« Lors la Foire du livre de Francfort, l’éditeur Mondadori a annoncé la publication de Spera – L’autobiografia di Papa Francesco , dont la rédaction a duré six ans. Le livre sera publié simultanément dans le monde entier dans les principales langues et dans plus de 80 pays en janvier 2025″.
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S’agit-il de l’expression d’une complaisance narcissique, d’une forme de mégalomanie à la limite de la pathologie, d’un désir de se justifier, et surtout de redorer son blason et de retoucher son image largement écornée par ses décisions arbitraires et chaotiques, ses gaffes diplomatiques, son autoritarisme et son goût du secret? Quel récit cherche-t-il à imposer? L’annonce de la sortie anticipée de cette nouvelle biographie (elle ne devait intervenir qu’après sa mort, qu’est-ce qui lui a fait changer d’avis?), co-écrite avec la collaboration d’un professionnel de l’édition pose plusieurs questions auxquelles Andrea Gagliarducci tente de répondre. Réponses, peut-être, en janvier prochain.
Pourquoi le pape François a-t-il besoin de raconter son histoire ?
Andrea Gagliarducci
Monday Vatican
21 octobre 2024
Une nouvelle autobiographie du Pape François sera publiée en janvier de l’année jubilaire 2025. Elle s’intitule Spera – Espère! c’est-à-dire un verbe à l’impératif – et c’est une grande maison d’édition italienne qui la publie. Àl’origine, il était prévu que le livre ne soit publié qu’après la mort de François, mais celui-ci a estimé que son message devait être partagé avec le monde à un moment où il en avait particulièrement besoin.
Ainsi, pour la troisième fois en deux ans, le pape François sort un livre qui raconte sa vie. Il y a eu Life, avec le journaliste Fabio Marchese Ragona, qui examinait les événements de l’histoire vus à travers les yeux du pape. El Succesor, avec le journaliste Javier Martinez Brocal, met en lumière la relation entre le pape François et Benoît XVI. Cette cohabitation a duré près de dix ans. Et maintenant, il y a Spera, qui se présente comme une autobiographie et dont l’écriture a duré six ans.
Le pape François veut raconter son histoire, forger le récit, livrer sa version des faits, et ainsi donner forme et accomplissement à son pontificat. Benoît XVI avait parlé d’un Concile Vatican II raconté par les médias et d’un Concile qui s’est réellement déroulé. On peut dire que dans le cas de François, il y a un pontificat des médias et un pontificat réel, à la différence que François veut contrôler et gérer le pontificat des médias.
L’annonce de l’autobiographie a été faite à la Foire du livre de Francfort, au milieu d’un synode qui ne reçoit pas l’attention dont d’autres ont bénéficié.
Le pape François a écarté du synode les discussions les plus controversées en créant dix groupes d’étude. Cependant, les questions trouvent le moyen de revenir sur le devant de la scène. Elles sont insérées dans les discours. L’un des participants au synode a noté que de nombreuses interventions s’écartent du sujet. C’est le signe que certains se rendent au Synode avec un agenda. Mais cet agenda peut-il aller de l’avant?
Cette assemblée synodale pourrait avoir un effet dévastateur sur le pape François. Le débat synodal montre que les Pères synodaux ne s’orientent pas vers une révolution dans l’Église. Par exemple, les Pères synodaux veulent toujours l’unité et la centralité dans l’Église universelle, et ils sont sceptiques quant à l’attribution de compétences doctrinales aux conférences épiscopales.
Le pape François a laissé les portes ouvertes et ne les a refermées que partiellement par quelques plaisanteries ou décisions. Tout dans le pontificat reste ouvert [à entendre dans le sens qu’aucune question n’est tranchée, ndt], et chacun peut dire qu’il a reçu des encouragements du pape. Ce que pense le pape François est objet de débat.
Cela n’aide pas l’image du pontificat. Dans la saison synodale, on a un pape qui décide seul, qui va au-delà des prérogatives du Synode lui-même et qui, finalement, trouvera le moyen d’introduire dans le débat les sujets qui lui tiennent le plus à cœur.
Le cardinal Joseph Tobin, qui ne fait certes pas partie de ceux dont on pourrait dire qu’ils sont contre le pape François, a souligné que même la décision sur le thème du Synode n’a été prise que par le pape, qui s’est opposé à d’autres propositions, comme celle d’un Synode sur les migrations et celle d’un Synode sur la vie et le ministère du sacerdoce.
Le troisième livre en deux ans contribue donc à forger un récit sur le pape François lui-même. Le livre détourne l’attention du présent et se penche sur le passé et l’histoire du pape François. Il s’agit avant tout d’une tentative de François de fournir un autoportrait humain et peut-être d’implanter des histoires qui resteront dans la mémoire collective.
Depuis le début de son pontificat, le pape François a cherché à contrôler la narration à son sujet. Il a donné sa version des faits sur sa relation avec Benoît XVI et ainsi, il a façonné le récit qui ne lui était pas du tout favorable après n’avoir même pas mentionné une seule fois le nom du pape émérite lors des funérailles, une célébration qui s’est distinguée par son ton sobre [euphémisme!!].
Le pape François a ensuite voulu exprimer son point de vue sur les événements du monde, en retraçant sa vie et en examinant la mémoire historique, donnant l’image d’un pape plongé dans son époque.
Aujourd’hui, il semble vouloir ajouter une touche d’humanité supplémentaire avec une œuvre autobiographique qu’il a étudiée et travaillée pendant six ans, qui comporte peu d’improvisation et beaucoup de stratégie.
Le pape François parviendra-t-il à redorer son blason ?
Est-il trop tard ?
Ces dernières années, le pontificat a connu plusieurs revers, qui ont érodé la sympathie dont il bénéficiait depuis le début de son pontificat. L’affaire Rupnik a été un tournant, mais il y avait eu d’autres signes de crise dans le pontificat. Il y a de nombreuses années maintenant, un fidèle du pape a écrit un article dans lequel il soutenait que la force de propulsion du pontificat n’était pas épuisée, malgré certaines apparences contraires.
La stratégie du pape comprend non seulement l’autobiographie, mais aussi un programme intense d’apparitions publiques. Le 5 novembre, il inaugurera par exemple l’année académique de l’Université pontificale grégorienne. Fondée en 1551 par saint Ignace de Loyola lui-même, la « Greg » est la plus ancienne et la plus prestigieuse université jésuite du monde. François apportera le meilleur de lui-même
Entre-temps, le pape François a convoqué un consistoire pour le 7 décembre, et la création d’un si grand nombre de nouveaux cardinaux – 21, dont 20 seront électeurs – peut à juste titre être considérée comme faisant partie intégrante des efforts visant à forger une sorte d’unité au sein du collège et de l’Église [???].
Ainsi, l’effort de communication du pape François, loin d’être un retour vers le passé, est en réalité un effort pour orienter l’avenir, pour préparer la fin de son pontificat et la suite, pour répondre à la nécessité de laisser un « héritage spirituel » à la postérité.
D’où la troisième autobiographie en deux ans du pape. Pour se raconter et établir un point final quant à la manière dont sa vie est racontée. L’avenir nous dira si cette démarche n’est que du populisme ou quelque chose de plus.