A la première lecture, à chaud, les fidèles de Marie dévots de Medjugorje ont poussé un soupir de soulagement. Aucune opposition franche, aucune condamnation de principe. Bref, ça aurait pu être pire (pour eux), et il n’y a aucun changement pour les fidèles (les autres sont parfaitement indifférents), mais le pape pouvait-il faire autrement?
Mais à la lecture détaillée du rapport, Riccardo Cascioli relève quelques contradictions.
En particulier le refus d’envisager l’éventuel caractère surnaturel du phénomène, « suggérant ainsi une certaine incrédulité sous-jacente devant la possibilité que Dieu intervienne de cette manière ».
Cela en s’appuyant sur les résultats de la Commission internationale créée par Benoît XVI et présidée par le cardinal Ruini, qui reconnaissait l’authenticité des sept premières apparitions, entre le 24 juin et le 3 juillet 1981 – Fernandez l’a souligné – et affirmait que « la dévotion qui est née à Medjugorje a une origine surnaturelle, elle est authentique »
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Comment est-il possible d’adopter un rapport qui établit sans équivoque que la Vierge est apparue à Medjugorje et de prétendre en même temps qu’il est impossible d’en établir le caractère surnaturel ?
La contradiction est évidente.
- Le texte du Vatican: www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents
Note sur Medjugorje, contradictions et volonté de contrôle
Le nihil obstat du Vatican sur l' »expérience spirituelle » de Medjugorje ne change pas grand-chose pour les pèlerins, mais les messages seront désormais scrutés par l’envoyé du Pape. Les secrets annoncés susciteraient-ils des inquiétudes ? Et comment concilier le refus d’établir le caractère surnaturel avec l’authenticité établie des sept premières apparitions ?
Passé le premier moment de satisfaction des dévots à Marie pour la Note « La Reine de la Paix » [la version originale est effectivement celle italienne, il vaut mieux se méfier des traductions « officielles », ndt] accordant le nihil obstat à l’ « expérience spirituelle » de Medjugorje, en passant au crible la présentation en conférence de presse du Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Victor Manuel Fernandez, et certains passages de la Note, plusieurs contradictions et même quelques perplexités émergent.
Plus que de satisfaction, on devrait plutôt parler d’un soupir de soulagement car on aurait pu craindre des jugements moins positifs sur le phénomène dans son ensemble et donc un degré d’approbation plus faible, après les nouvelles « Normes pour procéder au discernement des phénomènes surnaturels allégués », publiées le 17 mai dernier.
A ce stade, cependant, on peut légitimement se demander quel était l’intérêt d’une Note aussi détaillée, assortie d’une conférence de presse de présentation, un privilège normalement réservé aux affaires vraiment importantes, étant donné que d’un point de vue pratique pour les pèlerins, pratiquement rien ne change.
Pourquoi une telle précipitation, alors que l’Eglise ne s’est jamais prononcée sur des phénomènes en cours et que personne ne peut donc lui reprocher de ne pas dire un mot définitif sur Medjugorje ? Continuer à pratiquer la prudence et à observer le phénomène ne présentait aucun danger. En effet, les pèlerinages organisés par les paroisses et les diocèses avaient déjà été accordés en 2019 par le Pape François et il n’y avait jamais eu d’interdictions sur les messages.
Au fond, les seules nouveautés de cette Note sont l’invitation à ne pas rencontrer les « présumés » voyants et le contrôle annoncé sur les messages à venir, qui nécessiteront donc ponctuellement l’aval du visiteur apostolique Mgr Aldo Cavalli.
C’est précisément ce dernier point qui a suscité l’inquiétude de plusieurs fidèles : une censure ou une correction sera-t-elle déclenchée sur les messages importuns ? Ce serait en effet une éventualité embarrassante, surtout pour le Saint-Siège.
Il est plus facile de penser – et c’est peut-être là le sens de la Note – qu’il s’agira d’une sorte d’ « attente vigilante », étant donné que plusieurs observateurs de Medjugorje pensent que le moment est proche pour le dévoilement des fameux secrets, dix événements qui devraient démontrer sans équivoque la véracité des apparitions.
Question délicate puisque le Pape lui-même – le Cardinal Fernandez l’a rapporté en conférence de presse – ne veut pas se prononcer sur le surnaturel et considère l’affaire comme définitivement close. Il s’agit là aussi d’une attitude étrange : exclure la catégorie de la possibilité face à un phénomène en cours, qui promet en outre des développements sensationnels, laisse pour le moins perplexe.
De ce point de vue, il est remarquable que dans la Note longue et détaillée, il n’y ait aucune référence à la question des secrets, un sujet qu’il est difficile d’éviter lorsqu’on parle des messages. Même le cardinal Fernandez ne l’a pas mentionné dans son discours, et il faut dire qu’aucun journaliste présent ne lui a posé de question à ce sujet. Dommage.
Mais la question qui laisse sûrement le plus perplexe est le refus d’envisager l’éventuel caractère surnaturel du phénomène. Le problème découle en fait des nouvelles Normes du 17 mai dernier (déjà évoquées dans ces pages, cf. ici et ici ) qui ne prévoient rien de plus que le nihil obstat à moins que le Pape lui-même ne veuille intervenir pour établir le caractère surnaturel d’un événement.
Mais en entrant dans une analyse détaillée de Medjugorje, cette approche du Vatican montre toutes ses contradictions.
Par exemple, dans la conférence de presse, le cardinal Fernandez s’est longuement attardé sur les résultats de la Commission internationale créée par Benoît XVI et présidée par le cardinal Camillo Ruini. Il a souligné combien ces résultats ont été appréciés par le Pape François, qui les a pratiquement fait siens.
Fernandez a également voulu citer la conclusion du rapport, qui divise le phénomène de Medjugorje en deux phases : les sept premières apparitions, entre le 24 juin et le 3 juillet 1981, et tout ce qui s’est passé par la suite. En ce qui concerne les sept premières apparitions, la Commission Ruini a établi – et Fernandez l’a souligné – que « la dévotion qui est née à Medjugorje a une origine surnaturelle, elle est authentique ».
Comment est-il possible d’adopter un rapport qui établit sans équivoque que la Vierge est apparue à Medjugorje et de prétendre en même temps qu’il est impossible d’en établir le caractère surnaturel ? La contradiction est évidente.
Tout aussi incompréhensible est la prétention par principe de séparer le fruit de l’arbre, en reconnaissant la positivité et la bonté du premier mais en ignorant délibérément son origine.
Le cardinal Fernandez s’est appuyé sur une pensée exprimée par le cardinal Joseph Ratzinger dans son célèbre livre-entretien avec Vittorio Messori « Rapport sur la foi ».
L’une des questions de Messori portait précisément sur Medjugorje et Ratzinger déclarait que, « en plus de la patience et de la prudence », un troisième critère pour juger les apparitions présumées – pas seulement Medjugorje – est de « séparer l’aspect du « surnaturel » réel ou présumé de l’apparition de celui de ses fruits spirituels ».
D’après le contexte, il est clair que Ratzinger parle non pas de critères absolus et définitifs, mais de l’enquête sur les nouveaux phénomènes qui sont encore en cours d’investigation, et pour lesquels un jugement concluant n’est pas encore possible. Mais les fruits spirituels peuvent être décisifs pour juger de la véracité d’une apparition, comme cela s’est produit de nombreuses fois.
Rappelons également que la conversation Ratzinger-Messori a eu lieu en août 1984, trois ans après le début des apparitions : il est bien différent d’en parler aujourd’hui, 40 ans plus tard.
Aussi, soutenir qu’il est impossible de se prononcer sur le caractère surnaturel d’un événement (« il faudrait une baguette magique », a dit Fernandez à deux reprises, en citant le pape François), c’est séparer la foi de la raison, la réduire à un sentiment ou à une forme d’auto-suggestion. Jésus est pourtant très clair :
« Cueillez-vous des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? Ainsi, tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre de bons fruits. (…) Vous les reconnaîtrez donc à leurs fruits ».
(Matthieu 7:16-20)
La prudence face à de tels événements est donc plus que justifiée, mais renoncer par principe à établir leur caractère surnaturel suggère qu’il existe une certaine incrédulité sous-jacente devant la possibilité que Dieu intervienne de cette manière ; et que le nihil obstat est alors une mesure plus « politique » qu’évangélique.