J’ai amplement traité de cette affaire dans ces pages (et ce n’est sans doute pas fini) parce qu’elle me semble d’une gravité inouïe, en plus d’être représentative de la crise (le mot est faible) que traverse l’Eglise sous la direction d’un pape qui ramène tout à sa personne. Le plus choquant reste évidemment le silence de François, mais le fait qu’en France, elle est passée entièrement en dessous des radars, y compris des blogs et autres réseaux sociaux, est à sa manière aussi significative. La « fille aînée de l’Eglise » interpelée avec passion par le pape polonais lors de sa visite de 1995 pour célébrer le 1500e anniversaire de la mort de Clovis, se désintéresse totalement de son sort – un vieux réflexe gallicaniste?
Quoi qu’il en soit, le Saint-Siège sort enfin de son silence « assourdissant » par la plume d’Andrea Tornielli, aujourd’hui directeur du dicastère de la Communication, qui redevient ici (mais en service commandé?) le bon journaliste que nous avons connu sous Benoît XVI.
Toutefois, le Saint-Siège, ce n’est pas le Pape, spécialement CE pape. S’il ne s’exprime pas en personne avant demain (et l’Angelus) il aura, volontairement, raté une grande occasion.

Jean Paul II et la famille Orlandi

Le très ferme article d’Andrea Tornielli en une de l’Osservatore Romano d’hier

Andrea Tornielli
www.osservatoreromano.va
14 avril 2023

Imaginez ce qui se serait passé si quelqu’un était passé à la télévision et avait affirmé, sur la base de « ouï-dire » provenant d’une source anonyme et sans l’ombre d’une preuve ou même d’un témoignage de troisième main, que votre père ou votre grand-père sortait la nuit et se livrait, avec quelques « camarades de jeu », à des attouchements sur des jeunes filles mineures. Et imaginez ce qui se serait passé si votre parent, aujourd’hui décédé, était universellement connu et respecté de tous en raison d’un rôle important qu’il ou elle a joué. N’aurions-nous pas lu des commentaires et des éditoriaux indignés par la manière inqualifiable dont la bonne réputation de ce grand homme, aimé par tant de gens, a été blessée ?

C’est malheureusement ce qui s’est passé avec saint Jean-Paul II, pontife de l’Église catholique du 16 octobre 1978 au 2 avril 2005. L’accusation a été portée par Pietro Orlandi, frère d’Emanuela, la jeune fille disparue dans le centre de Rome un après-midi de juin 1983. Pietro, en présence de son avocate Laura Sgrò, qui acquiesçait, a raconté au cours de l’émission Di martedì animée sur La7 en prime time par Giovanni Floris, que le pape Wojtyła avait l’habitude de sortir la nuit en compagnie de quelques monseigneurs pour chercher des jeunes filles. Le tout a été présenté comme une indiscrétion crédible, accompagnée de quelques sourires en coin, comme s’il s’agissait d’un secret de polichinelle.

Des preuves ? Aucune. Des indices ? Encore moins. Des preuves de deuxième ou troisième main au moins ? Pas l’ombre d’une. Seulement des accusations calomnieuses anonymes. Des paroles que Pietro Orlandi a accompagnées de l’audio attribué à un membre autoproclamé de la Banda della Magliana qui affirme – également sans preuves, indices, témoignages, preuves ou circonstances – que Jean-Paul II « les a emmenées ensemble au Vatican », c’est-à-dire Emanuela et d’autres filles : pour mettre fin à ces « bêtises », le secrétaire d’État de l’époque se serait tourné vers la criminalité organisée pour résoudre le problème.

C’est de la folie. Et nous ne disons pas cela parce que Karol Wojtyła est un saint ou parce qu’il a été pape. Même si ce massacre médiatique attriste et consterne, blessant le cœur de millions de croyants et de non-croyants, la diffamation doit être dénoncée car il est indigne d’un pays civilisé de traiter ainsi une personne, vivante ou morte, clerc ou laïc, pape, ouvrier métallurgiste ou jeune chômeur. Il est juste que chacun réponde de ses crimes, s’il en a commis, sans impunité ni privilèges. C’est une nécessité sacrée qu’il y ait une enquête complète pour rechercher la vérité sur la disparition d’Emanuela. Mais personne ne mérite d’être calomnié de la sorte, sans même une once de preuve, sur la base des « rumeurs » d’un inconnu du monde criminel ou d’un commentaire anonyme sordide diffusé en direct à la télévision.

Andrea Tornielli

Le commentaire de Luis Badilla sur le site « paravatican » Il Sismografo

Bravo à Andrea Tornielli pour sa note d’aujourd’hui que nous avons lue dans L’Osservatore Romano, et que nous avons bien sûr immédiatement relancée en raison de son importance plus que significative. Mais elle arrive un peu tard, et de beaucoup. Elle vient après la note, hier, de l’archevêque émérite de Cracovie, le cardinal Stanisław Dziwisz, qui a pris à juste titre – comme il l’a toujours fait – la défense du pape Wojtyla. Toute cette affaire, qui salit la mémoire de Jean-Paul II, a commencé il y a quinze jours sur la chaîne de télévision La7 et non pas mardi 11 dernier, comme on le dit. Le Vatican, les cardinaux, les préfets, les associations paravaticanes qui portent le nom du pape polonais, le pape François lui-même, se sont tus depuis quinze jours au moins.

Et pourquoi ? Parce qu’ils ont laissé le célèbre juriste Alessandro Diddi [le promoteur de justice], que la presse italienne et mondiale a utilisé comme source, dire que l’ouverture du procès au Vatican, après 40 ans, sur la disparition d’Emanuela Orlandi était un tournant de transparence et de clarté du pontificat de Bergoglio. C’est avec cette spectacularisation qu’au Vatican, ils se reposent sur leurs lauriers depuis début janvier.
Pendant ce temps, une grande opération médiatique se déroulait pour présenter le pape François comme « le premier à vouloir aller au fond des choses pour connaître toute la vérité ». Les prédécesseurs, Wojtyla et Ratzinger, n’auraient donc jamais voulu cette vérité ?

(…)


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