J’ai évoqué hier dans ces pages la réouverture, bien opportune pour certains, de ce cold case vatican, avec l’intervention du promoteur de justice du Vatican, les déclarations du frère de la disparue et surtout l’incroyable titre d’un quotidien italien qui, se basant sur le témoignage d’un criminel repenti, insinuait des horreurs sur le pape canonisé (cf. Affaire Orlandi: qui veut la peau de Jean Paul II?) Nico Spuntoni [qui connaît l’affaire à fond, et en tout cas infiniment mieux que moi] fait le point.

L’Affaire Orlandi, un prétexte pour frapper Jean-Paul II

Nico Spunoni
13 avril 2023
lanuovabq.it/it/caso-orlandi-un-pretesto-per-colpire-san-giovanni-paolo-ii

Le talk-show de La7, DiMartedì, a proposé à nouveau des témoignages déjà discrédités accusant Saint Jean-Paul II des pires méfaits liés à la disparition d’Emanuela Orlandi. Le frère d’Emanuela, Pietro Orlandi, fait lui aussi circuler des rumeurs aussi calomnieuses que dénuées de fiabilité sur le pape polonais. Le silence du Vatican est lui aussi pesant.

Dans la Rome de nos grands-parents, se transmettait à tour de rôle sur chaque pontife une légende urbaine. Assaisonnée de quelques détails différents selon le protagoniste, l’histoire était plus ou moins toujours la suivante : le soir, le pape quittait le Vatican ou Castel Gandolfo en civil et allait s’enivrer dans les tavernes des Castelli Romani.

L’autre soir, dans l’émission DiMartedì, ces racontars populaires ont été reproposés sur un ton nettement moins bon enfant, évoquant des rumeurs provenant de prétendus cercles du Vatican selon lesquelles « Wojtyla sortait parfois le soir avec deux monseigneurs polonais et n’allait certainement pas bénir des maisons ».

Ces insinuations sont extrêmement graves, surtout parce qu’elles sont liées à une révélation fictive sur la disparition d’Emanuela Orlandi faite par un homme proche de la Banda della Magliana [bande criminelle active à Rome de 1977 à 1992] et contenue dans une émission audio diffusée peu de temps auparavant.

La source, sur le ton péremptoire de celui qui veut donner l’impression qu’il sait de quoi il parle, et qui est désormais la marque de fabrique de la pléthore d’ « ex-membres » autoproclamés du gang rendu célèbre par « Romanzo Criminale » [roman, puis film éponyme sur la Banda della Magliana] , y était allé fort face au journaliste Alessandro Ambrosini qui l’enregistrait, allant jusqu’à parler d’un meurtre commandité à Enrico De Pedis [l’un des membres de la Banda, sa sépulture dans une basilique romaine a nourri bien des fantasmes, voir plus bas] par le secrétaire d’État de l’époque par l’intermédiaire de deux aumôniers de prison. Non content de cela, l’homme avait visé plus haut, allant jusqu’à affirmer que cela servirait à couvrir les méfaits de Jean-Paul II.

L’accusateur de Wojtyla, tout en admettant son affiliation à la Banda della Magliana, ne peut être considéré comme un mafieux puisque la Cour de cassation a abandonné l’accusation d’association mafieuse pour le syndicat criminel du Capitole, mais il ne fait aucun doute que voir une chaîne de télévision nationale mettre en avant, sans sourciller, l’histoire insensée d’un saint pédophile représente une humiliation pour les croyants.

L’enregistrement revient dans l’actualité parce qu’il fait partie des éléments en sa possession que Pietro Orlandi, frère de l’adolescente disparue en 1983, aurait remis au promoteur de justice Alessandro Diddi lors de leur rencontre mardi au Vatican.

La douleur d’un membre de la famille qui n’a pas vu sa sœur depuis 40 ans mérite le respect, mais les rumeurs allusives sur Jean-Paul II rapportées et explicitées à la télévision par Pietro Orlandi ne peuvent qu’être rejetées comme une insulte à la sensibilité des croyants du monde entier et à l’intelligence, compte tenu de l’absurdité évidente de la reconstitution.

La recherche de la vérité, surtout 40 ans plus tard et avec le flot interminable de fausses pistes, de mystifications, et de lynchages politiques qu’il y a eu dans cette affaire, devrait conduire à une évaluation minutieuse des pistes à privilégier. On ne peut pas lancer n’importe quelle « rumeur » devant des millions de personnes, a fortiori si elle contient des accusations aussi graves et infondées sur une personnalité comme Jean-Paul II. Plus grave encore, DiMartedì n’a pas abordé la question de l’opportunité de diffuser cet enregistrement dont le contenu, on le voit bien, est dénué de toute réalité.

Et que fait le Saint-Siège ? Jusqu’à présent, aucune position n’a été prise pour défendre le saint polonais, bien que les paroles diffusées sur La7 aient fait le tour des médias, provoquant même des commentaires attristés parmi ceux qui – à juste titre – sympathisent avec la cause de la recherche de la vérité dans l’affaire Orlandi.

(…)

De même que rien n’a été dit pour défendre la mémoire du cardinal Agostino Casaroli, le secrétaire d’État qui, selon la source du journaliste Ambrosini, a été l’instigateur des meurtres. Un cardinal d’ailleurs très estimé par l’actuel pontife, qui aime aussi rappeler son habitude d’aider les jeunes détenus de la prison de Casal del Marmo. Expérience humanitaire à partir de laquelle l’homme proche de la Banda della Magliana a commencé à construire ses fake news.

La seule voix provenant de l’intérieur de l’Etat de la Cité du Vatican qui s’est fait entendre ces derniers jours – avant l’épisode de DiMartedì – est celle du promoteur de la justice, Alessandro Diddi, qui a rouvert l’enquête sur l’adolescent qui vivait au-delà du Vatican mais qui a disparu sur le sol italien. Alessandro Diddi a déclaré au Corriere della Sera qu’il avait été chargé par le pape lui-même de s’occuper de l’affaire. Dans l’interview, le promoteur a minimisé le rôle de la Banda della Magliana dans l’affaire Orlandi, ajoutant « bien qu’il y ait des preuves ». Cependant, à ce jour, il n’existe aucune preuve connue d’un lien entre les actions du groupe criminel romain et la disparition d’Emanuela.

Au contraire, toutes les suppositions qui ont circulé – à commencer par la fameuse tombe dans laquelle Enrico De Pedis a été enterré à l’intérieur de la basilique de Sant’Apollinare et qui a été mentionnée pour la première fois en 1997 dans une question parlementaire du membre de la Lega Nord Mario Borghezio, puis reliée à la disparition de 1983 dans un appel téléphonique anonyme à l’émission « Chi l’ha visto » en 2005 – n’ont abouti à rien.

Puisqu’il n’existe aucune preuve connue du rôle de la Banda della Magliana dans la disparition d’Emanuela Orlandi, comment accorder de la crédibilité et de l’espace aux ragots d’une source – déjà considérée à l’époque de la première enquête comme un protagoniste mineur – qui n’hésite pas à parler d’un pape pédophile et d’un cardinal meurtrier ?

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