Voici une réflexion exceptionnelle d’un prêtre missionnaire au Niger, publiée sur son blog par le philosophe Giorgio Agamben (issu de la gauche, si tant est que l’on puisse le classer politiquement, mais l’intelligence et la perspicacité ignorent ces catégories « mondaines »)
Une fois de plus, le double jeu étrange du Pape nous interroge.
(A noter, la « signature » du missionnaire)
- Voir aussi: Le Pape au G7: un acteur qui joue pour le public
Il y a toujours une première fois
Je publie dans ma rubrique ce texte de Mauro Armanino, missionnaire à Niamey (Niger), une voix d’Eglise avec laquelle je ne peux qu’être entièrement d’accord.
Giorgio Agamben
Giorgio Agamben
www.quodlibet.it/c-u2019-empre-una-prima-volta
15 juin n2024
Ce 14 juin après-midi, le pape François a fait le déplacement à Borgo Egnazia, une station balnéaire des Pouilles, en Italie, pour assister au sommet du G7, qui réunit les 7 principales puissances économiques du monde. Il s’agit d’une première historique puisqu’aucun pape n’avait jusqu’à présent assisté au G7.X
Agence Zenit
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Difficile de dire quelle est la part d’évangile dans cette présence et quelle est la part de la diplomatie vaticane qui, comme on le sait, semble être parmi les plus rodées et les plus clairvoyantes. Ce qui est néanmoins étonnant, c’est d’abord le fait même que le pape, représentant de l’Eglise catholique, ait été invité à ce genre de sommet qui réunit quelques-uns des « puissants » de la politique et de l’économie mondiales.
L’invitation du pape, pour des raisons qu’il n’est pas difficile de discerner, est déjà un signe et un message dont le choix tragique ne peut manquer de marquer le présent et l’avenir de la papauté et de l’Église elle-même. Être invité au sommet des pays parmi les plus riches et les plus puissants de la planète, c’est donner des « garanties » suffisantes au système pour qu’il se perpétue ou du moins qu’il continue à se légitimer.
Avoir accepté l’invitation (ou du moins la proposition venue du Vatican et acceptée par les diplomates du sommet), comme l’a fait le pape, n’est qu’une énième et pathétique tentative d’accompagner, en « aumônier de cour », le système actuel qui, comme le capitalisme dont il est l’expression, est né et a grandi sans cœur. N’oublions pas que les membres de ce sommet sont coresponsables ou soutiens de la production, de la vente et de l’utilisation d’armes dans les zones de guerre. Ce sont donc des personnes aux mains tachées de sang.
D’autre part, il semble typique de ce pontificat insondable et ambigu de jouer sur tous les fronts avec la même inconscience sans vergogne. Rencontrer et valoriser les mouvements sociaux. Prendre les pauvres comme élément transformateur du système (selon les leçons latino-américaines bien assimilées). Protéger les migrants dans leur recherche d’un avenir et parler des « périphéries » d’où devraient jaillir un monde nouveau et une Église à l’écoute. Tout cela et bien d’autres choses encore à l’ordre du jour, sans oublier les innombrables fois où il a fallu clarifier, rectifier, contredire ce qui avait été dit la veille dans l’un des nombreux discours lus ou improvisés.
Dans le même temps, le pontife lui-même (véritable pont entre les différentes rives) accompagne et célèbre une alliance du Vatican avec le « Capitalisme inclusif » dont les membres et les promoteurs comprennent les magnats les plus en vue du capitalisme mondialisé.
Avec la crise manipulée du Covid, ensuite, le pape actuel a touché au pire de ce que l’on pouvait attendre d’un politicien à la petite semaine.
L’obligation pour tout le personnel de l’État du Vatican de se faire vacciner sous peine de licenciement, l’invitation ferme aux fidèles chrétiens à se faire vacciner « par amour » et les réunions plus ou moins « secrètes » avec le patron de l’industrie de la vaccination, Bourla, sont autant d’exemples de ce que l’on peut attendre de mieux. Malgré les dégâts occasionnés et constatés, l’augmentation de la mortalité dans les pays qui ont le plus administré les « vaccins », jamais le pape n’a eu un seul mot de sollicitude pour ceux qui ont souffert de sa ferme invitation à vacciner, encore moins une demande officielle de pardon pour s’être trompé. Jamais il n’a demandé vengeance pour le manque de respect des droits de ceux qui auraient pu choisir ou non de se faire vacciner en toute liberté de conscience, comme le soulignent depuis longtemps les documents de l’Église et de la médecine officielle.
L’apparence « démocratique » de cette papauté est ensuite contredite par un protagonisme de la vie publique quotidienne qui s’exhibe de manière asphyxiante au point de se demander s’il existe encore une conférence épiscopale italienne digne de ce nom. Partout et sur tous les sujets, on attend un mot, une allusion et surtout une confirmation. Même dans les émissions de télévision regardées par le grand public, où l’on a le droit et le plaisir d’entendre ce que le pape Bergoglio dit, soutient, propose et surtout ce à quoi il fait allusion.
Et enfin, la participation même physique au sommet du G7 qui comptait d’autres invités de marque , mais pas la Russie et la Chine par exemple. Invité, accueilli et finalement assimilé aux puissants, parmi ceux qui ont le droit d’être présents, entendus et écoutés. Pour parler de l’intelligence artificielle pour laquelle, semble-t-il, le Vatican a pris un rôle non négligeable et forcément apprécié. Une Eglise comme signe de contradiction pour les empires d’aujourd’hui semble être passée de mode. S’asseoir à côté du pouvoir en place et défendre en même temps les pauvres suscite des soupçons quant à l’authenticité et à la sincérité de ceux qui jouent pour le public.
Au sommet en question, aucun pauvre n’a été invité. Dans un passé pas si lointain, par exemple lors du sommet du G8 à Gênes, on présentait comme une fierté du sommet d’inviter des personnes de certains pays qui aideraient à ne pas oublier qu’il existe aussi et surtout un autre monde. Celui auquel le pape fait souvent allusion et qui devient visible dans les guerres, les migrations et les terres rares… à exploiter pour des raisons écologiques bien rappelées par la dernière exhortation, également à la solde d’une version du monde.
La présence du pape parmi les « grands » du système fait mal, inquiète et fait honte à ceux qui pensaient que choisir les pauvres et leur voie n’était pas se frayer un chemin parmi les puissants pour devenir leur « aumônier » et, en fin de compte, leur garant. C’est une trahison que d’utiliser les visages et le silence des pauvres pour s’asseoir à la table des riches et des puissants.
Mauro Armanino,
Niamey,
du sable et des pauvres du Niger, 1
5 juin 2024