Andrea Gagliarducci revient sur le rite pénitentiel qui ouvrira la seconde session du Synode en octobre, et met la liste des « nouveaux péchés » en perspective avec les péchés « d’avant » qui avaient servi de base de réflexion à la Journée de repentance voulue par Jean-Paul II à l’occasion du Jubilé de l’an deux mil..
Sur ce sujet, il faut absolument relire un document très important: la présentation du document de la Commission Théologique Internationale «Mémoire et Réconciliation» par le cardinal Ratzinger en 2000, que je reprends in extenso ici: Les fautes de l’Eglise.
Le pape François, le synode pour un changement de narratif ?
Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-synod-for-a-narration-shift
23 septembre 2024
Dans le jargon des Nations Unies, on parle de droits de l’homme de troisième (ou quatrième) génération, qui ne sont pas nés d’un accord commun mais ont été conçus comme des outils pour imposer une vision du monde. Le Saint-Siège ne cesse de rappeler, lors de chaque rencontre internationale, que ces droits et leur terminologie ne font pas l’objet d’un consensus universel.
Dans le cas du rite pénitentiel prévu à l’ouverture du Synode, nous devrions peut-être parler de péchés de deuxième génération.
Le rite pénitentiel comprend une demande de pardon pour « le péché de la doctrine utilisée comme des pierres à jeter » et même « le péché contre la synodalité », qui se caractérise par « le manque d’écoute, de communion et de participation de tous ».
Comment définir ces péchés ? Et ces péchés sont-ils typiques d’une certaine humanité ? Et surtout, pourquoi introduire ces péchés ?
L’Église catholique n’en est pas à son coup d’essai en matière de grands rites de pénitence et de réconciliation. La Journée du pardon du 12 mars 2000 constitue un précédent significatif. Jean-Paul II voulait en effet un grand rite pénitentiel par lequel l’Église demanderait pardon pour les péchés du passé.
A l’époque aussi, le choix avait été largement débattu et critiqué. Après tout, l’Église ne pèche pas. Ce sont les hommes qui pèchent. Et le péché survient souvent dans un contexte particulier. Le pape François a mis en garde à plusieurs reprises contre le fait de regarder un péché avec les lunettes d’aujourd’hui.
La Journée du pardon fut dotée d’un solide appareil théologique pour surmonter le débat. Un document fut rédigé, « Mémoire et réconciliation : l’Église et les péchés du passé », et une conférence de presse eut lieu au cours de laquelle le cardinal Etchegaray souligna que nous étions confrontés à un « diptyque : une étude théologique et une célébration liturgique ».
» Notre solidarité avec l’Église d’hier nous fait ainsi mieux découvrir notre responsabilité pour l’Église de demain », avait souligné le cardinal Etchegaray, expliquant la demande de pardon. Et Mgr Piero Marini, alors maître des célébrations pontificales, avait affirmé que « confesser nos péchés et ceux de ceux qui nous ont précédés est un acte approprié de l’Église qui a toujours su discerner les infidélités de ses enfants, qui a su dire et faire la vérité sur les péchés commis ». Il avait toutefois souligné que « cette confession ne signifie pas un jugement sur ceux qui nous ont précédés », car « le jugement appartient à Dieu ».
Sept types de péchés étaient confessés, tous liés à des documents ou discours papaux :
- Péchés généraux.
- Péchés commis au service de la vérité (intolérance et violence contre les dissidents, guerre de religion, violence et abus dans les Croisades, méthodes coercitives dans l’Inquisition).
- Péchés qui ont compromis l’unité du corps du Christ.
- Péchés commis dans le cadre des relations avec le peuple de la Première Alliance, Israël.
- Péchés contre l’amour, la paix, le droit des peuples, le respect des cultures et des autres religions dans le cadre de l’évangélisation.
- Péchés contre la dignité humaine et l’unité du genre humain.
- Péchés dans le domaine des droits humains fondamentaux et contre la justice sociale (les derniers, les pauvres, les enfants à naître, les injustices économiques et sociales, la marginalisation).
La liste est officielle et le langage utilisé dénote la volonté de ne pas effacer le passé et de ne pas blâmer l’Église. Les péchés sont reconnus, les contextes sont identifiés (comme l’effort d’évangélisation, qui était autrefois traité différemment), et il est souligné dans le langage que ces péchés ne sont pas systémiques. Ce sont des épisodes. Des péchés, précisément, ou des erreurs.
Avant tout, on demande pardon pour les péchés du passé. Il s’agit d’un acte de purification de la mémoire. Il n’y a pas de présomption de mettre tout le monde en pénitence pour qu’ils reconnaissent les péchés même là où ils ne les voient pas.
Le rite pénitentiel du Synode [à venir] comprend l’écoute de trois témoignages de personnes qui ont souffert du péché d’abus, de guerre et d’indifférence face au drame présent dans le phénomène croissant de toutes les migrations. Il s’agit de péchés d’aujourd’hui, et le risque important est celui d’un récit émotionnel et personnel, qui donne cependant l’idée d’un problème systémique qui souvent n’existe pas.
Parce que, en fait, la plupart des prêtres ne commettent pas d’abus et n’en ont jamais commis, il n’y a pratiquement personne qui favorise la guerre, et parce qu’une indifférence générale à l’égard des migrations est à prouver, compte tenu du grand travail d’accueil que les chrétiens accomplissent dans le monde entier.
On confessera le péché contre la paix, le péché contre la création, contre les populations indigènes, contre les migrants, le péché d’abus, le péché contre les femmes, la famille et les jeunes, le péché de la doctrine utilisée comme des pierres à jeter, le péché contre la pauvreté, le péché contre la synodalité/manque d’écoute, de communion et de participation de tous.
Ici aussi, le langage est celui des communications officielles, et on peut noter un glissement du langage vers des termes plus sociologiques. Ce n’est pas un pardon qui nécessite de la compréhension, il s’agit de faits concrets et de choses concrètes. C’est comme une grande confession publique et la création d’un sentiment de culpabilité qui n’a pas lieu d’être.
À la fin, le pape adressera la demande de pardon à Dieu et aux sœurs et frères de toute l’humanité au nom de tous les fidèles. En pratique, tous les fidèles sont appelés à demander pardon car le péché n’est plus traité comme un problème individuel mais comme un problème collectif.
De nombreux problèmes sont inhérents à ce langage et à ce choix de rite pénitentiel.
Il faudrait décrypter l’idée de la « doctrine utilisée comme des pierres à jeter ». C’est un thème qui revient dans certaines déclarations récentes du Dicastère pour la Doctrine de la Foi lorsqu’il parle du sentiment de culpabilité des fidèles face à des pasteurs qui les embarrassent avec la doctrine (voir la lettre sur les mères célibataires qui « s’abstiennent de communier par peur du rigorisme du clergé et des responsables de la communauté »). Et en effet, il y a des cas de ce genre.
Mais il s’agit de cas limités, de situations particulières qui ne peuvent être généralisées. En définitive, la doctrine est là comme une aide, une boussole, une aide pour que les chrétiens comprennent la volonté de Dieu. Mais il est vrai aussi que le jugement personnel et dénigrant basé sur la doctrine n’est pas encouragé. En effet, la demande est toujours d’écouter les fidèles.
Le péché contre la synodalité nécessite un véritable travail de décryptage.
Si l’on fait abstraction du fait que « synodalité » est un terme dont le sens entier n’a jamais été clarifié, en quoi consiste ce péché ? Cela signifie-t-il qu’un évêque n’applique pas la méthode synodale si un prêtre prend des décisions sans écouter les fidèles ou si un curé agit en curé car il sait comment ce péché va le ternir ?
Autant de questions qui font réfléchir et qui donnent lieu à des interprétations différentes.
La première partie du Synode, sur Communion, Mission et Participation [la première session, en octobre 2023, ndt], a montré que la plupart des évêques sont attachés à la doctrine et à ce en quoi ils croient. Ils défendent avant tout l’Église. On parle effectivement du drame des abus. Cependant, il n’est pas dit que le drame des abus doit être considéré comme systémique, et ceci est clarifié. Dans le document final du Synode, le terme « LGBT » qui figurait dans le premier projet est également supprimé. La vision est traditionnelle, de même que le rôle des femmes dans l’Église et diverses questions pastorales.
Pourtant, certains membres du Synode ont considéré cette assemblée comme une plateforme politique.
Après les travaux d’octobre dernier, il a été dit qu’il fallait donner des réponses, sinon le peuple de Dieu serait déçu.
En fin de compte, ce rite pénitentiel contourne le problème. On demande pardon pour les abus en passant outre la vision de ceux qui, dans l’Église, montrent que la question des abus ne peut être considérée comme systémique et que la perception de ce système provient plutôt de la formation d’une « panique sociale » à l’égard de l’Église elle-même.
La doctrine est définie en termes négatifs, comme c’était déjà le cas dans la lettre par laquelle le pape François a accompagné la nomination du cardinal Fernandez comme préfet du Dicastère de la doctrine de la foi. Ce faisant, l’idée de ceux qui montrent et soulignent l’importance d’une doctrine claire est renversée, en se comportant ainsi, ils ont également bloqué certains programmes de prétendue « innovation ». Le pape François les appelle les « indiétristes », mais – en utilisant également le langage politique – eux parlent souvent de « résistance ».
Surtout, ce rite nous oblige à penser la synodalité selon une modalité définie par le Synode lui-même, essayant en fait de clore un débat sur ce qu’est la véritable synodalité et aussi sur la façon dont la synodalité est interprétée dans les Églises orientales, où elle ne concerne que les évêques.
Nous arrivons ici à la deuxième motivation : Elle définit un narratif.
Il est bien connu que l’Église ne constitue plus une majorité substantielle et que [le fait que] les périphéries du monde souffrent d’un catholicisme marginalisé en est une conséquence logique. Cependant, jusqu’à présent, nous avons essayé de ne pas céder au récit d’une Église mauvaise parce qu’elle est au pouvoir.
Benoît XVI a fait l’éloge de la « dé-mondanisation parce qu’elle permettait à une Église plus pure de se détacher de ses structures. Cependant, le résultat d’aujourd’hui est une structure qui se définit comme pure et qui, en réalité, accepte de couper avec le passé sans même le considérer. Elle le fait parce qu’elle a décidé d’accepter le récit qui lui est imposé de l’extérieur.
Ce n’est pas une demande de pardon pour purifier la mémoire. C’est une demande de pardon qui risque de reconstruire une mémoire. Le retour à la vérité des faits sera très difficile quand tout cela se produira.
Enfin, la troisième raison est que la demande de pardon, avec son langage plus sociologique que théologique, montre aussi une Eglise qui, au fond, a perdu la notion de sacrement. Le rôle du prêtre devient celui d’un acteur social appelé à réparer les erreurs du passé, peut-être à couper avec le passé. La confession devient collective car chacun doit prendre conscience de ses propres péchés et de certains péchés particuliers.
Au final, il y a un Pape qui demande pardon et une Eglise autour de lui qui accepte de demander pardon même quand il n’y a pas à s’excuser. Sera-ce un grand acte prophétique, et le dernier cri d’une Église prête à s’ouvrir au monde ?
En fait, le Synode ressemble à une grande opération de coupure avec le passé, dans laquelle nous nous concentrons sur les détails et perdons de vue la « vue d’ensemble ».
Si nous utilisons le jargon des Nations Unies, cela crée un espace pour de nouveaux péchés, des péchés 2.0, des péchés de la troisième et de la quatrième génération.