Le commentaire de Nico Spuntoni: « Sans la réponse claire du cardinal Dziwisz, qui sait si le Vatican aurait réagi aux insinuations lancées en direct à la télévision sur Jean-Paul II? » . Il salue l’éditorial de Tornielli, mais n’en souligne pas moins que « le silence du Vatican laisse pantois ».

Le Saint-Siège réagit tardivement à la boue sur le pape Wojtyla

Nico Spuntoni
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15 avril 2023

Sans la réponse claire du cardinal Dziwisz, qui sait si le Vatican aurait réagi aux insinuations lancées en direct à la télévision sur Jean-Paul II. L’éditorial de Tornielli est précis et ponctuel dans ses arguments, mais le silence du Vatican laisse pantois.

Il aura fallu l’intervention d’un archevêque émérite de 83 ans, résidant en Pologne, pour solliciter une réaction du Saint-Siège aux insinuations gravissimes sur saint Jean-Paul II lancées en direct sur la chaîne nationale dans l’émission Di Martedì par Pietro Orlandi.

Sans le communiqué résolu du cardinal Stanisław Dziwisz, qui a qualifié les accusations du frère de l’adolescente disparue en 1983 d’ « élucubrations » et de « délits », l’éditorial publié hier dans L’Osservatore Romano par le directeur du Dicastère pour la communication, Andrea Tornielli, aurait-il vu le jour ?

Il est légitime de se poser la question, étant donné que la première prise de position officielle du Saint-Siège intervient trois jours après l’émission de la honte, qui a non seulement donné un retentissement national à des ragots de bar infondés sur un homme vénéré comme un saint par les catholiques du monde entier, mais a également diffusé un vieil enregistrement d’un ancien criminel autoproclamé qui a reproposé l’habituel minestrone noir avec la Banda della Magliana et le Vatican pour donner « sa » solution à l’affaire Orlandi : Enrico De Pedis comme exécuteur, les aumôniers de prison comme intermédiaires, le cardinal secrétaire d’État Agostino Casaroli comme instigateur et Jean-Paul II comme responsable moral. Dziwisz a pointé du doigt cet enregistrement et sa diffusion, tonnant dans son communiqué contre « ces insinuations, dont on aimerait croire qu’elles proviennent de cercles insaisissables de la pègre romaine, auxquelles on attribue aujourd’hui un semblant de pseudo-présentabilité ».

L’éditorial de Tornielli est totalement recevable, surtout lorsqu’il stigmatise les comportements observés sur le plateau au moment même où des accusations aussi graves (et surtout sans preuves ni indices) étaient lancées contre un personnage comme Karol Wojtyla, entre sourires allusifs et déclarations affirmatives. La grande affection populaire qui a accompagné la lutte menée depuis quarante ans pour éclaircir ce mystère ne doit pas être confondue avec un bouclier qui permet de lancer n’importe quelle accusation et reconstruction, même si elles manquent de preuves et surtout de rationalité.

La grave attaque contre Jean-Paul II devrait inciter les médias à modifier l’approche adoptée jusqu’à présent dans le traitement médiatique de l’affaire Orlandi : est-il vraiment juste de donner de l’espace – et donc de la crédibilité – aux dizaines et aux dizaines d’indiscrétions présumées qui surgissent chaque année ? Est-il normal de ne pas tenir compte des nombreux trous d’eau dans les pistes présentées cycliquement sur le ton du sensationnel ?

C’est une question que, dans une certaine mesure, la justice vaticane doit aussi se poser. Dans une interview publiée dans le Corriere della Sera quelques heures avant la rencontre avec Pietro Orlandi, le promoteur de justice, Alessandro Diddi, a dit qu’il avait été directement chargé par le Pape d’enquêter sur cette affaire. En sortant de l’entretien le frère de la jeune fille a parlé d’un « jour historique », se félicitant d’avoir été « pour la première fois » interrogé « en profondeur ». Le Bureau de presse du Saint-Siège a indiqué que la rencontre avait été demandée par . Orlandi « afin de faire ses propres déclarations et de fournir toute information en sa possession ».

Et c’est le membre de la famille d’Emanuela lui-même qui a expliqué à la presse, après la rencontre, de quoi il s’agissait : outre les présumées captures d’écran d’un chat qui aurait eu lieu en 2014 (soit 31 ans après la disparition) et dans lequel le cardinal Santos Abril Y Castello et Mgr Lucio Vallejo Balda auraient parlé d’inventaires à préparer et de pilleurs de tombes à payer, il y a la piste londonienne qui repose sur la documentation dévoilée par le journaliste Emanuele Fittipaldi et que le Saint-Siège a déjà qualifiée en 2017 de « fausse et ridicule », pour arriver à l’accusation de « pédophilie ». La prendre en compte dans l’enquête en cours reviendrait donc à reconnaître s’être trompé, et même avoir menti, il y a six ans. Puis l’accusation de pédophilie parmi les hauts prélats avec l’invitation à enquêter « du plus petit au plus grand », ce qui semble avoir été explicité peu après dans les studios de télévision par Giovanni Floris.

Orlandi dit avoir également apporté à Diddi l’audio de l’ancien membre du crime romain plusieurs fois diffusé sur La7 avec les propos sur Wojtyla qui ont mis en colère son secrétaire historique Dziwisz et de nombreux fidèles. Selon les déclarations d’Orlandi, le promoteur de la justice aurait accepté de considérer toutes les pistes qu’il a indiquées dans le cadre de l’entretien, sans en exclure aucune. Le frère d’Emanuela a même affirmé que le promoteur lui avait dit ces mots en référence à leur longue conversation : « tu nous as ouvert de nouveaux mondes avec les choses que tu nous racontes ».

Trois jours après ces déclarations, le Bureau de presse du Saint-Siège n’a toujours pas apporté de démenti ou d’éclaircissement. Tout comme, avant que l’éditorial de Tornielli ne suive la déclaration de Dziwisz, il n’y a pas eu de note pour stigmatiser les allusions à Jean-Paul II. Un silence pesant qui marque un changement par rapport au passé, même récent, quand, face à de nouvelles indiscrétions infondées de la presse qui parlaient de l’implication du Vatican dans la disparition de la jeune fille, le Bureau de presse du Saint-Siège n’avait pas hésité à publier des notes pour les démentir avec indignation : cela s’était produit, on s’en souvient, dans le cas du dossier de Fittipaldi [Emilio Fittipaldi, journaliste de l’Espresso, auteur en 2017 d’un livre à charge « explosif » sur l’affaire Orlandi « Gli impostori »]. En 2008, toujours à propos de l’affaire Orlandi, le Saint-Siège était intervenu sèchement pour rejeter les « accusations calomnieuses sans fondement contre S.E. Mgr Marcinkus, décédé depuis longtemps et incapable de se défendre ». Le traitement réservé à l’époque au prélat américain controversé (du moins par la presse) est loin de ce qu’on a vu cette fois pour un pape canonisé par le Pontife actuel.

Dans les mêmes heures où le silence régnait après les graves accusations portées contre Wojtyla, le Bureau de presse du Saint-Siège envoyait cependant des annonces d’événements organisés par des fondations portant son nom.

Si l’on considère qu’il n’est pas nécessaire de rejeter immédiatement et avec indignation des accusations aussi graves contre un pape qui a régné jusqu’à dix-huit ans auparavant; si l’on considère qu’il n’est pas urgent de confirmer ou non la véracité des déclarations d’Orlandi qui laissaient entendre que le responsable de l’enquête vaticane était également disposé à prendre en considération l’insinuation concernant Jean-Paul II; alors on peut penser que l’ombre de la suspicion sur l’une des figures les plus importantes de l’Église au XXe siècle est tolérable.

Mais s’il était possible que le saint polonais soit impliqué dans les « bêtises » qu’on lui attribue aujourd’hui, alors le Vatican devrait fermer boutique et fermer définitivement ses portes au lieu d’envoyer des communiqués des fondations qui portent son nom.

Ce n’est évidemment pas le cas et c’est pourquoi agir – et pas après trois jours – pour condamner ce que le cardinal Dziwisz a appelé des « accusations criminelles » n’était pas seulement opportun, mais plutôt incontournable.

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