Les responsabilités sont multiples et forment un mélange explosif. L’ex-président est décrit par les médias et ses adversaires politiques comme un fou furieux, quasiment une réincarnation d’Hitler, les institutions (l’université, mais aussi la presse écrite, en particulier le NYT, avec son statut de leader mondial de la presse libérale) loin de jouer leur rôle de modérateurs se joignent même à la meute des enragés, les réseaux sociaux enflamment les débats, et l’establishment ne veut surtout pas laisser le pouvoir (ils ont sans doute beaucoup à cacher)…
L’analyse du directeur de « First things », média catholique américain en ligne.

Si la cote de Trump augmente dans les sondages, les commentateurs libéraux bombarderont le public d’avertissements terribles. Leur rhétorique deviendra plus extrême, créant l’atmosphère verbale qui encouragera d’autres tentatives d’assassinat de Trump.

La rhétorique de l’assassinat

R. R. Reno [*].
www.firstthings.com/web-exclusives/2024/09/the-rhetoric-of-assassination

Deux tentatives d’assassinat en soixante jours. Notre culture politique devrait être en état de choc. Mais apparemment, ce n’est pas le cas.
Bien sûr, les journalistes écrivent leurs articles. Les faiseurs d’opinion donnent leur opinion. Kamala Harris condamne la violence politique et se dit « profondément troublée » par la dernière tentative d’assassinat de Trump. Joe Biden déclare : « La violence politique n’a pas sa place ».

En attendant, tous continuent comme avant, avertissant que Trump et ses électeurs MAGA [Make America Great Again, le slogan de Trump] représentent de graves menaces pour tout ce qui est vrai, bon et beau.

Le lendemain de la tentative d’assassinat en Floride, le New York Times a publié une tribune de David French sur les déclarations et actions « profondément alarmantes » de Trump.

Selon French, l’ancien président a adressé en 2019 « une requête corrompue et lunatique » au président ukrainien Zelensky [allusion à un coup de fil passé par Trump le 25 juillet 2019 , je renvoie à … Libé, pour ceux que ça intéresse]. French suggère que Trump menait sa politique étrangère « sur la base de ses griefs personnels » et non en accord avec l’intérêt national de l’Amérique.

L’article se termine par un avertissement selon lequel Trump est un fou furieux et qu’ « il n’y a plus personne qui puisse l’empêcher de commettre le pire ».

Que doivent en conclure les lecteurs?  ;

Au cours des huit dernières années, nous avons été abreuvés de mots effrayants. « Extrême droite ». « Nationalisme chrétien blanc ». « Jim Crow 2.0″ [ndt: allusion aux Jim Crow Laws, lois nationales et locales issues des Black Codes imposant la ségrégation raciale aux États-Unis]. « Fascisme ».

Je prévois d’autres commentaires terribles avant le mois de novembre. Du type « Trump prévoit de suspendre la Constitution ». « Il va ériger des camps de la mort pour les migrants. » « Il est l’arme secrète de Poutine pour détruire l’Amérique ».

Comment expliquer cette hystérie ? Il y a sans doute de nombreuses réponses à cette question.  ;

1- Les journalistes sont accros aux réseaux sociaux, un milieu surréaliste qui est à la fois déchiré par une violence verbale intense et en même temps totalement dépourvu de conséquences. Les réseaux sociaux nous forment à l’irresponsabilité politique. Nous imaginons que nous pouvons lancer des invectives sans nuire au corps politique, sans encourager les personnes dérangées et perturbées parmi nous à agir en fonction de nos paroles.

2- La turbulence verbale atteint des proportions de crise parce que nos institutions ne stabilisent plus la société américaine.
Le New York Times devrait exercer une influence modératrice, mais il alimente l’hystérie au lieu de la tempérer. Les universités devraient être des lieux d’analyse sobre. Mais à Yale, le professeur de philosophie Jason Stanley et le professeur d’histoire Timothy Snyder publient des livres de propagande politique qui décrivent Trump comme le second avènement d’Adolf Hitler. Les présentateurs de journaux télévisés entonnent des diatribes plutôt que de rendre compte des événements.

3- Ces phénomènes sont sous-tendus par une combinaison toxique d’anxiété et de complaisance de la part des élites. Les membres de l’establishment liberal sentent le mécontentement du public. Ils sont à moitié conscients que les trente dernières années ne se sont pas bien passées pour de nombreux Américains, voire pour la plupart d’entre eux. Cent mille personnes meurent chaque année d’une overdose. La santé mentale des jeunes est au plus mal. La désindustrialisation a entraîné l’appauvrissement de régions entières. La démesure impérialiste a conduit à des guerres ratées, dont une nouvelle se déroule en Ukraine. Les électeurs sont devenus indociles. Les poursuites pénales contre Trump et ses associés et la censure des réseaux sociaux n’ont pas permis de maîtriser la dissidence du régime. 

4- L’anxiété est renforcée par l’inefficacité croissante des anathèmes qui marchaient. Il y a encore peu de temps, qualifier quelqu’un de raciste mettait fin à sa carrière publique. Ce n’est plus le cas. Harris a réitéré la fausse affirmation selon laquelle Trump aurait décrit les néo-nazis de Charlottesville comme des « gens très bien » – en vain. L’expression « extrême droite » est devenue un adjectif sans vie. Le terme « fasciste » est tellement galvaudé qu’il ne sert à rien. Les armes qui marchaient autrefois tirent désormais à blanc. Être désarmé de la sorte doit être très perturbant pour ceux qui sont habitués à contrôler les limites de l’opinion politique acceptable.

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Et pourtant, dans le même temps, notre élite est satisfaite d’elle-même. Les membres de notre establishment libéral ne peuvent imaginer un monde dans lequel ils ne sont pas aux commandes. Ils parlent de vaincre Poutine. Ils prévoient de hisser des drapeaux arc-en-ciel en Mongolie. Ils partent du principe que Harvard sera toujours Harvard. Oui, les gens intelligents et responsables doivent procéder à quelques ajustements. Mais ils resteront aux commandes.  ;

Le résultat est la rhétorique irresponsable d’aujourd’hui. Tous les moyens sont justifiés pour prévenir les menaces qui pèsent sur leur pouvoir, parce qu’ils sont les seuls à être responsables, à penser juste, et qu’ils doivent avoir le pouvoir.

Je ne prétends pas être un prophète. Mais je peux faire des prédictions fondées. Si la cote de Trump augmente dans les sondages, les commentateurs libéraux bombarderont le public d’avertissements terribles. Leur rhétorique deviendra plus extrême, créant l’atmosphère verbale qui encouragera d’autres tentatives d’assassinat de Trump.

[*] R.R.Reno
Rédacteur en chef de First Things

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