The Wanderer avait plus ou moins dit qu’il ne parlerait pas du pathétique show du pape sur la chaîne Disney+. Mais il triche un peu et il laisse le travail à une (très talentueuse) plume récurrente de son blog, qui signe « Ludovicus ». C’est souvent très drôle, et même carrément cruel (mais après tout, François ne l’a pas volé), jusqu’à l’illustration choisie qui rappelle le montage-photo du pape en doudoune blanche – qui a fait le tour du web et que beaucoup ont cru « vrai » -, mais c’est aussi très triste, quand on pense au niveau auquel le vicaire du Christ croit devoir descendre pour annoncer (du moins le croit-il) l’évangile aux « lointains ».

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Le syndrome du vieux cool

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Il est bien connu que la captatio benevolentiae [recherche de la bienveillance], transformée en captivitas obsequentiae [servitude de la complaisance/du laxisme?], est la marque de fabrique de la compagnie jésuite. Le récent entretien de Bergoglio avec un groupe de jeunes gens ordinaires et normaux (une ancienne religieuse lesbienne, une femme gender-fluid, une catéchiste avorteuse, une pornographe ou prostituée numérique, entre autres) ne peut que susciter un sentiment de gêne et de honte, porté à son paroxysme lorsqu’à la fin de la conversation, remplie de louanges de la plupart des jeunes sur l’avortement, la masturbation, la pornographie, l’homosexualité, etc., Bergoglio termine en disant qu’il a beaucoup appris des jeunes et que l’important est la fraternité, parce que les idées peuvent être discutées.

Comme Perón, il est doué pour les salutations et pour les mots d’esprit puérils ; à une fille qui lui donne deux baisers, il dit que c’est 50 pesos. A celui qui l’accueille par « Comment ça va », il répond « Comme tu peux ». Encore de la captatio benevolentiae. Perón était un virtuose de ces techniques. Lorsqu’une visiteuse arrivait vêtue d’un manteau, il l’aidait avec sollicitude à l’enlever en lui disant que dans l’éternelle lutte entre l’homme et le manteau, il était toujours du côté de l’homme.

Bergoglio est vieux. Ce qui ne devrait pas être un démérite prend les traits d’un complexe pathétique quand il dit lui-même qu’il est démodé et anachronique, qu’il n’a pas de téléphone portable, qu’il ne sait pas ce qu’est Tinder, que ce sont ses secrétaires qui gèrent son compte Twitter ; tout en essayant désespérément de se donner bonne figure en disant que Tinder lui semble normal, et en faisant semblant de parler à des jeunes tout en ignorant leur culture et en évitant soigneusement tout jugement moral catégorique sur les aberrations qu’ils décrivent et qu’ils applaudissent.

A un moment, une jeune catéchumène, seule catholique du groupe, doit prendre la défense de la morale chrétienne face à l’impuissance dans laquelle le Pape l’a laissée. Ce n’est pas un coup d’éclat intempestif et agressif, qui doit plus à son caractère et même à son ignorance qu’à la vérité, qui le sauvera, comme lorsqu’il compare l’avortement à un meurtre par assassinat ou affirme que son propre ADN se constitue un mois après la conception. Paresse intellectuelle, toujours, qu’y a-t-il à découvrir, si à la place de [Jérôme] Lejeune nous avons Paglia.

Et toutes ces condamnations du moralisme pour finir par se consacrer exclusivement aux questions (im)morales : pas un mot sur la destinée éternelle de l’homme, sur la nature de Dieu, ou son Incarnation ou sa Sainte Mère, ou sur le kérygme. Ni sur la grâce ou le péché. A quoi bon, s’il n’y a pas de quoi manger. Et les « jeunes » veulent manger, oui, ils veulent du cannibalisme institutionnel [cf. Le cannibalisme « institutionnel » de François].

Par moments, Bergoglio perd le contrôle de la réunion, simplement parce que la résignation ne suffit pas, parce que la précarité intellectuelle du personnage, son horreur des distinctions, son incapacité à déplaire, font des ravages. Ici, le cannibalisme institutionnel ne suffit pas, il ne suffit pas de traiter d’ « infiltrés » les prêtres qui, sur la base de l’Évangile, tiennent des « discours de haine », comme le lui dit la fille lesbienne, inventant des épouvantails.

Le mépris de la part des jeunes imprègne la rencontre, malgré les coupes et les montages qui tentent de le dissimuler. Un interlocuteur commence à le tutoyer, une autre lui tend le foulard vert de la campagne pour l’avortement qu’il prend, et remercie, un autre s’oppose à son approche juridique des abus. Un autre encore le met au défi de penser à une femme assise à sa place. Cela nous rappelle l’intervention de Sartre au mois de mai français [en 68], quand, s’adressant à une assemblée d’étudiants, le président, avec dédain, lui dit: « Sartre, soyez clair, soyez bref ; la jeunesse n’a pas le temps ».

La familiarité engendre le mépris, encore quelques rencontres et ils pourraient finir par jouer au poker ou boire quelques bières. Il fut un temps où le pape était appelé le Saint des Saints, un temps où il ne quittait pas sa demeure sans porter le Saint des Saints lui-même sur sa poitrine. Ici, les dialogues sont agrémentés de scènes de chambres à coucher lesbiennes. Disney ne rate pas son coup.

C’est le syndrome du vieil homme cool, c’est-à-dire du progressiste vieillissant qui cherche désespérément une monnaie précieuse qui, hélas, lui échappe plus vite que la vie. Il essaie de séduire les jeunes par la flatterie et la démagogie, en se montrant « avancé », permissif et adapté au temps présent – qui, une fois de plus, n’est pas le sien -. C’est la manière habituelle dont les politiciens médiocres et les maîtres sophistes depuis Platon, avides d’une attention achetée par la permissivité, couronnent leur carrière. En général, cela ne se passe pas bien.

Un sentiment de vide et de malaise subsiste. Tout au long de son intervention, qui a duré près d’une heure et demie, le Vicaire du Christ n’a pratiquement pas invoqué le nom du Christ. En fait, il n’a pas parlé de Lui du tout. Il s’est engagé dans le type d’apologétique au rabais que nous avons décrit dans ce blog… Le christianisme a été réduit à l’insignifiance, remplacé par une vague fraternité de monstres modernes pleins de contradictions irréductibles, confirmés dans leurs vices et leurs habitudes par le silence ou la confusion. L’Église est universelle, parce qu’elle inclut tout le monde, les bons, les mauvais, les athées, les transsexuels, les gender fluid, les musulmans, les athées, etc., tout comme le Congrès de la nouvelle de Borges englobait tout l’Univers. Même le Diable, je pense, devrait être convoqué, et même les grands singes, car « nous sommes tous des enfants de Dieu, tous ».

« La vie est belle », conclut-il, en proposant comme modèle à l’Église la cohabitation douteuse qu’ils ont mise en scène. Pour faire un tel voyage, pas besoin de tant de sacoches et de tant de soutanes blanches : un gourou du développement personnel suffirait. Ce serait moins cher.

Le sel a définitivement perdu son goût.

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