Le lettre adressée par le pape aux cardinaux, faisant valoir que le Vatican était dans le rouge et demandant en conséquence aux « porporati » de serrer leur ceinture rouge, soulève pas mal de questions. Celles posées par Luis Badilla à propos de la transparence dans l’utilisation de la « charité du pape » (autrement dit la contribution des fidèles), des dépenses somptuaires et des cabinets de consulting payé à prix d’or. mais aussi celles liées à la nécessité pour le Saint-Siège de maintenir sa souveraineté (en principe assurée par les Accords du Latran de 1929), ce qui passe par son indépendance financière. L’analyse d »Andrea Gagliarducci.
Voir à ce sujet:
- Le Saint-Siège au bord du dépôt de bilan? Le pape écrit aux cardinaux.
- Les caisses (presque) vides du Vatican: quelques questions de Luis Badilla au pape.
Le pape François : Une souveraineté perdue (et une souveraineté mal placée)
Andsrea Gagliarducci
Monday Vatican
30v septembre 2024
La lettre dans laquelle le pape François demande aux cardinaux de limiter les dépenses et de trouver des financements extérieurs pour le Saint-Siège est arrivée presque à l’improviste. Envoyée vendredi 20 septembre 2024, la lettre contenait quelques-uns des éléments de rhétorique habituels du pape à l’encontre de la prétendue « résistance » aux réformes. Il a même fallu un certain temps pour en arriver à l’essentiel. Finalement, le raisonnement est simple : Le Saint-Siège est dans le rouge, les dépenses doivent être maîtrisées et il vaut mieux trouver des ressources extérieures.
Rien de tout cela n’est nouveau.
La rumeur veut qu’un don important d’une fondation garantisse les salaires de tout un dicastère du Vatican. On dit aussi que ce sont des dons qui couvrent des dépenses collatérales comme celles de l’organisation des derniers consistoires. Toutefois, le fait que le pape ait pris la plume pour écrire personnellement la lettre et rendre publique la situation est remarquable. On a presque l’impression que le Pape, en rendant publiques les difficultés, veut se laver les mains de toute responsabilité.
S’il y a un déficit, selon le raisonnement sous-jacent, c’est à cause des dépenses antérieures incontrôlées. Ce raisonnement conduit toutefois à une autre question : Si les cardinaux doivent trouver des fonds pour le Saint-Siège ou pour eux-mêmes, comment l’indépendance du Saint-Siège sera-t-elle garantie ?
La lettre nous ramène en effet un peu au Moyen Âge, quand l’Église, sans structures, dépendait des dons, et que l’alliance du trône et de l’autel était scellée précisément en raison des besoins économiques et financiers. Mais en dépendant des royaumes et des seigneurs pour sa subsistance économique, l’Église ne pouvait pas exercer sa mission. Elle était soumise à des pressions. Elle ne pouvait pas prendre toutes les décisions.
Au fil des années, l’Église s’est efforcée de garantir son indépendance et sa souveraineté. L’État pontifical est un moyen, un territoire qui donne au pape un pouvoir séculier mais surtout une citoyenneté propre, indépendante de celle de chaque État. Le pape peut être allemand, français, hollandais ou italien. Lorsqu’il devient pape, il est roi de l’État de la Cité du Vatican, indépendant et libre de tout royaume.
Cette position permet à l’Église d’être une force de médiation et de préserver la liberté religieuse de ses membres. Il ne faut pas être naïf. Il y a eu des erreurs et des situations historiques qui ne peuvent être acceptées aujourd’hui. Il s’agissait de situations contingentes.
C’est surtout au siècle dernier que l’Église, envahie par l’État pontifical, s’est efforcée de recréer son indépendance. Même l’œuvre missionnaire, à partir de Benoît XV, visait précisément à se libérer des influences des États, des protectorats qui contrôlaient les territoires de mission.
L’indépendance économique devait être mise en œuvre.
C’est ce qui s’est produit avec la conciliation avec l’État italien et les pactes du Latran, qui prévoyaient le versement à l’Église d’une indemnité d’environ 1,7 milliard d’euros pour les presque 50 années de conquête et d’occupation. Cet argent a été utilisé pour construire l’État de la Cité du Vatican, réparer les nonciatures désormais en ruine et définir un système financier et d’investissement qui permettrait au Saint-Siège de disposer de ses propres fonds souverains.
Les finances du Saint-Siège étaient si solides qu’après le scandale IOR / Ambrosiano, l’IOR a décidé de faire une contribution volontaire de 406 millions de dollars pour les actionnaires qui avaient perdu de l’argent tout en ne reconnaissant pas sa responsabilité. Malgré cela, les comptes de l’IOR sont rapidement redevenus positifs.
Les affaires Vatileaks, sous Benoît XVI puis le pape François, ont attaqué un Saint-Siège qui avait bien travaillé pour créer son indépendance et améliorer la transparence financière. Peu après avoir créé l’Autorité d’information financière (AIF), le Saint-Siège a abandonné la politique de pêche de la Banque d’Italie [càd de choisir des responsables italiens], optant pour un conseil d’administration plus international. Immédiatement, la première loi anti-blanchiment, inspirée de la loi italienne analogue, a été réformée pour refléter les caractéristiques du Saint-Siège.
Il est peut-être impossible aujourd’hui de définir comment les intérêts se sont croisés et comment, ensuite, malgré le travail de Benoît XVI, les loups qui ne cherchaient qu’à exploiter le Saint-Siège et à le placer sous le cône d’influence d’autres finances, d’autres pouvoirs et d’autres idées sont revenus avec le pape François. Mais ce sont des forces qui ont eu la partie facile pour trois raisons :
- Un pontificat sans attache, ni connaissance de la tradition.
- La crainte d’un scandale, attendu ou présumé, révélée lors des congrégations générales qui ont élu le Pape.
- La non-institutionnalité du pape François, qui a tendance à considérer la finance comme un instrument mais ne pense pas en termes de structure financière ou gouvernementale.
Ainsi, au cours de ces 11 années de pontificat, des investissements ont été abandonnés et de lourdes pénalités ont été payées. Les fonctionnaires du Vatican se sont appuyés sur des consultants externes coûteux qui ont pesé sur les bilans mais n’ont pas apporté de contributions essentielles. En revanche, ils ont tenté de doter le Saint-Siège d’une structure financière qui le rapproche trop d’une entreprise, avec un grand débat (voir la révocation de l’accord d’audit avec Price-Waterhouse en 2015).
Une hécatombe financière, parfois précipitée par des décisions hâtives,
Ce fut une longue saison de procès au Vatican, à l’intérieur et à l’extérieur des murs, avec des résultats mitigés. A l’heure où nous écrivons, nous attendons le verdict du procès sur l’investissement de la Secrétairerie d’Etat dans une luxueuse propriété à Londres, qui implique le cardinal Angelo Becciu, un verdict à Londres lié à ce procès, et les résultats d’un autre procès à Malte qui compte l’IOR parmi les accusés.
Le Pape a d’abord réagi en se plaignant que la « charité » ne peut pas allouer 70 % des fonds aux salaires, puis il a appelé à un resserrement des dépenses institutionnelles, puis il a demandé à chacun de payer son logement, y compris de service, au prix du marché (mais on peut se demander quelle est la valeur marchande réelle de l’appartement du Secrétaire d’État, par ailleurs invendable et non louable parce que situé à l’intérieur du Palais apostolique).
Après avoir tout centralisé, dans un contexte de crise financière que la période COVID n’a fait qu’aggraver, le Pape François a pris la plume pour demander une collaboration.
Au début de la réforme du pape François, on a parlé d’un fonds souverain et on a tonné contre l’argent « caché » des dicastères. Il s’agissait d’argent provenant de dons privés explicitement destinés aux dicastères, mais cela n’a pas été pris en compte. Maintenant, au contraire, on favorise les contributions privées.
D’accord.
Seulement, comment le Saint-Siège maintiendra-t-il son indépendance ?
L’effondrement du système vatican aujourd’hui est-il le résultat d’une mauvaise gestion antérieure ? Et surtout, qu’a-t-on fait pour enrayer cette perte continue d’argent, à part se plaindre des dépenses de la dernière période ?
Nous sommes à la fin d’un système financier et économique du Vatican qui est né pour garantir au Saint-Siège sa souveraineté. Comme tout État, le Vatican doit avoir une place souveraine, exonérée d’impôts. Ce lieu subsistera, mais il perdra le supermarché. Il sera lui aussi sous-traité à une chaîne de supermarchés extérieure, supprimant ainsi une ressource essentielle pour le Saint-Siège et un lieu où les employés pouvaient faire leurs courses avec un léger avantage dû à l’absence de taxes.
C’est en quelque sorte la fin du monde.
Mais reste à savoir si ces décisions mettent fin à la souveraineté de fond du Saint-Siège. Ce sujet a été très peu abordé, alors qu’il est crucial.