C’est vrai qu’il arrivait à Jean Paul II de sortir incognito du Vatican, et c’est son secrétaire historique Stanislas Dziwisz lui-même qui l’a raconté dans ses mémoires publiés en 2008 « Ma vie avec Karol ». Ce n’était évidemment pas pour se livrer à des activités inavouables, comme cela a été suggéré en marge de l’affaire Orlandi. Un bon point pour John Allen, qui rappelle cette histoire dans un excellent article.
Oui, Jean-Paul II avait l’habitude de quitter le Vatican avec des monseigneurs polonais… et alors ?
John Allen
cruxnow.com
23 avril 2023
Récemment, un orage médiatique a éclaté à Rome quand le frère de la « fille du Vatican », en référence à la disparition en 1983 d’une fille de 15 ans qui est devenue le mystère non résolu le plus célèbre de l’histoire récente du Vatican, est passé à la télévision italienne pour diffuser un enregistrement d’un ancien mafieux prétendant que le pape Jean-Paul II était complice d’un réseau de pédophilie au Vatican qui incluait sa sœur.
Le frère, Pietro Orlandi, a ajouté : « On me dit que Wojtyla avait l’habitude de sortir la nuit avec deux monseigneurs polonais, et ce n’était certainement pas pour bénir des maisons ».
Cette bombe a déclenché une féroce [???] contre-offensive du Vatican, le pape François lui-même qualifiant la suggestion concernant son prédécesseur d’ « offensante et infondée ». Depuis, Orlandi a tenté de revenir sur ses propos, insistant sur le fait qu’il n’accusait pas Jean-Paul II de quoi que ce soit, mais qu’il transmettait simplement un enregistrement audio aux enquêteurs du Vatican.
La crédibilité de l’ancien mafieux, dont le nom est Marcello Neroni, est une question ouverte. Le journaliste italien Giovanni Floris, qui a largement couvert l’affaire Orlandi, a affirmé qu’il ne tiendrait pas compte des affirmations d’un « délinquant » dans une proportion de 10 à 1. Un autre journaliste italien, Alessandro Ambrosini, qui a réalisé l’enregistrement en 2009, a déclaré qu’il est important de se rappeler que de tels criminels essaient souvent de « se rendre plus importants qu’ils ne le sont en réalité ».
Si l’on met de côté l’affaire Orlandi et les accusations de pédophilie, si la question est simplement de savoir si Jean-Paul II a déjà quitté le Vatican en secret en compagnie d’autres membres du clergé polonais, la réponse est un « oui » retentissant.
Pour être clair, le penchant de Jean-Paul II à échapper aux liens rigides du Vatican était déjà connu à l’époque. En 1983 Andrea Purgatori, un journaliste du le Corriere della Sera, le journal le plus respecté d’Italie, a publié un article intitulé: « Employés du Saint-Siège : Wojtyla part tout seul, sans rien dire à personne ».
L’essentiel de l’article était qu’une nuit, une alarme avait été déclenché au Vatican parce que quelqu’un s’était rendu dans les quartiers du pape et avait découvert que Jean-Paul II n’était pas là. Selon le reportage, de telles absences inexpliquées n’étaient pas vraiment inhabituelles, car le pape polonais avait l’habitude de sortir seul.
À vrai dire, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur des informations non sourcées pour savoir que Jean-Paul II avait l’habitude de s’éclipser de temps en temps sans faire de bruit. Cette tendance a été confirmée par le cardinal Stanislaw Dziwisz, archevêque de Cracovie aujourd’hui retiré et secrétaire de Jean-Paul II pendant de longues années, dans ses mémoires de 2008 « Ma vie avec Karol ».
Dans ce livre, Dziwisz révèle qu’au cours des premières années du pontificat de Jean-Paul II, ce dernier a effectué plus de 100 excursions en dehors du Vatican, principalement dans des sites naturels de la région des Abruzzes, au nord de Rome. Comme le dit Dziwisz, « au début, personne au Vatican ou dans la presse n’en savait rien ».
Voici comment Dziwisz a décrit une de ces excursions à Ovindoli, à environ une heure de route du Vatican, en janvier 1981:
La première fois, c’était presque comme une évasion. Depuis longtemps, nous voulions donner au Saint-Père l’occasion non seulement de skier, mais aussi de s’immerger à nouveau dans la vie normale des gens. Finalement, nous avons décidé de tenter le coup. Le lieu choisi, Ovindoli, a été suggéré par le père Tadeusz Rakoczy (aujourd’hui évêque de Bielsko-Żywiec en Pologne), qui connaissait le territoire pour y avoir skié. Mais, par sécurité, lui et le père Jozef Kowalczyk (futur nonce apostolique en Pologne) sont allés inspecter les lieux pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de surprises. … Nous sommes partis vers 9 heures du matin dans la voiture du père Jozef, afin de ne pas attirer l’attention des gardes suisses postés à la sortie de la résidence de Castel Gandolfo. Le père Jozef était le conducteur et le père Tadeusz était assis sur le siège du passager, faisant semblant de lire le journal, qu’il tenait complètement ouvert afin de cacher la vue du Saint-Père, qui était assis à l’arrière, à côté de moi.
Dziwisz a ensuite raconté comment, lors des expéditions suivantes, Jean-Paul II faisait la queue aux remontées mécaniques avec tout le monde, vêtu d’une parka et de lunettes de protection, avec deux monseigneurs de chaque côté de lui pour empêcher les regards indiscrets de se poser. Finalement, raconte Dziwisz, un garçon de dix ans a aperçu Jean-Paul II et s’est mis à crier « C’est le pape ! », après quoi ils ont accepté à contrecœur la nécessité d’une escorte policière.
Quelle est la morale de l’histoire ?
Oui, Pietro Orlandi, Jean-Paul II a parfois quitté le Vatican en compagnie d’un couple de monseigneurs polonais, et ce n’était pas pour bénir des maisons. Mais ce n’était pas non plus pour participer à un réseau de pédophilie… c’était pour profiter de la nature et dévaler les pentes, d’une manière qu’il aurait été difficile à un pape de faire autrement.
Au fur et à mesure que l’enquête Orlandi progresse, il ne fait aucun doute que d’autres suggestions sensationnelles seront faites par quelqu’un. Elles recevront un large écho médiatique, car l’affaire Orlandi est à l’Italie ce que l’assassinat de Kennedy est aux États-Unis, c’est-à-dire un mystère dont la capacité à générer des théories de la conspiration et des spéculations semble infinie.
Il serait donc probablement judicieux de garder cet épisode à l’esprit comme une mise en garde contre les dérives avant d’avoir tous les éléments en main.
Mots Clés : JP II sous attaque