L’archevêque d’Utrecht (72 ans), nommé à ce siège en 2007 et créé cardinal par Benoît XVI en 2012, est une voix qui porte, issue de l’aile conservatrice du sacré collège et peut-être un papabile en puissance. Dans une interview accordée à la revue Communio (*) et reprise en partie par le site hispanophone Religion en Libertad, il donne comme contre-exemple à ne pas suivre celui de l’Eglise en Hollande, qui commence seulement aujourd’hui à émerger des ruines amenées par la furie post-conciliaire. Et il affirme: là où la parole de Dieu est correctement transmise et la liturgie célébrée avec les formes dues, les églises sont pleines.
(*) « Communio », revue fondée dans les années 70 par Joseph Ratzinger avec son ami le théologien suisse Hans Urs von Balthasar en réaction à la revue « Concilium » fondée par Hans Küng et consorts qui défendait la thèse du Concile en tant que rupture.
Le cardinal Eijk :
« Les paroisses qui proclament correctement la foi et célèbrent dignement sont pleines ».
Une enquête a révélé en 2022 que, pour la première fois, plus de 50 % de la population néerlandaise se définit comme athée ou agnostique. On est loin de la fin des années 1950 et du début des années 1960, rappelle le cardinal Willem Eijk, 71 ans, médecin avant d’être ordonné prêtre, archevêque d’Utrecht. A l’époque, les églises étaient pleines (aujourd’hui, elles sont en vente dans tout le pays) et dans de nombreuses paroisses, il y avait jusqu’à quatre messes le dimanche, dont une grand-messe.
« Mais après 1965, les choses ont changé très rapidement », souligne le cardinal dans une vaste interview accordée à Communio pour son numéro d’automne : « Entre 1965 et 1975, le nombre de pratiquants a diminué de moitié ».
Ce n’était que le début du cauchemar qu’a été le dernier demi-siècle pour l’Église néerlandaise.
Dans une large mesure, l’interview cherche à alerter l’Église universelle afin qu’elle ne commette pas les mêmes erreurs que celles qui ont conduit l’Église des Pays-Bas à son état de prostration actuel.
Pourtant, il y a des signes d’espoir réel : « Vous n’êtes pas assis devant un homme désespéré », prévient-il avec humour, avant d’énumérer les ambitieux projets « missionnaires » que les diocèses mettent en œuvre, parmi lesquels il cite la catéchèse post-confirmation, les cours Alpha et l’initiative Family Sundays, qui cherche à créer une communauté autour des paroisses.
Tout cela produit un léger réveil, tant en termes de conversions que de vocations :
« Dans toutes les paroisses, nous voyons de plus en plus de jeunes demander le baptême ou la confirmation, des personnes entre 20 et 50 ans qui, pour ainsi dire, apparaissent de nulle part ».
Il explique cela par le fait que, bien que les nouvelles générations n’aient pas reçu de critères pour distinguer le bien du mal, ni de piliers ou d’objectifs pour la vie, il y a des questions qui « surgissent naturellement », parce qu’en chaque être humain « il y a une ouverture au Mystère ».
En outre, « lorsque les gens viennent à l’église aujourd’hui, c’est une décision consciente » et ceux qui se marient dans l’Église le font « par conviction ».
Les raisons extra- et intra-ecclésiastiques de la déchristianisation
Eijk attribue l’effondrement de l’Eglise, en grande partie, à la « sécularisation qui est venue avec la montée de la prospérité », qui accentue l’individualisme : le sens de la communauté se dilue et « les gens se placent au centre et deviennent, en quelque sorte, leur propre pape : ils choisissent leur propre interprétation de la religion et leurs propres valeurs éthiques. En conséquence, ils perdent leurs liens avec l’Église ».
Cela a aussi une traduction politique, car « avant, l’idée prévalait que l’homme était créé à l’image de Dieu et qu’il avait donc des droits inaliénables », maintenant la définition et la portée de ces droits « sont assumées par l’État », ce qui signifie, par exemple, que la vie a désormais « moins de valeur », et il donne comme exemple le nombre croissant d’avortements et d’euthanasies. Il en va de même pour la famille, avec 40% des mariages qui se terminent par un divorce, ou avec l’imposition de l’idéologie du genre : « A long terme », prédit-il, « l’expérience sociale de l’établissement d’un ordre éthique sans Dieu s’effondrera ».
Mais le cardinal Eijk signale également des causes intra-ecclésiales de la déchristianisation, qui ont leurs racines dans la propre évolution de l’Église néerlandaise. Il rappelle, par exemple, les « similitudes évidentes » entre le « conseil pastoral » vécu par la province ecclésiastique de Hollande entre 1966 et 1970, à l’origine de son autodestruction, et l’actuel « chemin synodal » allemand.
« Ne commettez pas notre erreur ».
Il est clair que les réformes dans un sens mondain ne fonctionnent pas, mais que la fidélité à la foi de l’Église, elle, fonctionne :
« Apprenez de l’Église des Pays-Bas que c’est une erreur. Ceux qui créent la confusion éloignent les gens de l’Eglise. Ce n’est pas ainsi que les gens reviendront. Je veux dire aux évêques des autres pays : ne faites pas cette erreur, ne faites pas notre erreur. Dans les paroisses où la foi est bien proclamée et où la liturgie est célébrée avec dignité, les églises sont pleines. Il s’agit de mettre le Christ au centre. Lorsque les gens découvriront le Christ et comprendront mieux les Écritures, ils comprendront mieux les enseignements de l’Église ».
« Notre travail est de dire la vérité, même quand c’est difficile », dit-il à un autre moment : « Et si vous argumentez de manière authentique, les gens s’ouvrent. »
Il souligne également que le chemin de l’unité est la clé de la crédibilité de l’Église :
« Le mot ‘synode’ vient du grec ‘syn, ensemble, et ‘hodos, chemin. Nous devons suivre un chemin commun et ne pas nous écarter de l’Église universelle. Le pape a insisté sur ce point dans sa Lettre au peuple de Dieu en pèlerinage en Allemagne de 2019. Lorsque l’unité dans la proclamation [de la foi] est perdue, l’Église perd sa crédibilité. Aux Pays-Bas, nous avons eu de très mauvaises expériences de création d’ambiguïté et de confusion au cours des cinquante dernières années. Les gens avaient l’impression que même l’Eglise ne savait pas vraiment ce qu’elle était ».