Et accessoirement, pour qui roule le site « The Pillar »?
Le cardinal allemand gêne certainement des gens influents comme voix discordante et tonitruante. Fin juillet, un article de « The Pillar », un site américain apparu en 2021 (difficile de le situer, et plus généralement, difficile de se fier à des sites qu’on ne connaît pas vraiment, surtout venant de l’étranger) annonçait comme un scoop une présumée mauvaise gestion (lire: des malversations financières) des fond de la CDF à l’époque où il en était le préfet, expliquant ainsi sa révocation par le Pape. Heureusement, le faux scoop est tombé à plat, en pleine période estivale, où l’information était à l’évidence ailleurs. Nico Spuntoni fait la lumière. Et pose LA question: cui prodest?
Prétendues coulisses
Contre Müller un faux scoop qui n’apporte rien de nouveau
lanuovabq.it
Nico Spuntoni
14 août 2024
A la base de la retraite anticipée du cardinal allemand, il y aurait un scandale sur les fonds de l’ancien Saint-Office : la « révélation » anonyme de The Pillar ne fait que recycler des faits déjà connus depuis des années. Et dont l’ancien préfet sort blanchi.
Depuis quelque temps, un article publié par le site américain The Pillar fait débat, selon lequel le non-renouvellement du mandat du cardinal Gerhard Ludwig Müller à la tête de l’ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi en 2017 aurait été causé par une enquête financière.
La reconstruction (non signée) mentionne « des sources proches du Dicastère pour la doctrine de la foi, du Secrétariat pour l’Economie [SPE] et du Bureau de l’auditeur général du Vatican [qui] ont déclaré indépendamment au Pillar que
« la révocation de Müller est intervenue après que des problèmes financiers au sein du Dicastère ont conduit à une enquête et que le pape a ordonné au cardinal de rembourser des centaines de milliers d’euros. »
En effet, selon la source de The Pillar,
« des dizaines de milliers d’euros de fonds du dicastère ont été gardés en liquide dans les tiroirs du bureau et utilisés comme fonds discrétionnaires (…) ; cet argent destiné au compte bancaire du dicastère a été déposé à la place sur le compte personnel de Müller. »
Expliquant qu’en 2015, le Secrétariat pour l’Economie dirigé à l’époque par le cardinal George Pell a mené une enquête financière, effectuant des inspections aléatoires dans la Curie, la source de The Pillar a rapporté que
« dans le bureau [de la Congrégation pour la doctrine de la foi], nous avons compté des milliers, des milliers d’euros en espèces qu’ils essayaient de faire sortir par la porte de derrière dans des sacs en plastique ». »
Le récit anonyme du site américain n’est pas vraiment une révélation : tout est connu, en fait, depuis novembre 2022, lorsque l’ex-auditeur général du Vatican, Libero Milone, en a parlé à quelques journalistes d’un cabinet d’avocats romain lors d’une rencontre organisée pour annoncer la plainte déposée dans le cadre d’une procédure civile contre la Secrétairerie d’État auprès de la Cour du Vatican.
Milone et l’ancien vérificateur adjoint Ferruccio Panicco (décédé en 2023) ont déposé une demande d’indemnisation de plus de 9 millions d’euros pour le préjudice subi à la suite du licenciement en 2017, en invoquant une série d’actes de « manque de respect des règles » apparus au cours des deux années de travail et « signalés avec diligence au Saint-Père ».
Milone a circonstancié une partie du contenu de ces allégations lors de sa rencontre avec les journalistes en novembre 2022, signalant déjà à l’époque que la Congrégation pour la doctrine de la foi
« recevait très souvent de l’argent en espèces ou en chèques et qu’une partie était versée sur un compte à l’IOR Lorsque nous avons effectué l’audit, nous avons constaté que ce compte appartenait au préfet et non à l’institution, et qu’il s’élevait à 250 000 euros ».
Toujours à cette occasion, l’ex-auditeur a raconté à la presse la découverte
« dans le bureau de Müller d’un sac à provisions en plastique où se trouvaient des liasses de billets d’une valeur de 500 000 euros, Panicco a vu le sac : tout cela a été écrit dans un rapport au Pape qui sera joint comme les autres à l’assignation ».
L’annonce de The Pillar est donc tout sauf un scoop et le choix de recourir à la formule des sources anonymes pour des faits déjà rendus publics il y a deux ans par quelqu’un qui a un nom et un prénom fait passer l’auteur anonyme de l’article pour quelqu’un de peu attentif.
Quoi qu’il en soit, le cardinal Müller a déjà répondu aux accusations en expliquant que le dicastère « n’avait pas perdu un centime » et en rappelant qu’à son arrivée comme préfet, il y avait une « certaine confusion » dans la gestion des comptes et de l’argent, qu’il a toutefois lui-même corrigée.
Müller a également déclaré à CNA Deutsch que « si les gens avaient compris, comme le cardinal Pell, que le dicastère n’avait finalement pas perdu un seul centime, ils auraient pu s’épargner la répétition d’un problème qui avait été résolu depuis longtemps ».
En effet, des proches de Pell ont confirmé à la NBQ que l’ex-préfet du SPE [donc Pell] avait jusqu’à la fin la plus grande estime pour son confrère allemand.
Müller a également reconnu à CNA Deutsch qu’il y avait eu un cas de fonctionnaire qui avait « enregistré de l’argent entre des comptes individuels du Dicastère et, bien que ce ne soit pas illégal, avait conservé des montants anormalement élevés d’argent liquide », mais sans se les approprier.
L’existence d’un épisode de confusion dans la gestion initiale des fonds de l’ancien Saint-Office, qui se sont retrouvés sous l’œil du Secrétariat à l’économie de l’époque dirigé par Pell, a également été vérifiée par la NBQ, mais la version de l’ancien préfet allemand est correcte : informé des faits, Müller est intervenu pour les résoudre.
Chapitre comptes bancaires : à l’époque, les dicastères pouvaient également avoir leurs propres comptes afin de préserver leur autonomie par rapport au Secrétariat d’État et à l’APSA, et il n’est pas surprenant de découvrir qu’ils étaient dirigés par leurs préfets respectifs. Lors d’une rencontre avec des journalistes en novembre 2022, Milone lui-même, sans manifestement l’apprécier, avait qualifié ce mode de « magistral » mais avait dû admettre qu’il ne pouvait pas dire que le compte était utilisé pour la personne de Müller et non pour la Congrégation.
Si, comme le prétend The Pillar, le cardinal allemand a été «mis à la retraite» après seulement cinq ans de fonction à l’ancien Saint-Office, non pas en raison de son manque évident d’harmonie avec la ligne du pontificat actuel, mais à cause de prétendues irrégularités financières rapportées par le SPE, pourquoi le pape n’a-t-il pas fait de même avec Mgr Vincenzo Paglia ?
En effet, Libero Milone, s’adressant à la presse en novembre 2022, a déclaré que durant son mandat d’auditeur général, des irrégularités avaient été découvertes dans le cadre des travaux de construction du siège du Conseil pontifical pour la famille dirigé par le prélat.
The Pillar lui-même avait rapporté, en citant des « sources proches du Secrétariat à l’économie », qu’une enquête menée par le SPE entre 2014 et 2015 avait révélé comment Paglia avait « détourné des centaines de milliers d’euros alloués au soutien d’œuvres missionnaires et caritatives alors qu’il était président du Conseil pontifical pour la famille » et avait « utilisé une grande partie de l’argent pour financer des projets de construction à Rome, y compris la rénovation de son appartement personnel ».
Toujours selon The Pillar, ce détournement présumé aurait été signalé par Milone au Pape dans un rapport. Pourtant, il ne semble pas que Monseigneur Paglia ait reçu le même traitement du Pape que Müller, puisqu’il est toujours président de l’Académie pontificale pour la vie et grand chancelier de l’Institut pontifical Jean-Paul II.
La faiblesse de la thèse de The Pillar selon laquelle l’enquête sur la gestion des finances de la Congrégation pour la doctrine de la foi serait à l’origine du limogeage du cardinal allemand apprécié par Benoît XVI est donc évidente.
En réalité, comme le confirment plusieurs sources curiales à La NBQ, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été l’épisode du licenciement de trois fonctionnaires de la Congrégation pour la doctrine de la foi à la fin de l’année 2016. Müller n’a pas été consulté et a vigoureusement protesté auprès du pape pour défendre les emplois de ses trois précieux collaborateurs, mais cela n’a pas suffi. Dès lors, la relation déjà peu brillante entre François et son premier préfet de la doctrine de la foi s’est irrémédiablement fissurée jusqu’au non-renouvellement de la fonction à l’été 2017 et à la « retraite » anticipée de ce dernier à seulement 69 ans.
Si la reconstruction de The Pillar était vraie, nul doute que le cardinal Pell, homme intègre et qui, par souci de vérité, n’a pas hésité à reconnaître le traitement injuste subi par le peu aimé cardinal Angelo Becciu lors du procès au Vatican qui s’est achevé par sa condamnation (par une sentence dont on attend toujours les motivations huit mois plus tard), aurait cessé d’avoir de l’estime pour son confrère allemand. Au contraire, il a continué à le faire, et c’était réciproque : à tel point que le 9 janvier dernier, c’est précisément Müller qui a célébré la messe dans l’église de la Domus Australia à l’occasion du premier anniversaire de la mort du cardinal de Ballarat.
L’article anonyme qui fait revivre des faits vieux de neuf ans, déjà révélés il y a deux ans, laisse une question sans réponse : cui prodest ?