Tandis que le président de la première puissance mondiale confond Gaza et l’Ukraine, Helmut Kohl et Olaf Scholz, Mitterrand et Hollande, et cherche à s’asseoir en public sur une chaise qui n’existe pas, le chef de l’Eglise catholique mélange les hommes et les dates, anticipe la pourpre pour Parolin dont il fait le principal protagoniste (et la première victime) du scandale dit « Vatileaks I »… en 2012, Benoît XVI régnant (cela laisse mal augurer de la fiabilité du reste). Le tout, et c’est le plus gros scandale, avec l’approbation obséquieuse du journaliste qui l’interview sans piper mot. C’est l’une des énormités, relevée par Nico Spuntoni, du livre-entretien « El Succesor » qui vient de sortir en Italie.

Le livre du Pape traduit en italien, avec beaucoup de ratés
Nico Spuntoni
La NBQ
18 juin 2024
Un trou de mémoire flagrant, compréhensible chez le vieux pontife, beaucoup moins chez son interviewer, vaticaniste de profession. Effets pervers d’une communication confiée à des interviews en continu.
Nous avions déjà évoqué les nombreuses inexactitudes contenues dans le livre-entretien Le Successeur du journaliste espagnol Javier Martinez-Brocal avec François. Dans les anticipations apparues à l’occasion de la sortie de l’édition espagnole, on pouvait voir une reconstitution assez farfelue du conclave de 2005, montrant même le pape argentin encore manifestement convaincu que les deux tiers des voix des électeurs étaient nécessaires pour l’élection de son prédécesseur, alors qu’au contraire, dans Universi Dominici gregis, Jean-Paul II avait aboli cette norme en optant pour une majorité absolue après 34 tours de scrutin.
À l’occasion de la sortie de l’édition italienne, La Repubblica a publié un nouvel extrait qui met en évidence le manque de fiabilité de ce que l’on peut lire dans le livre. Le pape se souvient de sa première rencontre avec Benoît XVI après son élection en 2013 et s’attarde sur le moment où, à Castel Gandolfo, on lui remet les actes de l’enquête sur le premier Vatileaks menée par les cardinaux Julian Herranz, Jozef Tomko et Salvatore De Giorgi.
Martinez-Brocal, vaticaniste de profession pour le quotidien ABC et la chaîne de télévision La Sexta, qui n’a donc qu’un vague souvenir du scandale le plus médiatique de ces dernières années au sein du Saint-Siège, rapporte sans sourciller une bourde papale flagrante. Le journaliste espagnol, se référant à la première affaire Vatileaks impliquant Paolo Gabriele en 2012, demande au pape :
« J’ai l’impression que le scandale Vatileaks comprenait deux affaires : d’une part, le majordome qui, après avoir volé des documents confidentiels, les a divulgués à la presse, et d’autre part, les ‘dysfonctionnements’ de la Curie. Un jour, pourrons-nous savoir comment cela s’est vraiment passé ? ».
Bergoglio répond:
« Une véritable clique était impliquée. Il y avait ceux qui manœuvraient, ceux qui trichaient… Parmi les victimes, il y a eu aussi le cardinal Pietro Parolin, dont on voulait empêcher la nomination au poste de secrétaire d’État ».
La réponse montre clairement que le pape, au cours de la conversation, s’est fourvoyé, mais le journaliste non seulement ne le lui fait pas remarquer en tête-à-tête, mais dans la phase de révision, il semble avoir pris cette reconstruction pour acquise et l’a présentée telle quelle dans le livre.
En fait, la première affaire Vatileaks dont il est question dans le dialogue, et qui a conduit à l’enquête sur les trois cardinaux, a éclaté en mai 2012, alors que Benoît XVI régnait encore. À l’époque, Pietro Parolin, désigné ici comme la victime de cette conspiration, n’était pas encore cardinal, mais seulement nonce apostolique au Venezuela. Aucune nomination du prélat vénitien à la tête de la Secrétairerie d’État, qui restait alors entre les mains du cardinal Tarcisio Bertone, n’était dans l’air. Même dans l’hypothèse d’un remplacement de ce dernier au cours du dernier pontificat, toujours refusé par Benoît XVI malgré les demandes de nombreux membres de la Curie, le nom de Parolin n’avait jamais filtré parmi les successeurs possibles.
L’ex-nonce au Venezuela a été choisi par le nouveau pape en août 2013, bien après les manœuvres des « corbeaux » du Vatican début 2012 et avec un conclave entre les deux.
Il est donc clair qu’il n’y a aucun lien entre les premiers Vatileaks de la question et les prétendues tentatives d’empêcher la nomination de Parolin comme secrétaire d’État de la réponse. Il n’est pas étonnant que François, un homme de 87 ans ayant quelques problèmes de santé, soit confus au sujet de faits et de dates datant de plus d’une décennie.
Mais comment un vaticaniste qui entreprend d’écrire un livre sur les relations entre les deux derniers papes peut-il ne pas remarquer, parmi les nombreuses erreurs du livre, une telle bévue et accepter vraisemblablement d’en faire un extrait pour promouvoir la sortie de l’édition italienne ?
El Succesor fait passer le Pontife régnant pour un « grand-père » – pour citer François à propos de Benoît XVI qui n’avait que neuf ans de plus que lui – et ne fait certainement pas briller l’auteur de l’interview qui a laissé sur les pages ces erreurs d’écolier. Un niveau de négligence qui conduit à s’interroger, une fois de plus, sur l’efficacité des nombreuses interviews accordées par Bergoglio et sur les résultats du manque de filtrage que la communication du Saint-Siège devrait effectuer dans ces cas-là.