probablement peu fréquenté. En lui donnant la place centrale qu’elle occupe dans le rite de Paul VI et en lui donnant le caractère spectaculaire que François, et tant d’autres prêtres qui l’imitent, lui donnent, il y a un (autre) net « tournant anthropologique » dans la liturgie, qui devient une simple célébration communautaire dédiée à la célébration de l’homme.

La Semaine Sainte nous fournit plusieurs exemples de ce type. Le chemin de croix du Colisée, qui, pour le catholique moyen, a plus d’importance que la célébration liturgique de la Passion du Seigneur, est l’occasion pour les derniers papes d’étaler leurs fantasmes. Celle qui a été célébrée le vendredi saint dernier avait pour thème les guerres et les persécutés dans le monde. Personne ne doute de l’importance de ces drames qui frappent l’humanité depuis toujours, mais le problème est que cette situation déplace totalement le vrai drame de la Passion : un Dieu fait homme qui meurt sur la croix pour libérer l’homme de la condamnation et lui ouvrir ainsi les portes du ciel.

Le fait central de notre foi finit alors par devenir une sorte de parabole ou d’histoire dans laquelle se reflètent les problèmes du temps présent. [Une curiosité : le pape François n’est pas venu parce qu’il faisait très froid. À Rome, il faisait 12 degrés au moment du chemin de croix. Apparemment, ce n’était pas très froid].

Malheureusement, la Semaine Sainte et ses cérémonies ne sont devenues, dans la nouvelle liturgie, que de bonnes occasions de célébrer l’homme.

Du drame cosmique – le Dieu créateur et vivifiant se laisse tuer et repose dans un tombeau – qui étonne « les êtres qui habitent sur la terre et sous la terre », personne ne dit rien. Du triomphe de la Résurrection – l’Homme-Dieu qui, par sa mort, écrase la mort et donne la vie à ceux qui habitent les tombeaux – encore moins : il serait malvenu de faire preuve d’une telle naïveté ; la résurrection du Christ était symbolique, enseigne-t-on dans de nombreuses universités catholiques.

Mais comme nous le dit la liturgie de ces jours-ci :

« Maintenant, courage et confiance, peuple de Dieu, car il combattra nos ennemis, car il est tout-puissant ».

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