La semaine dernière, à Louvain, François a été copieusement chahuté – c’est un euphémisme -, et avec une naïveté qu’on n’aurait jamais soupçonné chez lui, il a manifesté ouvertement sa surprise et son indignation. Sans se rendre compte que la bronca qu’il a subie n’est que « la conséquence des processus qu’il a lui-même initiés ; et même si le temps est plus grand que l’espace, il y a un moment où le temps rend ce qui a été semé, dans un espace bien précis » (Luisella Scrosati). Ou, en termes plus triviaux: il est temps de passer à la caisse.

Voir à ce sujet:

C’est précisément l’approche de son pontificat, à travers surtout les nominations à des postes décisifs de certaines personnalités qui a donné un appui théorique aux reproches [qui lui ont été adressés]

Hétérogénèse des fins

Le Pape interpellé par les disciples de ses ouvertures

Luisella Scrosatti
La NBQ
2 octobre 2024

Le théologien belge Gabriel Ringlet ne digère pas les expressions « papales » de François contre l’avortement et le réprimande au nom de l’éthique de l’exception. A force de « déclencher des processus », le pontife lui-même est emporté par eux.

Gabriel Ringlet est un prêtre belge et un de ces théologien qui se définissent comme des « penseurs libres ». Et pas n’importe quel prêtre, mais professeur et pro-recteur émérite à l’Université catholique de Louvain, celle qui s’est récemment illustrée en contestant le pape.

Ses contestations, du haut de ses 80 ans, sont « historiques “ et tous azimuts: opposé à l’Ordinatio sacerdotalis qui réitérait l’impossibilité de conférer l’ordre sacré aux femmes, contestataire de la rigidité doctrinale de Benoît XVI, favorable à l’euthanasie légale et ” accompagnée », sympathisant du dialogue entre l’Église catholique et la franc-maçonnerie. Et maintenant, contestataire du pape François pour ses récentes paroles résolument contre l’avortement.

A un journaliste de la chaîne belge RTBF qui le provoque, il répond

« Écoutez, c’est déconcertant . Et ce n’est pas seulement déconcertant, c’est une insulte aux médecins qui sont attentifs à des souffrances bien réelles et qui travaillent dans un cadre légal. Le pape ne semble pas s’en rendre compte, ou ne veut pas écouter. Et j’ajouterai, sur un tout autre plan, que c’est grave ».

Selon Ringlet, la gravité des propos de François résiderait dans sa vision éthique de l’avortement, incapable de saisir les « nuances » :

« D’un point de vue théologique, l’éthique est une question très sérieuse. C’est une chose complexe qui demande des nuances, qui demande d’accepter des situations difficiles. Dans certaines circonstances, l’éthique peut nécessiter de transgresser une situation. C’est le cas de certains cas d’avortement, de certains cas d’euthanasie, où cette transgression peut être tout à fait légitime. Il semble que tout cela ait disparu et que cette théologie, qui est une théologie vraiment élémentaire, une théologie essentielle, ne fasse plus partie de notre réflexion. Donc cette déclaration du Pape dans l’avion m’a vraiment, vraiment interloqué ».

Le théologien belge reproche donc au pape d’avoir affronté la question de l’avortement sans admettre d’exceptions, en qualifiant tout acte abortif d’homicide, sans saisir les nuances et sans tenir compte des circonstances. En termes plus techniques,

Ringlet pointe du doigt les absolus moraux, c’est-à-dire les interdits de la loi morale qui s’appliquent toujours, sans exception, parce que l’acte accompli est intrinsèquement mauvais, et revendique à la place une éthique plus élastique, une éthique capable de saisir des exceptions significatives qui nécessiteraient de transgresser l’interdit moral.

On a l’impression de relire certaines allusions d’Amoris Lætitia et surtout les déclarations de plusieurs commentateurs, qui se déchiraient les vêtements pour montrer que c’est précisément la morale classique – que Ringlet appellerait élémentaire et essentielle – qui admet des exceptions même dans les absolus moraux, en vertu de l’epicheia, du bien possible, de la gradualité de la loi (qu’on fait passer pour la loi de la gradualité), de la souveraineté absolue du discernement.

On croit lire les interviews et les textes de don Aristide Fumagalli, Ddon Maurizio Chiodi, don Davide Guenzi, tous démolisseurs « prudents » des absolus moraux avec leurs ouvertures à la contraception, à la FIV, à l’homosexualité, et défenseurs assidus de celle [la morale] des circonstances, au nom de laquelle Ringlet a fustigé le Pape. Et, curieusement, tous récemment nommés consulteurs au Dicastère pour la Doctrine de la Foi. Par le pape.

Le fait est que l’interdiction de tuer un innocent est un absolu moral, que le pape François tient à juste titre à rappeler à propos de l’avortement et de l’euthanasie, au même titre que celle d’empêcher la conception au moyen d’actes contraceptifs, ou de s’unir à une femme qui n’est pas son épouse ou à un homme qui n’est pas son mari.


Il n’y a aucune raison de penser que le Pape n’était pas sincèrement convaincu par ses propos [vraiment???] contre l’avortement, une opposition qu’il a exprimée à plusieurs reprises ; mais il y a plus d’une raison de douter qu’il se rende compte que c’est précisément l’approche de son pontificat, à travers surtout les nominations à des postes décisifs de certaines personnalités, qui ne sont certainement pas « inférieures » au théologien belge, qui a donné un appui théorique à des reproches tels que ceux que Ringlet a formulés à l’encontre du Pape. Car l’éthique des exceptions n’admet pas d’exception : s’il existe des circonstances qui peuvent transformer l’adultère en une réalisation imparfaite du mariage, il doit y avoir des circonstances similaires qui transforment l’avortement en un soutien imparfait à la vie naissante. Si la contraception peut être configurée comme le bien présent possible pour un couple de préserver l’union conjugale, alors l’avortement peut être configuré comme la possibilité hic et nunc pour un médecin d’aller au devant de la souffrance d’une femme.

Par une sorte d’hétérogénéité des fins, le pape se trouve maintenant impacté par les conséquences involontaires des processus qu’il a lui-même initiés ; et même si le temps est plus grand que l’espace, il y a un moment où le temps rend ce qui a été semé, dans un espace bien précis.

C’est au pape François de décider ce qu’il veut faire : s’il entend continuer à condamner sans si et sans mais, comme nous l’espérons, l’avortement et l’euthanasie pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des meurtres, alors il doit renvoyer à l’expéditeur de manière cohérente les personnes qu’il vient de nommer au DDF et arrêter le jeu sur la contraception et l’adultère une bonne fois pour toutes.

Sinon, il se retrouvera mis le dos au mur par les disciples fidèles de ses ouvertures, qui n’acceptent aucune exception (justement). Et apparemment sans remords non plus.

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