Qu’on est loin de Benoît XVI! Lors de la rencontre désormais traditionnelle avec les jésuites « locaux » à l’issue de son voyage en Hongrie, le pape est revenu lourdement sur son dada, décrit par un néologisme barbare, l’ « indietrisme », pour dénoncer ceux qui refusent (selon lui) de s’adapter à une prétendue évolution de la doctrine. Et il a fait appel, ce n’est pas la première fois, à un moine du Ve siècle, saint Vincent de Lérins, pour justifier la trahison des intentions de Benoît XVI que constitue le motu proprio ‘Traditionis Custodes‘. Commentaire du Wanderer

Le pape François commente les Pères de l’Église

The Wanderer

Les « émanations pontificales », comme les appelle Specola, sont de plus en plus fréquentes et inquiétantes. (…)

A Budapest, lors de sa rencontre avec ses confrères jésuites, il a repris son argumentaire bien rôdé sur les dangers de l‘indiétrisme et, pour l’illustrer, il s’est appuyé sur un texte de saint Vincent de Lérins. Et je voudrais m’y arrêter.

Le Saint-Père a dit : « Il y a un restaurationnisme incroyable »:

Il y a un restaurationnisme incroyable. Ce que j’appelle en italien « indietrismo« , comme le dit la Lettre aux Hébreux 10,39 : « Nous ne sommes pas de ceux qui reviennent en arrière ».

Le flux de l’histoire et de la grâce va du bas vers le haut, comme la sève d’un arbre qui porte des fruits. Sans ce flux, nous sommes une momie. Le retour en arrière ne préserve pas la vie, jamais. Nous devons changer, comme l’écrit saint Vincent de Lérins, lorsqu’il affirme dans Commonitórium primum que le dogme de la religion chrétienne progresse également, se consolidant avec les années, se développant avec le temps, s’approfondissant avec l’âge.

Mais il s’agit d’un changement du bas vers le haut. Le danger aujourd’hui est l’indietrisme, la réaction contre la modernité. C’est une maladie nostalgique. C’est pourquoi j’ai décidé que la concession de la célébration selon le Missel romain de 1962 serait désormais obligatoire pour tous les prêtres nouvellement consacrés. Après toutes les consultations nécessaires, je l’ai fait parce que je voyais que cette mesure pastorale, bien faite par Jean-Paul II et Benoît XVI, était utilisée de manière idéologique, pour revenir en arrière. Il fallait arrêter cet indietrisme, qui ne faisait pas partie de la vision pastorale de mes prédécesseurs.

Qu’elles sont loin les sages catéchèses hebdomadaires sur les Pères de l’Église avec lesquelles Benoît XVI nous enseignait ! Bergoglio, lui, utilise les Pères pour dérouter, ou pour mentir. Il a recours à saint Vincent de Lérins, moine du Ve siècle, dont la théologie, proche du semi-pélagianisme, l’oppose à saint Augustin. Dans le Commonitorium, il écrit

Il est donc nécessaire que, avec le progrès des temps, l’intelligence, la science et la sagesse, tant des individus que de tous, tant d’une seule Église que de toute l’Église, s’accroissent et progressent autant que possible. Mais le type de doctrine, la doctrine elle-même, son sens et son contenu doivent toujours rester les mêmes. La religion des âmes suit la même loi que celle qui régit la vie des corps. Car ceux-ci, bien qu’ils grandissent et se développent au fil des années, restent les mêmes qu’auparavant. Il y a certes beaucoup de différence entre la fleur de la jeunesse et la moisson de la vieillesse, mais ce sont les mêmes adolescents qui vieillissent. L’âge et la condition changent, mais l’individu reste le même. La même nature, la même personne demeure.

Saint Vincent explique brièvement la doctrine du développement du dogme, qui a été expliquée de manière beaucoup plus détaillée par Saint John Henry Newman, et que l’Eglise a toujours pratiquée. Les vérités de foi, reçues dans la Révélation, s’ approfondissent au cours de l’histoire. Le concile de Nicée, par exemple, a approfondi les relations intratrinitaires, le concile d’Éphèse la personne et la nature du Verbe, et Pie IX a approfondi la conception immaculée de la Mère de Dieu. Et il ne s’agit pas d’Églises différentes, comme certains esprits distraits pourraient le supposer, bien que pendant de nombreux siècles, par exemple, certains aient pu nier l’immaculée conception de Marie. Tout simplement, l’Église a développé au fil des siècles une vérité qui était in nuce dans l’Apocalypse. Comme le dit saint Vincent, c’est toujours le même homme, mais il a grandi et n’est plus reconnaissable comme l’adolescent d’autrefois.

Mais il semble que le pape François entende appliquer ce principe de manière brute, sans la subtilité théologique essentielle et fondamentale qui s’impose.

La première subtilité que je signale est, comme l’explique clairement Newman et comme le précise saint Vincent, que le développement doit être organique et, par conséquent, que ce qui est nouveau ne doit jamais impliquer la négation de ce qui a été enseigné précédemment par l’Église. N’importe qui peut parcourir les définitions faites par les conciles et les papes et constater que les vérités « nouvelles » ne nient pas ce qui était cru auparavant ; elles l’approfondissent simplement. L’Église n’a jamais enseigné que la Vierge était née avec le péché originel ; elle n’a pas statué sur ce sujet, et il y a eu plusieurs écoles de pensée à ce sujet. À un certain moment, elle a proclamé qu’elle était née sans tache de péché.

Pour le pape Bergoglio, en revanche, les choses ne sont pas ainsi, et une nouvelle « vérité » peut remplacer une ancienne, même si elle la nie.

  • L’Église a toujours enseigné positivement que les personnes qui vivent ensemble more uxorio avec quelqu’un qui n’est pas leur conjoint ne peuvent pas recevoir l’Eucharistie ; lui, en vertu du principe vincentien, affirme qu’elles le peuvent.
  • L’Église a toujours enseigné que les relations homosexuelles sont contraires à la nature et constituent un péché grave ; lui considère que de telles unions peuvent même être bénies.

« Sainteté, ne voyez-vous pas la contradiction ? », pourrions-nous lui demander. Et il répondrait en citant, et en déformant, saint Vincent de Lérins : « De même que l’adolescence signifie la négation de l’enfance, et la vie adulte la négation de la jeunesse, de même les nouvelles vérités enseignées par l’Église signifient la négation de l’ancienne ».

Pour Bergoglio, le développement du dogme n’est pas organique, mais se fait au gré du hiérarque du moment.

Dans son dialogue avec les jésuites hongrois, François applique ce principe à la liturgie et manipule la mémoire de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Pour lui, célébrer la messe traditionnelle signifie une régression, une opposition ou une réaction à l’inéluctabilité du changement qui implique la croissance propre à tout ce qui est naturel. C’est le jeune qui résiste au passage à l’âge adulte, un dérangé qui regarde toujours en arrière et n’accepte pas le changement qui est toujours et nécessairement bon, comme il se produit dans tout être vivant. Jamais l’adjectif progressiste n’a été aussi bien appliqué qu’au Pape : l’Église, tout comme l’histoire, progresse nécessairement vers des étapes de dépassement qui impliquent souvent la négation des précédentes. Comme pour tout jésuite, le principe de non-contradiction est souple et le discernement toujours possible. La seule certitude et le seul absolu, c’est le progrès vers le Point Oméga. Teilhard de Chardin se sentirait à l’aise dans ce pontificat.

Le pape Ratzinger a écrit dans la lettre aux évêques accompagnant son motu proprio Summorum Pontificum :

Il n’y a pas de contradiction entre les deux éditions du Missale Romanum. Dans l’histoire de la liturgie, il y a croissance et progrès, mais pas de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste sacré et grand pour nous aussi, et ne peut pas être soudainement totalement interdit ou même nuisible. Il est bon pour nous tous de préserver les richesses qui ont grandi dans la foi et la prière de l’Église et de leur donner la place qui leur revient.

Il y a seize ans, la clarté du regretté Benoît XVI a mis en échec les affirmations infondées de François, qui n’hésite pas à tordre l’enseignement des Pères et des Docteurs pour justifier ses discernements et confondre le peuple saint de Dieu. « Ces gens sont des sources sans eau, des brumes poussées par la tempête, à qui sont réservées les ténèbres les plus épaisses » (II P. 2,17). (II Pet. 2,17).

Share This